Qualifier d’extrême-droite tous ceux qui la critiquent : la stratégie LFI déjà utilisée par les communistes allemands… des années 30<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon lors d'une prise de parole devant les médias.
Jean-Luc Mélenchon lors d'une prise de parole devant les médias.
©Bertrand GUAY / AFP

Idéologie

La France insoumise déploie une stratégie de diabolisation vis-à-vis de ses principaux adversaires politiques.

Benoît Vaillot

Benoît Vaillot

Benoît Vaillot est Professeur agrégé et docteur en histoire. Historien et politologue.

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Atlantico : La France Insoumise a parfois tendance à ranger à l’extrême droite tout ce qui se situe à sa droite. Récemment encore, ainsi que le rappelle la Tribune de Genève, Jean-Luc Mélenchon affirmait que la France vit une période de “jonction entre la droite et l’extrême droite”. Cette stratégie de diabolisation est-elle une première dans l’histoire de la gauche européenne ?

Benoît Vaillot : Qualifier les opposants politiques de fascistes, quand on vient de la gauche, n’a rien de nouveau. C’est une attitude assez ancienne qui remonte, en vérité, aux origines mêmes du fascisme… soit aux années 1920, en Italie, ou le fascisme prend d’ailleurs le pouvoir, rappelons-le. C’est donc là que commence la dénonciation de tous les opposants comme fascistes par l’extrême-gauche, à raison à ce moment-là. La gauche italienne, mais aussi dans le reste de l’Europe (que ce soient les socialistes, les sociaux-démocrates et autres travaillistes, selon les pays) fait preuve d’un peu plus de modération. Si les gens de gauche identifient effectivement la menace fasciste, ils font tout de même une distinction nette avec la droite libérale ou conservatrice, que l’on appelle républicaine en France, qui n’embrasse pas cette idéologie. C’est particulièrement vrai en France : la SFIO a toujours veillé à bien distinguer la droite républicaine des mouvements fascistes. Il y a donc toujours eu, à gauche, deux attitudes vis-à-vis de la menace fasciste (réelle ou supposée). L’une consiste à faire preuve de justesse en distinguant le bon grain de l’ivraie, l’autre consiste à mettre tout le monde dans le même sac.

Si Jean-Luc Mélenchon peut se vanter d’avoir une grande culture historique, il faut tout de même dire qu’il emploie les références auxquelles il fait appel de manière parfois malencontreuse. Cependant, il pointe quelque chose quand il dit qu’il y a à craindre, au moins à ses yeux, une jonction politique entre la droite et l’extrême droite. Du point de vue de l’extrême gauche, cette jonction (ce que d’autres appellent « l’union des droites ») entre la droite et l’extrême droite constitue effectivement un danger politique. Historiquement, rassembler la droite conservatrice, la droite libérale et la droite réactionnaire (ce que prône Eric Zemmour ou encore Eric Ciotti), représente pour l’extrême-gauche une menace fasciste. Il est vrai que les fascistes sont toujours arrivés au pouvoir avec la droite. Cette jonction des droites a donc de quoi faire peur à Jean-Luc Mélenchon…

Mais force est de remarquer que la France Insoumise qualifie aussi de « fasciste » quiconque s’oppose à elle. De son point de vue, le fascisme peut ainsi commencer dès la droite de Jean-Luc Mélenchon… Mais aussi parfois directement au sein de la France Insoumise ou de la Nupes ! Fabien Roussel, le premier secrétaire du Parti communiste français a ainsi été affublé d’un tel sobriquet, rappelons-le. Si lui peut-être qualifié de fasciste, qui ne l’est pas ? 

Peut-on comparer cette stratégie de diabolisation à ce que faisait, par exemple, le PC allemand dans les années 1930 ?

Le Parti communiste allemand (Kommunistische Partei Deutschlands, ou KPD en allemand) est un parti communiste qui, dans les années 1920 et 1930, optait pour une stratégie de lutte de classe. Ils étaient alors (à leurs yeux), les seuls défenseurs de la classe ouvrière. C’est pour cela qu’ils estimaient que l’ensemble des autres formations politiques étaient faites de mêmes bois. Ils ont donc mis dans le même sac les socio-démocrates, les centristes catholiques, l’extrême droite traditionnelle… ainsi que les nazis.

Cette situation résulte de plusieurs facteurs. Rappelons d’abord que les communistes ont été réprimés par les sociaux-démocrates, alors au pouvoir au moment de l’avènement de la République de Weimar. C’est avant tout l’histoire d’une querelle entre frères-ennemis. L’origine même du Parti communiste s’est faite dans le sang, par scission avec les socio-démocrates allemands au moment d’une insurrection armée que l’on appelle la « ligue spartakiste » en Allemagne.

En outre, il faut aussi exposer une stratégie globale, décidée par le Komintern à Moscou, cette fois-ci. Celle-ci consistait à dire qu’il y avait les partis ouvriers et les autres. Les communistes étant du côté des ouvriers, ils ne pouvaient pas pactiser d’une façon ou d’une autre avec des gens qui n’étaient pas communistes. Pire encore ! Si l’autre était de gauche, il devenait alors le pire ennemi, car il tentait alors de faire croire (selon les communistes, s’entend) qu’il existait une alternative au sein du système capitaliste. 

Les sociaux-démocrates étaient donc des ennemis avant les autres. Avant-même les nazi, même s’ils étaient combattu jusque dans la rue.

La stratégie actuelle de la France insoumise - et j’insiste sur le “actuelle”, parce que cela n’a pas toujours été le cas - n’est pas sans rappeler certains aspects de la stratégie des communistes du KPD. Il y a une volonté de se mettre en marge du régime. Les communistes dénonçaient la démocratie “bourgeoise”, qu’ils estimaient non sociale et pas véritablement démocratique. Au sein de la France Insoumise, il existe une tendance à radicaliser des propositions qui vont dans le sens d’une critique du régime en place. Ainsi, le programme de la France Insoumise prône le passage à une VIème République, même si cela ne signifie pas nécessairement qu’il faille renverser la République. Ce serait excessif que de l’affirmer.

Ce n’est pas le seul point de rapprochement que l’on puisse trouver. LFI cherche aussi à s’imposer comme le parti de gauche de référence en France. On trouve la même tendance, au sein de l’extrême gauche, à s’en prendre en priorité à ceux qui sont les plus proches idéologiquement. Ce n’est guère étonnant pour ce qui nous concerne aujourd'hui : la structure politique de la Vème République ne permet pas l’existence de plusieurs partis de gauche importants (c’est vrai aussi à droite). Compte tenu de l’état du PS, il est légitime que la FI cherche à les mettre à mort pour pouvoir s’imposer définitivement comme la formation de gauche dominante.

Pour le PC allemand de l’époque, le parti social démocrate d’Allemagne (SPD) était une formation “social-fasciste” parce que plus à droite qu’elle sur l’échiquier politique. Quand le pouvoir est arrivé au main de la droite, le PC a d’ailleurs affirmé que le facisme était aux commandes. Peut-on parler d’aveuglement, quand on sait combien le danger nazi était réel ? Comment ne pas l’avoir vu ?

Comme nous l’avons expliqué précédemment, ce sont les sociaux-démocrates allemands qui étaient considérés par les communistes du KPD comme les premiers ennemis. Cela ne veut pas dire qu’ils ne s’opposaient pas également au nazisme… mais bel et bien que cette menace a été sciemment mise au deuxième plan, à l’époque. Les nazis n’étaient pas leur ennemis prioritaires. Cette stratégie a conduit les communistes a inauguré les camps de concentration nazis dès 1933, et été ensuite radicalement remise en cause par le Komintern à Moscou, qui a dès lors œuvré à ce que les communistes ne s’opposent pas aux autres formations de gauche, et parfois même les soutiennent. Ainsi, le Front Populaire en France a été rend possible en 1936, grâce au soutien des communistes, mais sans leur participation directe.

Quel peut-être l’objectif exact de cette stratégie ? La diabolisation de tout ce qui est moins à gauche ? Ou s’agit-il simplement d’un réflexe venant répondre à un défaut argumentaire potentiel ?

Accuser ses opposants de fascistes, c’est un aveu de faiblesse depuis 1945 en France. Le général de Gaulle a aussi eu droit à ce sobriquet, particulièrement quand il a pris le pouvoir en 1958 puis de nouveau dans les premières années de la Vème République. Bien sûr, le PCF était alors très puissant… mais la gauche n’arrivait pas à suivre le mouvement gaulliste. Elle était en recul sur le plan électoral.

Au fur et à mesure de la progression de l’extrême droite, dans les années 1970, l’accusation en fascisme a gagné un autre objectif : elle est devenue une façon d’empêcher la jonction des droites. C’est un argument fort pour empêcher une alliance majoritaire qui ne serait pas de gauche.

N’oublions pas non plus que, depuis 1945, la gauche française joue à se faire peur à grand renforts de carnavals anti-fascistes. Lionel Jospin lui-même l’a reconnu : la peur du fascisme est un argument suffisamment puissant pour mobiliser et faire barrage quand cela a pu s’avérer nécessaire.

Qualifier tout opposant de fasciste, c’est répondre d’une logique politique sectaire… mais cela ne se limite pas à cela. C’est l’occasion de retracer la ligne rouge entre la droite républicaine et l’extrême droite. Car l’union des droites est une menace pour la gauche, et pour la République, que la gauche juge d’ailleurs fasciste.

A force d’accuser tout le monde de fasciste sous prétexte qu’ils ne sont pas d’accord, à quoi s’expose-t-on ?

En France, c’est pour la qualité du débat public qu’il faut s’inquiéter, me semble-t-il. Invectiver ses opposants ce n’est pas discuter… et il apparaît clairement que la France Insoumise manque cruellement de recul sur ce qu’elle fait en plus de se refuser à toute autocritique. La présence de Médine aux universités d’été de la FI et d’EELV en est un bon exemple : les personnes de gauche qui ont un problème avec sa présence sont jugées “manipulées” par l’extrême droite, ce qui illustre un vrai problème de liberté d’expression.

Pour autant, l’union des droites qu’appellent de leurs vœux des personnalités politiques comme Eric Zemmour, représente un danger pour la gauche qu’elle identifie comme fasciste, car dans la dynamique actuelle, et fort des expériences historiques, l’on sait que l’extrême-droite finit par toujours l’emporter sur la droite.

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