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Crash test : 
Les mesures de François Hollande 
contre la finance au banc d'essai
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François Hollande, en détaillant ce jeudi son programme, a promis une refonte du système financier, basée sur une plus grande régulation de tous les acteurs instables de la finance. Ses propositions sont-elles viables ?

Que devrait dire François Hollande s'il voulait vraiment lutter contre le pouvoir de la finance...?

N’en déplaise aux défenseurs de l’autorégulation, la finance, comme toute activité dont les conséquences peuvent se ressentir sur un nombre important d’agents économiques, doit disposer d’un corpus prudentiel correctement calibré. Ce corpus prudentiel (ou réglementaire) doit trouver le juste équilibre entre : la disponibilité de crédit à l’économie, d’un coté, et la prise de risque qui pourrait se traduire par des conséquences catastrophiques sur l’économie, de l’autre. Les crises successives, depuis 2000, nous ont montré qu’une réglementation laxiste se traduit par l’accroissement du volume de crédit qui se désagrège dans une crise bancaire importante lorsque les conditions économiques ne permettent plus aux débiteurs de rembourser leurs créances (comme cela a pu être constaté encore une fois au lendemain de la faillite de Lehman Brothers).

Ricardo généralisait dans sa citation : «  L’expérience montre que jamais un Etat ou une banque n’a disposé d’un pouvoir illimité d’émission de papier-monnaie sans en abuser » la relation entre le laxisme dans la régulation, la création de bulles spéculatives et les crises bancaires.

Il est nécessaire de préciser que la situation de la France, comme tous les autres pays développés, est inquiétante puisque le pays (Etat, ménages, institutions financières et entreprises…) a atteint un niveau d’endettement trop important qui doit être réduit. Le Japon, la Suède et la Finlande ont connu une situation économique similaire dans les années 90.

Cependant, ces trois pays ont agi différemment face à la crise bancaire et ont eu des résultats opposés. D’un coté, la Suède et la Finlande ont pris rapidement les mesures nécessaires pour re-solvabiliser leur système bancaire (à travers la reconnaissance des actifs délinquants et la nationalisation des banques les plus fragiles). Celui-ci croulait sous une montagne de dettes non performantes (c'est-à-dire dont la probabilité de remboursement était faible). De l’autre, le Japon a ignoré le problème de ses banques et leur a donné les moyens, en abaissant les exigences prudentielles et comptables, pour cacher la réalité des risques. Le résultat de ces deux démarches opposées est sans appel. Lorsque la Suède et la Finlande ont pu éviter le credit-crunch et ont relancé leur croissance. Le Japon a créé des Zombies Banques. Conséquemment, le pays expérimente depuis deux décennies une faible croissance, la déflation et le chômage.

Ce diagnostic semble être partagé par la majorité des candidats à la Présidence de la République. Cependant, les réponses à la problématique de réglementation bancaire diffèrent d’un bord politique à l’autre. Nous essayerons, dans cette tribune, d’analyser les propositions de M. François Hollande en suggérant (sans opinion partisane) des compléments de reformes en s'appuyant sur l’expérience des marchés et les pratiques du secteur bancaire. Ces constats offrent des compléments pour réguler efficacement ce secteur et éviter la répétition des erreurs du passé.

Séparation des activités de crédit et d'investissement

Il existe aujourd’hui une confusion entre les différentes activités bancaires. Il serait judicieux d’analyser séparément les activités par nature de risque et par catégorie de clientèle. Force est de reconnaitre que la compréhension des risques diffère en fonction du client. Un client particulier (activités dites de réseau ou de détail) n’a pas les mêmes compétences financières qu’un client professionnel, dont le métier est de prendre des risques pour améliorer la rentabilité de son investissement. D’un coté, le client effectue des dépôts et demande des crédits (immobilier, consommation etc.), de l’autre, l’investisseur recherche les actifs qui délivrent la plus forte rentabilité en fonction d’un niveau de risque défini et de sa propre analyse. La confusion des activités affecte en premier lieu les acteurs les moins initiés aux activités à risque. En effet, lors de la crise 2008, grand nombre de nos concitoyens ont été surpris d’apprendre que leur banque achetait des actifs « complexes » pour fructifier leurs placements et mettaient ainsi en risque la solvabilité qui doit assurer (et sécuriser) le remboursement de leurs dépôts.

Aujourd’hui, les opérateurs bancaires justifient le modèle universel (c'est-à-dire de non séparation des activités de dépôts des activités de marchés) par le fait que les deux activités combinés permettent d’offrir une mitigation des risques. Cependant, cet argument ne pourrait être recevable que si chacune des activités disposaient de fonds propres suffisants pour fonctionner sans aucune contagion. Nous sommes bien loin de ce pré-requis. Le développement phénoménal de l’innovation bancaire n’a pas été suivi par une adaptation  des mesures des nouveaux risques et des besoins de fonds propres nécessaires.

Pour le dire autrement, nous avons créé des voitures de sport qui pouvaient rouler à 180km/h sans modifier les règles de conduite. Nous leur avons appliqué les règles communes des voitures classiques. De plus, pour poursuivre sur cet exemple, le compteur de vitesse de ces voitures de sport fonctionnait mal et indiquait la mauvaise vitesse.

En effet, le développement des activités de marché s’est appuyé sur une mesure des risques dite de Value at Risk (ou VaR) dont l’objectif était de déterminer le montant de pertes maximales dans un certain intervalle de confiance (en règle générale 95%). Ainsi une VaR@95% de 10m€ signifiait que dans 95 chances sur 100, la perte de l’activité n’allait pas excéder 10m€.

Cependant, le mode de calcul de cette grandeur était erroné. Lorsque les banques du monde entier, calculaient cette grandeur ils reposaient leurs évaluations sur des hypothèses importantes, pour lesquelles les mathématiques modernes ont prouvé plusieurs limites et erreurs. Les travaux de Benoît Mandelbrot ou Nassim Nicolas Taleb ont montré que le mode de calcul de la VaR n’est pas consistant avec le comportement réel des risques. Nous nous sommes alors retrouvés avec des risques sur les activités de marchés de capitaux qui étaient sous valorisés et qui cannibalisaient les fonds propres des autres activités (de dépôts ou de détail notamment). Une telle situation explique le niveau de levier « impressionnant » auquel sont arrivées une banque telle que Lehman Brothers ou une compagnie d’assurance comme AIG.

Ce risque de cannibalisation ne peut être évité qu’en définissant des contraintes fortes sur les activités de marchés de capitaux et une séparation réelle entre les activités sur lesquelles les acteurs peu financiarisés sont exposés et les activités de risques qui sont le domaine des investisseurs « sophistiqués ».

La proposition de M. Hollande semble être une bonne voie pour réduire les risques de nos concitoyens vis-à-vis du secteur bancaire. Il est nécessaire cependant, de prendre les bonnes démarches pour séparer ces deux activités pour ne pas léser les deux acteurs (détail et marchés de capitaux) lorsque la séparation se mettra en œuvre. A cette proposition, il semble intéressant de demander aux régulateurs d’exiger que les membres des conseils d’administration des banques d'investissement aient des compétences importantes dans les marchés financiers. Cette exigence supplémentaire permettrait d’éviter les situations où les conseils d’administration ne connaissaient pas tout à fait les risques pris par certains départements à la pointe de la technologie financière. L'exemple de la banque UBS est suffisamment éloquent sur ce point. Les membres du conseil d'administration de cette banque semblaient sous estimer la réalité des risques pris par les opérateurs sur les marchés des produits dérivés. L'histoire a montré méconnaissance se traduisait par des pertes importantes et des mises sous pression des gouvernements pour couvrir les risques des ménages (ou plus généralement les acteurs les moins initiés).

Interdiction des produits "toxiques"

D’un point de vue financier, il n’existe pas de définition claire entre les produits « toxiques » et les produits « sains ». Pour justifier ce point de vue, il suffit de s’interroger dans quelle catégorie faudrait-il classer les obligations émises par la Grèce ou le Portugal. L’interdiction des produits toxiques semble, dès lors que ce constat est dressé, très difficile à mettre en œuvre.

Cependant, il existe des solutions pour atteindre l’objectif recherché par M. Hollande. Aujourd’hui, les montants notionnels des produits dérivés dépassent les 600 Trillions de dollar et continuent à croitre selon les statistiques publiés par la BIS (Bank for International Settlement). La France, en tant que membre du conseil de sécurité des Nations-Unis, devrait proposer, à ses partenaires européens et mondiaux, l’introduction d’une régulation internationale sur les activités de marchés de capitaux pour définir des outils de suivi et de réglementation de la prise de risque qui pourrait mettre en péril les économies mondiales (au même titre que le conseil de sécurité s'intéresse à réduire les risques de prolifération des armes de destruction massive).

Il est certes difficile de décréter unilatéralement l’interdiction de tel ou tel actif puisque les institutions financières délocaliseront immédiatement cette activité dans une autre juridiction « moins disant » sur le plan de la régulation pour la mettre en œuvre. D’ailleurs, force est de constater que la majorité des activités de ce type sont réalisés, aujourd'hui, dans des paradis fiscaux et juridiques.

M. Hollande pourrait préciser sa proposition en demandant aux partenaires développés et membres du BRIC :

  • la mise en place de chambres de compensation mondiale pour réduire les conséquences de défaillances en chaîne comme nous avons risqué de vivre en 2008.
  • l’audit de la situation actuelle pour trouver le juste moyen pour réduire la quantité de produits dérivés et de montage de détournement des réglementations.
  • l’instauration d’un régulateur mondial, inspiré d’Interpol pour les activités policières, pour suivre, comprendre et corriger l’accumulation de la prise de risque.
  • l’instauration d’une règle de prépondérance de l’esprit de la loi sur les lois nationales qui constituent un patchwork dans lequel se logent les montages de détournement des lois locales pour prendre des risques de plus en plus importants.
  • l’instauration d’une règle de transparence sur les activités structurées des banques d’investissement.
  • l’instauration d’une exigence de compétence des conseils d’administration afin de suivre correctement ce type d’activités qui nécessitent d’importantes connaissances financières et de responsabiliser les membres de ces conseils face aux risques pris par les institutions qu'ils dirigent.

Suppression des stock-options

Cette proposition de M. Hollande devrait être étendue à la réflexion sur le travail et sa rémunération. Nous constatons depuis plusieurs années une tendance à la variabilisation de la rémunération de plusieurs salariés. En effet, il existe une sorte de confusion des genres entre l’actionnaire, dont l’objectif est de prendre des risques et de générer de la rentabilité en connexion avec la quantité des risques pris, et les salariés. Nous constatons par exemple une forte généralisation des bonus et des stock-options en remplacement des rémunérations fixes, afin de transférer une partie de l’aléa des activités vers les salariés.

L’analyse des entreprises industrielles et financières sur les dix dernières années a montré que les dirigeants et les cadres disposant de stock-options se focalisaient sur l’évolution du cours en bourse au lieu de s’intéresser à l’activité en elle-même. Nous assistons par exemple à la mise en place de mécanismes pour accroitre la valeur boursière qui peuvent mettre, parfois, en péril ces entreprises. Pour ne citer que quelques exemples, les programmes d’achats d’actions permettent aux titres de s’apprécier en bourse mais fragilisent en même temps les entreprises en cas de ralentissement des activités.

Cependant, la suppression des stock-options risque de créer une distorsion de concurrence importante dans la compétition pour les talents. Nous constatons par exemple depuis 2010 l’explosion d’un nouveau chômage celui des diplômés des Ecoles d’Ingénieur qui font la fierté de notre nation. Ce chômage est la conséquence de la délocalisation des emplois très qualifiés dans des pays moins disant en termes de réglementation et de droit du travail.

Il semble judicieux de réguler et non supprimer les stock-options. Cette réglementation pourrait inclure, à titre d’exemple, la mise en place d’indicateurs de performance – tels que la rentabilité à long terme, le climat social, la participation de tous les salaries à ce complément de rémunération ou l’investissement – pour l'octroie et la mise en place de ce type de rémunération.

Interdiction d'implantation dans les paradis fiscaux

La définition des paradis fiscaux semble être le nerf de la guerre de cette proposition. Force est de reconnaitre que cette proposition effectuée lors du sommet du G-20 d’avril 2009 s’est soldée par un échec. Cet échec est la résultante de la négociation entre les différents pays sur la définition des paradis fiscaux.

Faut-il considérer le Wyoming, aux Etats-Unis, comme un paradis fiscal ? Qu’en est-il de la faible fiscalité Irlandaise ? Le problème de l’évasion fiscale est bien réel et constitue un fléau que l’UE devra combattre. A titre d’exemple, les avoirs Grecs en dehors des frontières (donc non taxés) seraient de 240Md€ lorsque le pays fait face à une dette de 340Md€. Il semble judicieux de remplacer la proposition d’interdiction des paradis fiscaux par la mise en place d’une structure de régulation internationale pour combattre l’évasion fiscale sur le même modèle qu'Interpol en appliquant la doctrine américaine post faillite d’Enron en 2002. En effet, les Etats-Unis ont instauré l’interdiction des Tax-Shelter en exigeant de toute société mettant en place un montage fiscal de définir les objectifs économiques recherchés. Dans le cas où ces montages auraient uniquement pour but de participer à l’évasion fiscale, les Etats (et la France en l’occurrence) devraient avoir le droit de refuser le traitement fiscal avantageux même si celui-ci respecte des règles légales des fois détournées pour cacher ou détourner le paiement de l’impôt. Il est nécessaire de rétablir l’esprit de la loi à la place des lois qui peuvent être détournés par des montages fiscaux innovants et ingénieux.

Une telle réforme permettrait d’obtenir la justice fiscale appelée des vœux de M. Hollande et d'un grand nombre de nos concitoyens qui souhaitent que la justice soit la même pour tous.

Taxe sur les transactions financières

La mise en place de la taxation des transactions financières est judicieuse, dès lors qu’elle s’applique au niveau mondial. Il est important de lui donner la force supranationale afin d'imposer son application de manière similaire aux contraintes de non prolifération nucléaire.

La complexité des mécanismes financiers et des flux financiers et fiscaux est aussi dangereuse pour nos économies que les armes de destructions massives. Warren Buffet a d'ailleurs qualifié certaines innovations financières d'armes de destruction massives. La mise en place d'un conseil de fiscalité internationale, sur le modèle du conseil de sécurité des Nations-Unis, pour combattre l'évasion fiscale et la non-taxation des transactions financières est essentielle pour assurer l'efficacité de cette réforme dont les bénéfices devraient être dirigés vers certains objectifs humanistes tels que le combat contre: la pauvreté, l'illettrisme, la sécheresse ou les conséquences du réchauffement climatique.

Agence publique de notation européenne

La proposition de créer une agence publique de notation européenne est judicieuse, mais elle ne devrait pas nous empêcher de réduire l'addiction de nos modèles financiers à la notation d'agences externes. Cette proposition est intéressante puisqu'elle permettrait de créer une plus grande concurrence entre les agences qui devraient revenir à leur rôle initial à savoir donner un avis sur la capacité d'un émetteur de rembourser ses dettes. En effet, les agences de notation actuelles créent un duo-pole dangereux puisque les régulateurs, les Etats, les financiers et tous les agents économiques se tournent vers elles pour définir leurs stratégies économiques. La généralisation de cette concurrence permettrait de donner des avis différents et de faire émerger des vues nouvelles.

La réglementation des banques ou des compagnies d'assurance exigent de ces institutions financières d'évaluer les risques en se basant sur les dires de ces agences. Comme tout commentateur, ceux-ci peuvent se tromper en leur âme et conscience. Pour éviter une trop forte dépendance à cette notation, il semble judicieux d'accompagner la création de cette agence par l'exigence de la part des opérateurs financiers de conduire leur propre analyse des risques sans se contenter de reprendre ce que disent deux ou trois commentateurs. Il en va du respect de la démocratie. En effet, la limitation du nombre d'agence se traduit par la création d'une forme de "pensée unique" qui ne laisse pas la place à des modèles économiques différents et qui peuvent apporter des résultats meilleurs. Il suffit de se rappeler des commentaires de ces agences lors de la campagne présidentielle brésilienne qui a mené M. Lula au pouvoir. A cette époque les agences considéraient que le programme de M. Lula pourrait mener le pays à la faillite. Force est de reconnaitre, que des politiques qui allient justice sociale et capitalisme peuvent apporter une meilleure stabilité que certaines politiques économiques préconisées par l'Ecole de Chicago. Pour s'en convaincre, nous pouvons attirer l'attention sur la publication d'un dossier spécial consacré au capitalisme d'état dans "The Economist" au moment où les financiers du monde entier converge vers Davos pour le Forum Économique Mondial.

En conclusion, les propositions de M. Hollande semblent aller dans le bon sens, cependant, il faudrait que celles-ci soient adaptées à la complexité des marchés financiers afin d'en accroître leurs efficacités. La finance est mondiale, sa réglementation doit l'être aussi.

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