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Electrochoc : Un projet d’Europe fédérale est-il dans les cartons pour le prochain sommet européen ?
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Intégration européenne

Inquiète de la situation de l'Espagne, et de la plongée de son indice boursier de 16% (le DAX), l'Allemagne prêche pour une refonte en profondeur des institutions européennes sur le modèle fédéral. Reste à définir les contours de ce fédéralisme, car rien ne laisse entendre que l'avis allemand soit partagé...

Guillaume  Klossa,Jacques Sapir,Jean-Luc Sauron

Guillaume Klossa,Jacques Sapir,Jean-Luc Sauron

Guillaume Klossa est président du think tank EuropaNova et ancien conseiller spécial du ministre en charge de la présidence française de l'UE. Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Jean-Luc Sauron est professeur à Paris Dauphine et président de l'Association des Juristes européens.

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Atlantico : Inquiète de la situation de l'Espagne, et plus particulièrement de la plongée de son indice boursier (le DAX), l'Allemagne prêche pour une refonte en profondeur des institutions européennes sur le modèle fédéral. Angela Merkel, la Commission européenne et Mario Draghi sont les fers de lance de ce dossier. La question du fédéralisme peut-elle s'engager dès le prochain Conseil européen ?


Guillaume Klossa : La conviction allemande est partagée par l'ensemble des grands partis, comme le CDU, les Verts, les Sociaux démocrates. Elle repose sur le constat que plus de solidarité entre européens est possible, à condition que le contrôle démocratique soit renforcé à l'échelon supranational dans la mesure où une solidarité financière accrue génère une co-souveraineté de fait, qui doit se traduire dans la réalité politique et institutionnelle nationale et européenne.

Par ailleurs, les Allemands ont le souci que les décisions soient proposées de manière rationnelle et soient prises rapidement, ce qui va dans le sens de la création d'un gouvernement européen dont la Commission est l'embryon. Angela Merkel a rappelé ces différents points dans une grande interview à huit quotidiens européens en février. Elle n'a eu de réponses d'aucun des grands candidats à la présidence de la République française.
Les Allemands en fait ne croit pas à une résolution de la crise européenne sans sursaut fédéral, mais rien ne laisse entendre que cet avis soit partagé...


Jacques Sapir : Ce plan prévoit quatre mesures, dont trois sont déjà existantes ou discutées depuis le mois de novembre. La création d’une Union bancaire est incontestablement une nécessité, mais se limite à la création d’un « conseil de surveillance » et d’un fonds de sauvetage, dont on comprend bien que les banques espagnoles, et demain portugaises, auront grand besoin. Rien n’est dit sur une harmonisation indispensable des règles de supervision et des réglementations de la banque de détail, alors que ce problème est en réalité le problème majeur. Le processus de contamination des banques européennes par la crise des « subprimes » aux États-Unis, mais aussi les prises de risques excessives des banques dans certains pays de la zone euro (Irlande, Espagne, Portugal), sont directement le produit de cette absence de réglementation unifiée. Après 5 années de crise, on constate que rien de décisif n’est fait en ce domaine.

Le plan, par contre, prévoit une nouvelle vague de réformes structurelles, largement inspirées des réformes allemandes, mais qui seraient étendues à tous les pays de la zone euro. Ces réformes, on le voit en Allemagne, conduisent à une modification brutale du partage des revenus entre profits et salaires, au bénéfice des premiers, et va accroître le contexte dépressif dans la zone euro. Ceci n’est rien d’autre que la proposition déjà faite au mois de février par Mario Draghi !

La création d’une Union Budgétaire figure dans ce plan. Mais, il ne s’agit pour ses auteurs que d’instaurer une plus grande discipline. Rien n’est dit sur une harmonisation des règles fiscales (refusée de fait par de nombreux pays) ou des dépenses mises en commun. Cette union n’est qu’une mesure, déjà proposée en décembre 2011, qui vise à donner la haute main à Bruxelles sur les budgets des États membres de la zone euro, mais ne prévoit strictement rien en mesures « positives » pour que l’on sorte de la crise.

Enfin, le plan évoque un « renforcement de l’Union politique », mais reste extrêmement vague sur ce point.

Jean-Luc Sauron : La réaction allemande correspond davantage à la réaffirmation d’une position de principe selon laquelle il est inenvisageable d’aller plus loin dans l’intégration financière et/ou budgétaire sans une véritable intégration politique.

Les affirmations d’Angela Merkel s’inscrivent dans le précédent projet d’union restreinte (« le noyau dur ») proposé par la CDU au gouvernement Balladur en 1994, sans succès du côté français. L’Allemagne (tous groupes politiques confondus CDU, CSU, SPD, Verts) ne fera plus d’effort sans un engagement précis sur un calendrier institutionnel en la matière. C’est une question qui n’a pas été débattue pendant la campagne présidentielle française. Il serait imprudent d’éviter ce débat lors de la campagne législative, si les Français veulent comprendre l’enjeu qui est sur la table du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains.  

Comment expliquer que l’Allemagne, habituellement inflexible, notamment sur une mutualisation des dettes, se prononce en faveur d’un plus grand fédéralisme là où les pays en difficultés comme l’Espagne y soit plus récalcitrant ?

Guillaume Klossa : L'Allemagne donne depuis 2 ans des signes qu'elle est prête à ouvrir le débat sur la mutualisation des dettes, à condition que le débat sur des institutions européennes plus efficaces et démocratiques soit ouvert. Il y a un deal qu'elle propose et qui est honnêtement et intellectuellement raisonnables. "On veut bien vous apporter notre caution et partager le risque, à condition que vous acceptiez la mise en place de contrôles démocratiques européens".

Jacques Sapir : Il n’y a nul fédéralisme dans ce plan, mais le camouflage de la position allemande sous les couleurs d’un soit disant fédéralisme. Ce plan ne fait que refléter, et consolider, la vision « disciplinaire » ou « punitive » d’un fédéralisme budgétaire qui est celle de l’Allemagne.

Un fédéralisme réel ne serait possible qu’à la condition d’être cohérent économiquement. Il faudrait donc pouvoir adosser le fédéralisme budgétaire au fédéralisme fiscal et social et prévoir d’emblée des flux de transferts importants. La position de l'Espagne s'explique par la peur de perdre ce qui lui reste de souveraineté directement au profit de Berlin. Un fédéralisme qui serait uniquement budgétaire ne pourrait être que contraignant, tout en ouvrant de nouvelles possibilités de dumping social ou fiscal.

En fait, ce que l’on appelle « l’option fédérale » ne peut plus dissimuler qu’elle n’est que le cache-sexe d’une politique disciplinaire imposée par un pays, l’Allemagne.

Jean-Luc Sauron : L’Allemagne n’est pas inflexible sur la solidarité. Elle prend des positions qui reposent sur des débats nourris tant au Bundestag, que dans la presse. C’est une des rares démocraties européennes à autant discuter d’affaires européennes dans ses débats parlementaires internes.

L’opposition solidarité / rigueur est un leurre... La vraie question est celle de l’intégration politique et de l’intensité des transferts de souveraineté vers la structure fédérale.

Le fédéralisme, tel qu'il est pensé par l'Allemagne, avec notamment un contrôle des dérapages budgétaires par une Cour européenne de justice, est-elle la seule alternative ? Un autre fédéralisme est-il possible ou l'Allemagne s'y opposera ?


Guillaume Klossa : Les Allemands ne sont pas bornés à un fédéralisme se limitant au contrôle budgétaire, ils veulent un débat. Aux autres européens et à la France d'apporter sa pierre à ce débat. Les gouvernements italien, luxembourgeois, belge ou polonais par exemple, ont fait savoir qu'ils y étaient favorables.


Jacques Sapir :Le pari du fédéralisme, tel qu'il est conçu à Berlin ou à Bruxelles, est une impasse politique dans la mesure où ce « fédéralisme » aboutirait au transfert massif du pouvoir politique vers l’Allemagne. La règle politique qui veut que qui dispose des fonds finit par décider s’imposerait en quelques années.

Le problème se pose alors du « pouvoir » résiduel qui pourrait être exercé par les classes politiques de l’Europe du Sud. Veulent-elles se retrouver d’ici quelques années dans la situation des élites locales des Antilles, de la réunion ou de la Polynésie ?

Rappelons que pour garantir un niveau de vie en tout état de cause inférieur à celui de la France continentale, il faut réaliser des transferts directs et indirects importants pour ces départements et territoires. Les flux de transferts représentent ainsi près de 60% du budget de la Polynésie. Ceci, acceptable dans le cadre d’un même pays, cesse de l’être entre pays différents. Par ailleurs, il faut rappeler qu’en dépit de ces subventions, les problèmes sociaux montent de manière importante que ce soit dans les Antilles ou à la Réunion, comme en ont témoigné les grèves générales de ces dernières années.

Un mécanisme de transferts permanents est à la fois coûteux (pour le donneur) et ne produit pas les effets espérés sur la région receveuse qui voit le système s’installer dans la durée et qui s’appauvrit au fil des ans.

L'Allemagne ne conçoit, d'ailleurs, que la dimension "punitive" ou "disciplinaire" de ce soi-disant fédéralisme car si des mesures réellement fédérales étaient appliquées elles impliqueraient un flux de transfert minimum pour faire face à la seule crise de liquidité que connaît aujourd’hui la zone Euro est estimé entre 3,5% et 4,5% du PIB de l’Allemagne. Or, ce niveau des flux de transferts n’est pas compatible avec la sécurisation à moyen et long terme des budgets sociaux de l’Allemagne, du fait de la chute démographique que ce pays connaît.

Jean-Luc Sauron : La question n’est pas tant le rôle donné à la Cour de justice pour sanctionner la non-transposition du pacte budgétaire, que l’importance de la rénovation démocratique des institutions européennes (Commission européenne, notamment) pour que ces dernières aient la légitimité à intervenir sur des domaines régaliens (budget, fiscalité) au cœur des souverainetés nationales.

Cet appel au fédéralisme n'est-il pas la preuve que l'Europe, telle que conçue actuellement dans ses institutions, est dépassée pour faire face à cette crise ?

Guillaume Klossa : L'Europe n'a pas été prévue pour faire face à des crises financière durables et majeures. Elle n'est pas non plus adaptée - pas plus que nos États nations - à la nouvelle donne géopolitique mondiale.

Elle reste une communauté d'États dominée par l’inter-gouvernementalisme, qui ne permet pas de prendre suffisamment rapidement - mais aussi de mettre en oeuvre de manière efficaces - les bonnes décisions pour prévenir ou gérer des crises. Il nous faut donc continuer à inventer l'Europe de demain. Le traité de Lisbonne offre un grand potentiel de modernisation de l'Union européenne, mais jusqu'à présent les États n'ont pas souhaité y recourir.

Jacques Sapir : Il est indéniable que la zone euro et l'UE sont aujourd'hui disfonctionnelles. Mais, la solution est en réalité dans le retour à plus de souplesse entre les pays. On sait que si l’on applique une monnaie unique (avec un seul taux de change) à des pays dont les structures économiques, mais aussi les dotations en facteurs de production, sont très divergentes, les écarts vont mécaniquement s’accroître dans le temps provoquant un phénomène de divergence massive.

Compte tenu des rigidités des prix nominaux, des politiques de dévaluation seraient bien plus efficaces et bien moins coûteuses que des politiques de déflation salariale qui menacent de plonger les différents pays de la zone euro dans une dépression généralisée et de longue durée. Si nous voulons sauver l'Europe, peut-être faut-il en finir avec la zone euro.

Jean-Luc Sauron : Il est majeur de comprendre que l’Europe fédérale ne pourra avancer que sur deux jambes : celle de la rénovation des démocraties nationales pour permettre aux institutions nationale de continuer à jouer leur rôle dans un cadre fédéral ; celle de la révolution institutionnelle européenne pour donner sa légitimité à la Commission européenne comme gouvernement fédéral.

Ces deux directions demandent du temps et nécessitent de vrais débats au sein des populations des 27 États membres. Cette nouvelle Europe fédérale ne sera pas la simple prolongation de la construction communautaire des années 1950. Ce contrat social européen refondé devra faire l’objet, pour être partagé, d’une acceptation clairement exprimée par les Européens. Les efforts seront considérables pour construire les États-Unis d’Europe. Ils ne pourront être assumés que par des volontaires au fait des engagements à prendre et à supporter.

Ce qui est en train de disparaître sous nos yeux, c’est une Europe à 27, 28 ou plus d’États membres. L’Europe fédérale qui se prépare ne concernera, du moins à ses débuts, que moins d’une dizaine d’États.


Propos recueillis par Franck Michel

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