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Quelles séquelles psychologiques sont-ils susceptibles de conserver après leur captivité ?
Quelles séquelles psychologiques sont-ils susceptibles de conserver après leur captivité ?
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Otages

Désormais libres, les deux journalistes de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, retenus prisonniers en Afghanistan pendant 547 jours, sont arrivés ce jeudi en France. Quelles séquelles psychologiques sont-ils susceptibles de conserver après leur captivité ? Les explications de François Lebigot, psychiatre militaire.

François Lebigot

François Lebigot

François Lebigot est psychiatre des armées et professeur agrégé à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce.

Membre de l'association Otages du monde, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le traumatisme psychique (Fabert, 2011).

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Atlantico : Comment des otages appréhendent-ils le passage de la captivité à la liberté ?

François Lebigot : Dans un premier temps, c’est un sentiment de soulagement, de libération, et même d’euphorie. C’est la fin d’un cauchemar. Puis, dans un second temps peuvent survenir des difficultés psychologiques en rapport avec ce que les otages ont vécu en captivité. Des difficultés qui peuvent être simplement d’ordre dépressif, anxieux, en particulier pour ceux pour qui il est difficile de renouer avec les proches qu’ils retrouvent après une longue absence, ou si l’accueil n’est pas à la hauteur de ce qu’ils auraient attendu. Lors d’une absence d’un ou deux ans, il peut se passer beaucoup de choses.


Quelles sont les conséquences et les séquelles psychologiques observées après une prise d’otage ?

Elles sont dans tous les cas en rapport avec les événements qui se sont déroulés lors de la captivité et s’il y a eu ou non des moments traumatiques. Lorsque les sujets ont traversé une expérience de mort, qu’il s’agisse par exemple d’un pistolet pointé sur la tempe avec menace de tirer, ou d’autres types de scénarii ou de mises en scène, se développe ce que l’on appelait autrefois une névrose traumatique et que l’on appelle aujourd’hui, un état de stress post-traumatique qui comporte des cauchemars répétant au détail près l’événement traumatique. On a alors le sentiment que l'événement est en train de se produire une nouvelle fois, la nuit ou même parfois la journée : cela se sur-imprime à la réalité que les gens sont en train de vivre et, tout d’un coup, ils sont saisis par un sentiment de mort imminente, avec des gestes d'auto-protection ou de possibles agressions envers des personnes identifiées à l’agresseur. Ces phénomènes s’accompagnent généralement de symptômes moins spécifiques de la névrose traumatique, comme des angoisses, des phobies, une dépression, des troubles du caractère (repli, irritabilité) ou de conduite (suicide ou tentatives de suicide), un usage abusif d’alcool ou de drogues, ou des maladies psychosomatiques (diabète, hypertension, maladies de peau).


Et concernant les conséquences sur la vie amoureuse, sociale ou professionnelle ?

Cela dépend de la gravité de la névrose. La vie amoureuse peut être troublée par une diminution de la libido voire le développement d’une impuissance sexuelle dans certains cas. La vie sociale peut être perturbée en particulier par des troubles du caractère ou une dépression : ce sont des gens qui perdent leur emploi et d’autres qui, confrontés à de tels conflits conjugaux, finissent par se séparer ou divorcer. Certains, même, se retrouvent en situation de misère sociale et finissent dans la rue. Il s’agit là de phénomènes observables en cas de névrose traumatique relativement grave qui n’affectent heureusement pas tout le monde mais qui restent très liés au vécu de l’individu et au traumatisme psychique, c’est à dire à la rencontre avec la mort de soi.


Quelle est la prise en charge habituelle après un tel traumatisme ?

Cette prise en charge est très diverse, mais trop souvent les anciens otages préfèrent que la famille s’en charge. Si les troubles sont importants, cela n’est pas efficace et donc dangereux. En revanche, s’il s’agit de troubles plus légers, le soutien des proches peut suffire à faire disparaître les troubles, mais rarement les cauchemars en cas de névrose traumatique. Quand les choses sont bien faites et elles ne le sont pas très souvent, les victimes sont vues et suivies par un médecin spécialisé. De plus en plus, un psychiatre de la cellule d’urgence médico-psychologique de Paris, envoyé par le ministère des Affaires étrangères, peut amorcer une prise en charge voire élaborer un suivi psychologique. La prise en charge spécialisée reste une très bonne chose parce que, même en cas de troubles graves, une prise en charge précoce est presque une garantie de succès, précoce signifiant peu de temps après leur traumatisme. Pour ceux dont le traumatisme est intervenu dès le moment de la capture, cela sera plus difficile.


Quels sont les mécanismes psychiques mis en jeu pour résister à la détention ?

Le mécanisme le plus simple, c’est croire que l’on va s’en sortir, ne pas perdre espoir : cela dépend des rapports entretenus avec les preneurs d’otages, ou s’il est possible pour les otages de capter des informations à la radio ou à la télévision et s’apercevoir que l’on parle d’eux au pays. Il existe par ailleurs des mécanismes plus proches de la pathologie et qui sont de l’ordre du déni, c’est à dire une négation de l’événement en cours, de la détresse. Il peut s’agir d’une véritable “bombe à retardement” : quand le déni va sauter, il peut y avoir rétrospectivement une réaction à la réalité de l’événement vécu et non pas à cette réalité modifiée par le déni.


Quelles conséquences peut avoir la médiatisation sur des otages tout juste libérés ?

Au début, cela peut participer d’un certain réconfort, de cette reconnaissance de la souffrance endurée, mais s’ils s’enferment dans cette position de victimes, plaintes par tout le monde, cela peut enclencher un mécanisme dangereux de victimisation, de se sentir constamment victime et que le gens ne leur renvoient finalement que cette image. Parce qu’il y a bien un moment où il faut en sortir. Il ne suffit pas d’en sortir physiquement mais aussi psychologiquement, et trop de sollicitations qui durent, n’aident pas les ex-otages à reprendre leur vie là ou ils l’avaient laissée. On l'a notamment vu avec les otages du Liban où chacun a réagi sur l’un ou l’autre de ces modes là.

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