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Prime Macron : alerte au dérapage budgétaire ?
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Spectre des Gilets jaunes

D'après les statistiques de la CAF, 4,1 millions de foyers ont touché la prime d’activité lors du premier trimestre 2019. L’État avait annoncé fin août qu’il consacrerait 8,8 milliards d’euros à cette aide pour 2019. Le coût total a finalement été revu à la hausse et va atteindre 10 milliards d’euros. Cette allocation peut-elle faire déraper le budget de l’État à long terme ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : La prime d’activité est une prestation sociale qui permet de compléter les revenus des travailleurs salariés ou autonomes aux ressources modestes. Selon les statistiques communiquées par la CAF, 4,1 millions de foyers ont touché la prime d’activité lors du premier trimestre 2019. L’État avait annoncé fin août qu’il consacrerait 8,8 milliards d’euros à cette aide pour 2019. Le coût total a finalement été revu à la hausse. Pour cette année 2019, le montant total alloué à la prime d'activité va atteindre les 10 milliards d’euros. La prime d’activité s’élève à 186 euros par personne en moyenne.

Quel est le poids de cette allocation ? Peut-elle faire déraper le budget de l’État à long terme ?

Michel Ruimy : A fin 2018, un peu moins de 3 millions de foyers bénéficiaient de la prime d’activité. Mais, depuis qu’au début de l’année, Emmanuel Macron a accepté, en réponse à la crise des « Gilets jaunes », d’élargir les conditions d’éligibilité à l’obtention de cette prime, les caisses d’allocations familiales sont débordées par les demandes. En glissement annuel, le nombre de bénéficiaires a augmenté de plus de 50% ! A fin juin 2019, plus de 4 millions de foyers en jouissaient. 

En outre, le montant de la prime a été élevé. En moyenne, chaque bénéficiaire touche à peu près 185 euros par mois, soit 90 euros de plus qu’auparavant.

Tout ceci a naturellement un coût pour l’Etat. Une décision qui équivaut à 9,5 milliards soit 785 millions d’euros de plus qu’anticipé. Pour pouvoir faire face à ce surcoût, le ministre de l’Economie a dû récupérer une partie des budgets non dépensés par certains ministères.

Il est certain qu’avec la simplification des démarches et la suppression de la déclaration trimestrielle des ressources, et dans une période où certains retrouvent un travail, on peut s’attendre à ce que le nombre de bénéficiaires s’accroisse dès le mois prochain et, avec lui, un dérapage budgétaire, toutes choses égales par ailleurs. En effet, le coût de la prime d’activité augmente avec son efficacité puisque des gens retrouvent un travail, souvent d’abord à temps partiel.

Que pourrait-il se passer et quelles pourraient être les conséquences d’un point de vue budgétaire en période de crise ?

Afin notamment de financer les mesures liées à la « crise des Gilets jaunes », le gouvernement a, au cours du premier semestre de cette année, dégradé les prévisions de déficit public (+ 0,1 point de pourcentage) pour les années 2020, 2021 et 2022 par rapport aux chiffres du programme de stabilité déjà établi.

De plus, il a prévu, pour 2020, d’augmenter (+0,3%), dans un souci de justice sociale, la plupart des prestations sociales qui bénéficient à nos concitoyens les plus fragiles (prime d’activité, allocations logement, allocations familiales, allocation aux adultes handicapés). 

On voit donc que le gouvernement doit gérer de nombreuses contraintes financières tout en ayant peu de marges de manœuvre. Dès lors, le déficit public restera-t-il dans les « clous européens » ? Les mesures d’économie, parfois sensibles au plan politique, suffiront-elles à contenir la hausse des dépenses publiques ? Si c’est le cas, ces coupes budgétaires vont-elles détériorer encore un peu plus la popularité du gouvernement ? Tels sont quelques-uns des problèmes à résoudre pour nos dirigeants dans un contexte de ralentissement attendu de la croissance et d’inquiétudes sur l’économie mondiale.

Plusieurs pistes pourraient être envisagées pour contenir les dépenses comme notamment rendre temporaire, une partie de la prime. Mais ceci en modifierait profondément la nature, et diminuerait, in fine, l’écart entre les revenus du travail et l’inactivité. Il pourrait également investir dans les domaines de la petite enfance, de l’éducation et de la formation professionnelle plutôt que s’appuyer exclusivement sur les « logiques de guichet ».

Comment expliquer cette situation alors que le président de la République avait promis des efforts en matière budgétaire ?

Alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron pensait que revenir dans les normes budgétaires permettrait à la France de se placer au premier plan de la scène européenne. Depuis, la donne a évolué. Dans l’environnement actuel, le président de la République souhaite remettre en cause la pertinence des règles européennes de finances publiques, qui sont davantage des règles politiques (pour garantir la bonne gestion budgétaire des Etats souhaitant intégrer la zone euro) qu’économiques. Aujourd’hui, elles doivent être lues de manière flexible car la zone euro a besoin d’un stimulus budgétaire. Le problème est que la relance pourrait venir de pays déjà très endettés, comme l’Italie et la France, plus que de l’Allemagne.

Pour autant, au-delà de ces règles de finances publiques, il convient de considérer le déficit structurel. Cet indicateur mesure les efforts de baisse des dépenses publiques ou de hausse d’impôts qui servent à combler le déficit, hors influence de la conjoncture. L’objectif serait d’arriver à un déficit structurel quasiment nul en quelques années. Une règle qu’Emmanuel Macron s’est bien gardé d’appliquer depuis le début de son mandat, considérant qu’une réduction du déficit structurel s’apparenterait à de l’austérité budgétaire, ce qui saperait la croissance et aurait des effets contreproductifs sur les comptes publics. 

Or, concernant la gouvernance européenne, l’histoire nous enseigne que les Etats ont eu une fâcheuse tendance à s'écharper sur le respect de règles qui n’ont jamais été appliquées très strictement. La règle des 3% ne contraint plus, de nos jours, aucun des États membres, qui sont revenus en-dessous de cette cible (sauf la France en 2019 en raison de circonstances exceptionnelles, ce qui n'implique pas de restriction budgétaire supplémentaire). De même, ils sont, en théorie, contraints de réduire leur déficit structurel, ce qui n’est pas vraiment appliqué non plus. Ainsi, ces mesures sont, en général, restées quasiment lettre morte. Sur le papier, Emmanuel Macron semble donc avoir raison de s’attaquer au respect de ces dispositions.

Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, la France n’a plus de marges de manœuvre. Le niveau bas des taux d’intérêt actuel est un « don du ciel ». Certes, nous pouvons emprunter pour honorer les échéances de notre dette de 2 415 milliards, mais de grâce n’en abusons pas ! Car, un jour, il faudra bien finir par en rembourser une bonne partie. N’allons pas alors jusqu’à la crise.

Selon certains observateurs, un accroissement significatif du nombre de bénéficiaires devrait être enregistré au mois de janvier 2020. Au regard des difficultés liées à la réforme des retraites, ce dossier de la prime d’activité ne risque-t-il pas de perturber le budget pour la fin du quinquennat ?

Plus que la prime d’activité, il convient de se pencher sur les prestations sociales, en général. Celles-ci constituent la moitié des dépenses publiques et sont financées par 2/3 des prélèvements obligatoires. La France est ainsi le pays d’Europe qui a le plus haut niveau de dépenses sociales… pour un résultat qui n’est pas à la hauteur. 

Mais, la question n’est pas de savoir s’il y a trop ou pas assez d’aides sociales mais de savoir si notre modèle fonctionne, s’il est efficace dans sa lutte contre la pauvreté. Le constat est cinglant : nous ne sommes pas au niveau de service et d’efficacité que nous sommes en droit d’attendre. 

De plus, la question de la prime d’activité ne doit pas être abordée uniquement sous un angle budgétaire, même s’il faut prêter attention aux coûts. La question qui vaille la peine de se poser pour les Français est de savoir si nous souhaitons inciter certaines personnes à reprendre une activité.

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