Proposition de loi sur la vidéosurveillance algorithmique : pourquoi le législateur ignore-t-il les avertissements sur le danger posé pour les libertés publiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreux avertissements de la CNIL, de la Cour des comptes ou d’associations spécialisées dans le numérique n’ont pas été pris en compte.
De nombreux avertissements de la CNIL, de la Cour des comptes ou d’associations spécialisées dans le numérique n’ont pas été pris en compte.
©JOEL SAGET / AFP

Haro sur les libertés publiques ?

De nombreux avertissements de la CNIL, de la Cour des comptes ou d’associations spécialisées dans le numérique n’ont pas été pris en compte.

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Mardi 15 mai, l’Assemblée nationale a commencé les débats autour d’un projet de loi visant à légaliser une nouvelle forme de vidéo surveillance algorithmique. Dans quelle mesure l’objectif de sécurité porté par ce projet de loi est proportionné ou non avec l’impératif de protection des libertés fondamentales ?

Pierre Beyssac : Comme nous l'avions annoncé dans vos colonnes, les jeux olympiques 2024 sont utilisés comme laboratoire des technologies de surveillance en France, et cette nouvelle loi confirme l'analyse, étendant aux transports et jusqu'en 2027 des mesures prises dans le cadre des JO (par essence provisoires, mais qui devaient subsister bien au-delà des JO, jusqu'en mars 2025).

Il s'agit de mesures de surveillance intrusives cherchant à détecter des comportements "anormaux" sur les caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics, transports, etc.

Initialement, un rapport d'étape devait être établi en mars 2025. Or le gouvernement souhaite prolonger et étendre la mesure dès maintenant, sans attendre ce rapport.

La proposition de loi est d'initiative LR, aussitôt reprise et "accélérée" par le gouvernement, dans l'espoir de la mettre en œuvre dès les jeux olympiques, soit dans 2 mois seulement.

Aucune étude sérieuse de l'expérimentation n'existe, par définition, puisque les JO n'ont pas encore eu lieu. Les parlementaires ne pourront donc pas décider en connaissance de cause.

Gérald Pandelon : La vidéosurveillance algorithmique est un système qui consiste à analyser à partir de logiciels des situations spécifiques, afin d'en accroître l'efficacité. La philosophie du projet de loi actuellement débattu serait, en temps réel, de décrypter des situations potentiellement criminogènes pour y répondre dans un délai quasiment immédiat. Si le texte peut apparaître attentatoire aux libertés fondamentales c'est d'une part, parce que la France est déjà asphyxiée sous le poids écrasant des règlementations. En effet, depuis 1974 nous sommes passés de 13600 pages de normes inscrites au Journal Officiel à aujourd'hui plus de 26500, à telle enseigne que notre pays qui se voulait le défenseur et le promoteur des libertés individuelles est en pratique le champion absolue de leur privation. Cela ne choque d'ailleurs personne outre mesure alors même que paradoxalement des manifestations ont lieu régulièrement sur des sujets bien plus anodins et qu'en dehors peut-être de la Corée du Nord, tout semble désormais interdit dans le pays de Voltaire. D'autre part, cette atteinte nouvelle à une liberté n'est jamais compensée par l'octroi en retour d'une autre liberté, à telle enseigne qu'une majorité de français considèrent que notre démocratie verse dans une dictature fondée sur la norme, ce que le philosophe Habermas définissait comme un patriotisme constitutionnel. En revanche, s'il venait à être démontré que ce nouveau panoptique de Bentham apporte davantage de sécurité pour les personnes et les biens, le dispositif pourrait alors être davantage admis par la société civile car considéré comme légitime, au-delà de sa légalité. 

La CNIL ou la Cour des comptes ont averti le législateur des problématiques de cette proposition. Sur quoi portent leurs inquiétudes ?

Gérald Pandelon : La CNIL soulève la difficulté d'une surveillance généralisée de la population, d'une possible récupération de données censées être anonymes et de leur usage, au nom d'une transparence accrue dont les résultats sont hypothétiques. Ce type de "caméras intelligentes" dont le dispositif repose sur de l'intelligence artificielle (IA) conduirait, à rebours des louables intentions, à encore davantage contrôler, à établir des statistiques qui entrave nos libertés. Il est vrai que cette nouvelle incursion dans la vie privée risquerait d'aboutir à son effet inverse, une sorte d'apoplexie sociale. Mais le dispositif risque également de modifier notre rapport à l'espace public voire à l'essence même de ce qui constitue la République qui étymologiquement renvoie à la chose visible, ("Res publica"), par conséquent à une dimension qui ne saurait relever du secret, du caché, de l'invisibilisation du pouvoir. A ce stade, a priori, ces dispositifs de contrôle ne pourront être perçus que comme un frein supplémentaire à notre liberté, une liberté particulièrement écornée au pays des droits de l'homme...

Initialement, la vidéo surveillance algorithmique devait être testé jusqu’en 2025. Le projet de loi débattu le 15 mai étend ce délai jusqu’en 2027. Dans ce cadre, peut-on encore parler d’un ballon d'essai ?

Pierre Beyssac : Probablement pas, et c'est regrettable que ce soit désormais le mode opératoire concernant les lois de surveillance. On peut presque parler de tromperie sur la marchandise. Les ballons d'essai de ce type ont une fâcheuse tendance à être prorogés sans fin.

On peut citer un précédent symptomatique et qui avait fait couler beaucoup d'encre à l'époque, la disposition "boites noires" (écoutes par les services de renseignement sur nos réseaux de communication) de la loi renseignement de 2015 (loi n° 2015 912) qui devait donner lieu à un rapport d'étape du gouvernement au 30 juin 2018 au plus tard, permettant de juger de la pertinence de conserver, ou non, ce qui n'était initialement qu'un autre ballon d'essai.

Ce rapport a ensuite été repoussé au 30 juin 2020 (loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017) puis au 30 juin 2021 (loi n°2020-1671 du 24 décembre 2020). Finalement, l'article le prévoyant a été purement et simplement abrogé le 30 juillet 2021. La promesse de rapport est donc passée à la trappe. Près de 10 ans plus tard, la disposition est devenue permanente.

Le même processus semble à l'œuvre concernant la vidéosurveillance algorithmique.

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