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Public et privé : la nouvelle circulation des élites politiques
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Le recrutement des nouvelles élites de l’État semble évoluer de manière accélérée. Certains d'entre eux quittent provisoirement le service de l'État pour rejoindre des grandes entreprises, des banques ou des cabinets de conseil, comme l’illustrent le parcours d’Emmanuel Macron lui-même et celui de plusieurs des membres de son cabinet. Extrait de "Où va l'Etat ?" de Pierre Birnbaum, aux éditions du Seuil (1/2).

Pierre Birnbaum

Pierre Birnbaum

Pierre Birnbaum, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est l’auteur de nombreux ouvrages.

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À l’image du président de la République, la carrière des membres de son cabinet et surtout celle des personnes qui assurent la coordination avec le cabinet du Premier ministre oscillent entre public et privé, dessinant une nouvelle circulation des élites. Le Premier ministre lui-même a franchi cette barrière entre secteur public et secteur privé, et partage bien des points communs avec le président Emmanuel Macron et avec nombre des conseillers dont on vient de retracer les carrières. Édouard Philippe a été élève d’une classe préparatoire hypokhâgne avant d’entrer à l’Institut d’études politiques de Paris puis à l’ENA. Membre du Conseil d’État, il a rejoint le secteur privé, d’abord dans un cabinet d’avocats américain (à l’instar de plusieurs membres des cabinets), puis chez Areva dont il a été le directeur des affaires publiques, de 2007 à 2010.

Le directeur du cabinet d’Édouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas, incarne à son tour cette relation nouvelle entre le public et le privé: ancien élève de l’ENA et de Polytechnique, haut fonctionnaire, il a travaillé de nombreuses années dans de grandes entreprises comme Thales, Safran ou Zodiac. Le directeur du cabinet de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, ingénieur du CNRS, enseignant à Polytechnique, a passé quelque temps chez Total. La chef du cabinet de Nicolas Hulot a travaillé pour La Poste. Le directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités, un énarque normalien, inspecteur des Finances, est passé par le Crédit agricole. On peut citer encore le directeur de cabinet de la ministre du Travail, passé par un cabinet de conseil et par le Medef. D’autres membres des cabinets ont eux aussi exercé leurs compétences chez Areva. Certes le directeur du cabinet de Gérald Darmanin, énarque et, également, HEC, a mené sa carrière au sein du seul secteur public. C’est aussi le cas d’autres directeurs de cabinet, par exemple, au ministère de la Culture, de l’Agriculture et de l’Alimentation, ou encore au ministère de la Cohésion des territoires, dont le directeur de cabinet est un énarque membre du corps préfectoral. Mais il n’en est pas de même de plusieurs responsables des divers cabinets parmi lesquels on note la faible représentation des femmes.

Cette inflexion de la composition des cabinets du pouvoir exécutif peut encore se constater à l’examen de celui de Bruno Le Maire, le nouveau ministre de l’Économie. Énarque et normalien, celui-ci est demeuré fidèle à la tradition de l’État fort en menant sa carrière dans ce seul cadre. Au contraire, les dix membres de son cabinet ont presque tous transité par le secteur privé. Son directeur de cabinet, Emmanuel Moulin, tout comme celui d’Emmanuel Macron, est à la fois énarque et diplômé de l’ESSEC: il est également passé par la banque américaine Citi et la banque d’affaires italienne Mediobanca. Le directeur adjoint du cabinet, énarque et normalien, a transité par la banque HSBC, tandis que le conseiller est un ancien de Nestlé, et le chef du cabinet, d’Euro-RSCG. La moitié des membres de ce cabinet sont énarques, l’un d’entre eux étant aussi diplômé de Harvard. Sept d’entre eux ont travaillé dans le privé, souvent le secteur bancaire, ou ont créé leur propre entreprise.

Ainsi se renforce cette nouvelle circulation des élites entre le public et le privé au niveau le plus élevé de l’État. La différence est notable avec l’autonomie des cabinets gaullistes dont l’accès était généralement fermé aux intrus de l’extérieur, et surtout du monde des affaires; rares étaient alors les membres de cabinet qui, venant de la haute fonction publique, étaient passés par le privé avant de revenir à l’État. Le cabinet servait certes souvent de tremplin permettant d’accéder, à la sortie, aux affaires; il n’ouvrait guère ses portes aux hauts fonctionnaires passés au privé et revenant au public.

Extrait de "Où va l'Etat ?" de Pierre Birnbaum, aux éditions du Seuil

"Où va l'Etat ?" de Pierre Birnbaum

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