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Primaires américaines : attention, un candidat républicain effrayant (Donald Trump) peut en cacher un autre… encore pire (Ted Cruz)
©Reuters

Les Républicains piégés

L'avance de Donald Trump dans la course républicaine semble se ralentir tandis qu'une victoire de l'ultraconservateur Ted Cruz à l'investiture en juillet est de plus en plus probable. Si aucun des deux candidats ne représente l'histoire du parti républicain, l'excès d'attention accordée à Trump a occulté l'ascension du sénateur texan, plus nocif encore que le magnat de l'immobilier.

Yannick Mireur

Yannick Mireur

Yannick Mireur est l’auteur de deux essais sur la société et la politique américaines (Après Bush: Pourquoi l'Amérique ne changera pas, 2008, préface de Hubert Védrine, Le monde d’Obama, 2011). Il fut le fondateur et rédacteur en chef de Politique Américaine, revue française de référence sur les Etats-Unis, et intervient régulièrement dans les médias sur les questions américaines. Son dernier ouvrage, Hausser le ton !, porte sur le débat public français (2014).

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Atlantico : Suite aux primaires républicaines du 8 mars, Donald Trump, magnat de l’immobilier, et Ted Cruz, sénateur du Texas, se distinguent comme les deux seuls candidats pouvant toujours prétendre à l’investiture du parti républicain. Sur quels points Donald Trump et Ted Cruz se retrouvent-ils et à l’inverse quels sont leurs principaux désaccords ? 

Yannick Mireur :Ils se retrouvent surtout sur le mode insurrectionnel qui flotte côté républicain depuis l’avènement du Tea Party. Tous deux voguent sur cette vague puissante, surtout parmi la classe moyenne traditionnelle et les Etats centraux et du sud. Mais Trump n’a pas véritablement de programme, il navigue à vue et ses excès ne sont pas à prendre à la lettre. Cruz est plus idéologue et il est élu du Texas, où son assise est solide. Par exemple, le discours anti-régularisation des immigrés clandestins les rapprochent. Ils se distinguent par leur personnalité et leur trajectoire, l’un est un homme d’affaires, l’autre un homme politique, mais ils se ressemblent par leur singularité ; ils ne drainent pas un mouvement structuré, Trump est un outsider et Cruz est le mal-aimé chez les républicains.

La course à l'investiture chez les républicains est largement dominée par Donald Trump. Toutefois, le fait que Ted Cruz soit le seul capable de résister à son ascension va probablement lui attirer de nombreux soutiens. Ted Cruz a-t-il vraiment une chance de "battre" Donald Trump ? 

Depuis janvier, selon un sondage de ABC/Washington Post de cette semaine, l’écart se réduit entre eux, de 16 à 9 points d’intention de vote chez les sympathisants républicains au plan national (34% pour Trump contre 25% pour Cruz). Et 51% des sondés déclarent être satisfaits d’une candidature Trump contre 65% d’une candidature Cruz – et 62% d’une candidature Rubio... La cible est mouvante et tout est affaire de dynamique. Or, celle de Trump semble se ralentir, malgré l’avance déjà prise. Par exemple dans l’Ohio, en jeu le 15 mars pour tous les 66 délégués au vainqueur, Trump est distancé par le gouverneur et candidat, Kasich, mais de peu, et un tiers des votants aux primaires de l’Etat déclarent n’avoir pas fait leur choix…

Que les figures du parti révisent leur jugement sur Cruz, dont ils ont dit pis que pendre, parce qu’il est le porte-voix sans faille de la ligne dure du parti et en tant que tel plus "légitime" qu’un Trump, n’est pas nécessairement un gros plus ; c’est se déjuger, et adouber le mouton noir désigné du groupe sénatorial pour la Maison-Blanche ! Ce n’est pas de nature à raccommoder les liens entre l’opinion et le monde politique.

Ted Cruz est impopulaire au sein de son parti. Le sénateur de Caroline du Sud, Lindsey Graham, a carrément déclaré le 25 février que si quelqu’un assassinait Ted Cruz dans l’enceinte du Sénat, personne ne trainerait le coupable en justice. En outre, le candidat Marco Rubio, grand favori du parti républicain est désormais hors-jeu. Seuls Donald Trump et Ted Cruz sont crédibles. Lindsey Graham a comparé l'arbitrage entre ces deux candidats au choix entre une balle dans la tête et du poison. Quelles sont les causes de l'aversion pour Ted Cruz ? Une victoire de ce dernier serait-elle encore davantage à craindre qu’une victoire de Donald Trump ? 

A sa manière, Cruz pâtit du même désamour qu’Hillary Clinton, dont la personnalité n’émeut pas les cœurs. Ce n’est pas un personnage aimable. Il est bien connu des dirigeants républicains car sa carrière a démarré en 2000 sous les auspices de la candidature de Bush Jr. Son style provocateur hérisse. Mais l’important est de retenir qu’un candidat comme Cruz peut remporter l’investiture en juillet (soit 1 237 votes sur 2 472) avec moins de délégués et d’Etats aux primaires et aux caucus, car les délégués ne sont pas liés dans la désignation finale. Cela dépend des règles en vigueur dans chaque Etat et par ailleurs du scrutin : si une majorité ne se dégage pas pour la premier tour de l’investiture, tous les délégués reprennent leur liberté. Bref, des manœuvres de couloir peuvent, si l’écart est raisonnable, amener à désigner un autre candidat que le favori, particulièrement dans le contexte de deux candidats qui ne représentent pas l’histoire du parti. Ni Trump ni Cruz ne sont de bons candidats. N’étant pas un politicien, Trump peut peut-être réserver de meilleures surprises que Cruz, dont il n’y a rien à attendre. Trump ne se compare pas à Marine Le Pen en France mais plutôt à Bernard Tapie, si l’on tient à faire une comparaison. Tout est donc permis. Cruz me paraît plus nocif. C’est pourquoi je pense qu’ Hillary Clinton aurait de meilleures chances de gagner, me semble-t-il, face à Cruz qu’à Trump.

En quoi le fait que l'attention se soit concentrée de façon quasi exclusive sur Donald Trump nous a empêché de prendre la mesure des "dangers" d'une investiture de Ted Cruz ? 

L'excentricité de Trump, la démesure qui accompagne sa candidature et ce qu'il représente avec ses attributs de magnat américain - Las Vegas, la tour de Manhattan, etc. - écrasent toute analyse de fond sur les profils de candidats issus des rangs du parti. Trump est invraisemblable, et sa montée en puissance ne cesse de surprendre, ce qui focalise naturellement l'attention. La trajectoire de Cruz elle-même est inattendue car on aurait plutôt vu un Jeb Bush refaire le chemin de Romney en 2012, mais pas un Cruz, archi-conservateur et personnalité marginale, tenir la longueur. D'extraordinaire en extraordinaire, on aboutit à ce duo improbable, où Trump reste le plus étonnant.

Le parti républicain a laissé prospérer les Tea Party sans avoir véritablement essayé d'enrayer leur montée en puissance. Se retrouve-t-il désormais pris au piège ?

Le Tea Party est un phénomène difficile à canaliser. Le parti républicain a eu beaucoup de mal à le contenir car il n'a pas su lui-même produire une offre politique nouvelle, dand ce grand moment de transition que traverse l'Amérique - comme les autres pays industrialisés - technologique surtout, et démographique. Le Grand Old Party (GOP) n'a pas forgé un nouveau contrat social à proposer aux Américains, ni une nouvelle vision de l'Amérique dans le monde. Le pays a été pris en otage par le 11 septembre qui a empêché tout débat de fond. La suspicion anti-patriote a couvert les dissensions sur la dérive militaire sous Bush-Cheney que le parti a soutenue. Le GOP est donc victime de sa propre incurie. L'humeur insurrectionnelle qui domine donne le ton et le parti est en effet pris au piège de son absence de projet.

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