Procrastination : pourquoi sommes-nous toujours plus nombreux à tout remettre au lendemain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Remettre au lendemain : la procrastination est un phénomène qui semble toucher une part grandissante de la population.
Remettre au lendemain : la procrastination est un phénomène qui semble toucher une part grandissante de la population.
©Reuters

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95% de la population mondiale serait atteinte de procrastination. Education, manque de confiance en soi, perfectionnisme... d'où vient cette tendance à tout remettre au lendemain ?

Repousser, remettre au lendemain : la procrastination est un phénomène de plus en plus connu, qui semble toucher une part grandissante de la population. Ce n'est pas qu'une impression, selon le spécialiste Piers Steel : "à l'époque d'Internet, des jeux vidéos et des réseaux sociaux, il est plus difficile que jamais de rester concentré à sa tâche et d'éviter les distractions", a-t-il expliqué à Inside Higher Ed.

Professeur à la Haskayne School of Business de l'Université de Calgary, Piers Steel a mené une large recherche a ce sujet et a abouti à une estimation inquiétante : 95% de la population mondiale serait victime de procrastination un jour ou l'autre. Et selon le professeur Joseph Ferrari de l'Université de DePaul à Chicago, 20% de la population mondiale est atteinte de procrastination chronique. D'après ce spécialiste, il ne s'agit pas d'un problème de gestion du temps : les personnes qui sont sujettes à ce phénomène savent parfaitement évaluer les délais. Simplement, elles choisissent de ne pas les respecter. Il s'agirait selon lui davantage d'un problème de self-contrôle et d'autorégulation. D'ailleurs, les procrastinateurs ont aussi tendance à boire davantage d'alcool que la moyenne, ce qui est un signe de manque d'autorégulation.

Dans Psychology Today, Ferrari explique également que la procrastination trouve sa source dans l'éducation. C'est un phénomène acquis et non inné, qui trouve souvent son origine dans une éducation autoritaire. Un père dur et enclin au contrôle provoquerait chez ses enfants une difficulté à se réguler, "à internaliser leurs propres intentions et donc à apprendre à agir sur elles".

Selon Piers Steel, auteur du livre L’Équation de la procrastination, le phénomène aurait trois racines principales, qui correspondent toutes à un manque de motivation. La motivation serait en effet le contraire absolu de la procrastination. Le manque de motivation pourrait provenir de trois sources. Tout d'abord, des problèmes d'anticipation et un manque d'espoir dans sa propre réussite : le procrastinateur s'attend à échouer dans sa tâche, et donc il ne l'accomplit pas. Il s'agit d'une forme de manque de confiance en soi. Cette hypothèse est partagée par Joseph Ferrari, qui remarque que les procrastinateurs cherchent parfois activement des distractions, qui sont un moyen pour eux de réguler leurs émotions et d'oublier leur peur de l'échec.

Il peut aussi s'agir d'un manque de considération pour l'activité en question : si ce travail n'a pas de valeur, pourquoi l'accomplir ? Enfin, étonnamment, un excès d'impulsivité peut aussi mener à la procrastination, selon les recherches de Piers Steel : "Les personnes qui agissent sans réfléchir, qui sont incapables de garder leurs sentiments sous contrôle, qui agissent par impulsion, sont aussi celles qui procrastinent."

Pourquoi ? Parce que le plaisir ne saurait attendre, contrairement aux autres obligations. Pas question d'attendre une gratification différée en s'attelant à une difficile besogne pour espérer, plus tard, être récompensé. Plutôt que de réviser pour un examen, les impulsifs préfèrent se jeter immédiatement sur les plaisirs faciles, comme regarder la télévision. La tentation du présent est trop forte, et quand bien même le plaisir de réussir un examen serait plus intense, il reste trop éloigné.

Ainsi, les personnes atteintes de "Troubles du déficit attentionnel" (ou ADHD) sont particulièrement sujettes à la procrastication. Ces personnes présentent un déficit de concentration, souvent associé à une hyperactivité : elles ont toujours trop de choses en tête, en trop de choses à faire. Un défaut qui est encore accentué si, pour couronner le tout, vous devez attendre longtemps avant de bénéficier des récompenses et autres bénéfices liés à l'accomplissement de la tache. C'est le facteur "délai" : plus la récompense risque de se faire attendre, plus la tache est retardée par le procrastinateur impulsif, qui – paradoxalement - déteste attendre.

La combinaison de ces différents facteurs à parmi à Steel d'établir sa fameuse "équation de procrastination" : "Motivation = (Espoir x Valeur)/ (Impulsivité x Délai)". Comme l'indique la formule, plus l'espoir de réussite et la valeur accordée à la tache sont faibles, plus grande sera la procrastination. Plus grands seront l'impulsivité et le délai avant la récompense, plus la tendance à la procrastination augmentera.

Pour résumer ses recherches, le professeur schématise simplement dans une vidéo sur son compte YouTube : "Il y a un nombre infini de choses à faire, et nous pouvons toujours les faire mieux" :

Mais la procrastination a peut-être des origines insoupçonnées. Car paradoxalement, il n'est pas toujours néfaste de remettre les choses au lendemain. Cette mauvaise habitude pourrait même avoir des vertus méconnues, selon le Wall Street Journal. Car les procrastinateurs sont bien souvent des procrastinateurs organisés : en remettant leurs tâches à plus tard, ils privilégient d'autres activités.

John Perry a poussé la logique jusqu'au bout, dans son ouvrage intitulé "Comment devenir un meilleur procrastinateur". L'auteur explique que les procrastinateurs s'avèrent en réalité plus productifs et créatifs. Malgré les apparences, ils seraient même assez organisés, ou plutôt, selon son vocabulaire, "structurés". "Bien qu'ils mettent de coté quelque chose de potentiellement important, leur façon de ne pas faire la chose importante est de faire autre chose. Comme par exemple lire au lieu de terminer leur rapport à temps. Malgré tout, ces personnes culpabilisent à l'idée d'être des procrastinateurs et ennuient souvent leur entourage.

Ce type de procrastinaion est celui des grands perfectionnistes très performants, mais presque toujours condamnés à être insatisfaits et déçus par leurs propres performances tant leurs aspirations sont grandes. Rien d'étonnant donc, à ce que la procrastination touche prioritairement certaines professions intellectuelles, comme les universitaires ou des écrivains professionnels.

Julie Mangematin

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