Principe de précaution sur les OGM : le prince Charles, ce redoutable lobbyiste face à Tony Blair<!-- --> | Atlantico.fr
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Philip Kyle a publié « Charles III » aux éditions Perrin.
Philip Kyle a publié « Charles III » aux éditions Perrin.
©CARL DE SOUZA / AFP

Bonnes feuilles

Philip Kyle a publié « Charles III » aux éditions Perrin. Charles est l'héritier direct de la couronne britannique à avoir attendu le plus longtemps son accession au trône. Aujourd'hui roi, qui est Charles III ? Comment sa vie publique et privée l'a-t-elle préparée à assumer la fonction de chef d'État du Royaume-Uni et de 14 autres pays, ainsi que de celle de chef du Commonwealth ? Extrait 2/2

Philip Kyle

Philip Kyle

Philip Kyle est né en 1983 de parents britanniques émigrés en France. Éduqué en France et au Royaume-Uni, il est parfaitement bilingue. Pendant près de trois ans, il travailla pour la Fondation du Prince Charles, The Prince's Trust, où il s'occupait des relations avec la presse. Depuis, il a travaillé au service communication de la BBC, puis a dirigé celui de la chaîne d'information internationale Euronews. Avec Charles III, Philip Kyle signe sa première biographie.

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Alors qu’il avait largement été ignoré par Margaret Thatcher, qu’il agaçait, trouva­-t-il en Tony Blair une oreille plus attentive ?

Si Charles se méfiait de la doctrine du New Labour et de sa méthode, sa relation avec le Premier ministre était plus complexe. Il avait pu initialement être agacé par sa proximité avec son ex-épouse, par exemple lorsque Blair invita Diana et ses fils à Chequers, sans l’en informer. Charles le vit toutefois sous un nouveau jour lorsqu’il l’accompagna aux événements marquant la rétrocession de Hong Kong à la Chine, en juillet  1997. Dans son journal de l’époque, dont des extraits furent livrés à la presse par un ex-employé, il écrivit que Tony Blair était une personne avec laquelle il était « très agréable » de parler, « peut-être en partie parce qu’il est plus jeune que moi », précisa-t-il. Charles remarqua par ailleurs que le Premier ministre donnait « aussi l’impression d’écouter ce que l’on dit, ce que je trouve étonnant ». Cette écoute, il put l’apprécier également lors du décès de la princesse de Galles et dans les jours qui suivirent, au cours desquels le Prince et le Premier ministre travaillèrent de concert pour faire prendre conscience à la reine de l’ampleur des attentes du peuple britannique.

Blair ménageait le Prince, prenait soin de lui répondre et donnait parfois une suite favorable à ses nombreuses demandes. Charles le sollicita par exemple pour retarder la transposition d’une directive européenne visant à soumettre les produits de phytothérapie à une autorisation préalable, après avoir reçu une fin de non-recevoir du ministre de la Santé. Blair répondit favorablement au Prince et tint parole en ne transposant la directive en droit anglais qu’en 2011, date butoir imposée par la législation européenne.

S’il pouvait trouver des points de convergence avec Blair, un autre sujet agita grandement le Prince et l’opposa au gouvernement  : celui de la culture des OGM. Alors que le gouvernement voulait l’autoriser, le Prince s’exprima dans une interview au Daily Telegraph en 1998, avertissant que les scientifiques s’aventuraient dans des domaines « qui appartiennent à Dieu et à Dieu seul ». Prenant l’exemple du DDT et celui de l’amiante, Charles demandait plus de prudence face à ce qui était présenté comme une avancée scientifique. Le Premier ministre rencontra Charles à Highgrove au mois de septembre suivant pour tenter de trouver un terrain d’entente. N’y parvenant pas, il dépêcha l’un de ses ministres, Peter Mandelson, dont Charles était proche, qui avertit le Prince que sa position était non scientifique et potentiellement irresponsable face à la pénurie alimentaire dans le monde.

Charles ne fut pas convaincu et s’exprima à nouveau sur le sujet quelques mois plus tard, dans une tribune pour The Daily Mail, après que le ministre de l’Agriculture eut annoncé que des tests sur la culture d’OGM seraient autorisés et qu’il eut déclaré celle-ci « sûre ». Le Prince discrédita l’argument de la pénurie alimentaire en le qualifiant de « chantage affectif » et pointa du doigt l’absence de recherche scientifique indépendante sur les OGM. Le gouvernement prit garde de ne pas l’attaquer sur ce sujet et s’en prit plutôt aux médias, les accusant d’attiser l’« hystérie » sur cette problématique. L’année suivante, Charles accepta l’invitation de la BBC à venir s’exprimer dans le cadre de son cycle de conférence « Reith Lectures ». Il choisit de parler des OGM, plaidant pour l’application du principe de précaution et s’étonnant que tant d’investissements soient dédiés au développement des cultures « génétiquement manipulées » plutôt qu’« à la compréhension et à l’amélioration des systèmes agricoles traditionnels, qui ont résisté à l’épreuve du temps ».

Par ailleurs, lorsqu’une épidémie de fièvre aphteuse éclata, quelques mois plus tard, et que le gouvernement dut ordonner l’abattage de plus 6 millions d’animaux et interdire les exportations, Charles continua à se positionner en héraut du monde rural, allant jusqu’à faire un don de 500 000 livres aux éleveurs en difficulté. Dans une lettre à Tony Blair, il imputa l’apparition de l’épidémie aux règles européennes ayant conduit à la fermeture de nombreux abattoirs locaux, forçant les fermiers à conduire leurs animaux à de grands abattoirs, facilitant ainsi la propagation de la maladie. Avec patience, Blair répondit à Charles, contestant sa version des faits, expliquant que la cause était plutôt à chercher dans les eaux grasses distribuées aux animaux qui n’avaient pas été bouillies.

Le lobbying intense du Prince auprès du gouvernement dans la première décennie du XXIe siècle, rapporté çà et là dans la presse britannique, piqua la curiosité de certains journalistes, qui voulurent s’y pencher de plus près. Ils avaient depuis quelques années un nouvel outil à leur disposition : le Freedom of Information Act, une loi de 2000 sur la liberté de l’information permettant et régulant l’accès à des documents administratifs au Royaume-Uni. Le journaliste d’investigation du quotidien The Guardian Rob Evans déposa une demande auprès du gouvernement pour avoir accès à la correspondance entre le Prince et les ministres. Il se vit opposer une fin de non-recevoir22. Persuadé d’être dans son bon droit, The Guardian engagea alors une action judiciaire qui dura près de dix ans et qui aboutit à la publication, en mai 2015, de vingt-sept lettres couvrant la période entre septembre 2004 et avril 2005.

La lecture des lettres, qui furent surnommées les « notes de l’araignée noire » en raison de la calligraphie à l’encre noire peu lisible du Prince apposée sur les courriers dactylographiés, ne révéla rien d’extraordinaire, de sorte que The Guardian lui-même s’interrogea sur la raison pour laquelle le gouvernement avait tant résisté à leur publication –  et dépensé la bagatelle de 400 000 livres en frais de justice ! Elles « sont à la fois fascinantes et un peu ennuyeuses », concéda le quotidien. Certaines de ces lettres, comme le soulignait l’éditorial qui accompagnait leur publication, reflétaient les centres d’intérêt très confidentiels du Prince. Ainsi, il se fendit par exemple d’un courrier au ministre chargé de la pêche pour l’encourager à faire figurer la pêche illicite de la légine australe « en tête de [sa] liste de priorités », s’inquiétant que tant que ce commerce perdurerait il y aurait « peu d’espoir pour le pauvre albatros ».

Le Prince se prononçait donc sur des thématiques reflétant très largement des engagements qui étaient déjà connus et qui pouvaient être justifiés par ses fonctions actuelles ou futures  : l’éducation, la médecine alternative ou encore, bien sûr, la ruralité – l’une des lettres demandait au Premier ministre de procéder à l’abattage de blaireaux afin d’empêcher la propagation de la tuberculose bovine. Son rôle auprès de l’armée le poussa par exemple à exhorter Tony Blair à remplacer les hélicoptères Lynx, compte tenu de leur inadaptation aux conditions climatiques en Irak. Blair fut réceptif aux recommandations du Prince, lui donna raison et promit que leur remplacement serait une priorité.

À la publication des lettres, le cabinet de Charles se désola que le « principe de confidentialité [n’ait] pas été retenu », déplorant que leur publicité puisse « entraver [la capacité du Prince] à exprimer les préoccupations et les suggestions qui lui ont été soumises au cours de ses voyages et de ses rencontres ». Comme l’admit The Guardian, aucune des lettres ne montrait un parti pris envers l’un ou l’autre des partis politiques britanniques. Le très monarchiste Daily Telegraph vola au secours du Prince, critiquant l’action de son rival et posant une question légitime : « Combien de temps avant qu’un journaliste du Guardian n’insiste pour que soient publiés les comptes rendus de ce que Sa Majesté dit à David Cameron lors de ses réunions [hebdomadaires avec le Premier ministre], et vice versa ? »

La loi sur la liberté d’information a toutefois été amendée depuis –  en 2010  –, de manière à imposer une exemption absolue sur les communications avec le souverain, son héritier et le deuxième dans la ligne de succession au trône – ou avec les personnes parlant en leur nom. Cette exemption s’appliquant sur une durée de vingt ans à compter de la création du document ou de cinq ans à compter du décès du membre de la famille royale auquel l’information se rapporte – la période la plus longue étant retenue.

Extrait du livre de Philip Kyle, « Charles III », publié aux éditions Perrin

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