Prévision de croissance : l’autre gifle du Conseil d’Etat au gouvernement <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise de la façade du Conseil d'Etat.
Une photo prise de la façade du Conseil d'Etat.
©BERTRAND GUAY / AFP

Indicateurs économiques

Le Conseil d’Etat a suspendu la réforme du gouvernement concernant l'assurance chômage. Les magistrats ont bloqué les modalités de calcul de l’allocation qui devaient entrer en vigueur le 1er juillet. Le gouvernement a-t-il voulu jouer avec les prévisions de croissance pour appliquer son programme ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Le Conseil d’État a invalidé l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance chômage en raison du contexte économique. Le gouvernement joue-t-il avec les prévisions de croissance pour appliquer son programme ? Est-ce un camouflet ?

Michel Ruimy : Les syndicats avaient déposé des recours en référé, permettant de demander en urgence des mesures provisoires, mais aussi des recours sur le fond, qui doivent permettre de déterminer si la réforme est, ou non, illégale. Le Conseil d’Etat s’est exprimé sur les premiers. La suspension concerne le calcul des pensions et la mise en place de la réforme au 1er juillet, mais le principe de la réforme elle-même.

En théorie, le gouvernement dit vouloir combattre la précarité en jouant sur deux registres. Le premier, entré en vigueur en novembre 2019, prévoyait l’allongement de la durée de travail nécessaire à la perception d’une indemnisation chômage (passage de 4 à 6 mois), la dégressivité des allocations pour les « hauts revenus », et la mise en place d’un bonus-malus pour les entreprises abusant des contrats courts. Mais, ces mesures ont été reportées en raison de la crise sanitaire. Certaines auraient dû entrer en vigueur au 1er juillet, d’autres doivent attendre le retour du marché du travail à une conjoncture plus favorable. Le deuxième modifie le calcul du salaire journalier de référence (SJR), qui sert à établir le montant de l’allocation-chômage. La période de référence passera de 12 à 24 mois. Les allocations perçues vont donc mécaniquement baisser si l’activité est discontinue (A situation égale, avant et après la réforme, le même salaire sera divisé par davantage de jours).

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En pratique, rien ne garantit que l’économie française soit en capacité d’offrir, dès cet été, des emplois durables, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration ou du commerce, frappés de plein fouet par la crise, et où le recours aux contrats courts est très largement répandu. En outre, les travailleurs sont susceptibles d’être touchés par les nouvelles règles bien avant les entreprises puisque les cotisations ne seront modulées, en vertu du bonus-malus, qu’à partir de septembre 2022.

Même si cette réforme a déjà été retoquée et corrigée à plusieurs reprises, l’exécutif y tient au risque de devenir un boulet. Il y a un peu d’1 an, le Conseil d’Etat avait suspendu l’application d’une première version de la réforme en raison de la récession liée à la crise sanitaire. Quelques mois après, il avait annulé plusieurs mesures sur le SJR au motif qu’elles portaient préjudice au motif d’égalité. Le dernier épisode est une déconvenue de plus pour le gouvernement dans la mesure où les recours au fond des syndicats contre le décret réformant l’assurance-chômage seront jugés par plus haute des juridictions de l’ordre administratif d’ici quelques mois.

Quelle que soit la décision future du Conseil d'Etat, cette réforme, évoquée par Emmanuel Macron lors de sa première campagne présidentielle, devrait être encore un sujet majeur en 2022.

Qu’est-ce qui justifie ces différences d’interprétation de la situation économique ?

L’objectif 2019 de la réforme de l’assurance-chômage était d’adapter le régime au nouvel environnement économique et social, bien différent de l’actuel : le chômage était en baisse. Le gouvernement assumait alors vouloir dissuader les demandeurs d’emploi de s’enfermer dans une alternance de contrats courts et de périodes d’inactivité (permittence).

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Or, en période de sortie de crise sanitaire et dans un contexte où la précarité reste à un niveau extrêmement élevé, de nombreuses incertitudes subsistent quant à l’évolution de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques sur la situation des entreprises qui recourent largement aux contrats courts pour répondre à des besoins temporaires.

En conséquence, les nouvelles règles de calcul des allocations-chômage auraient pénalisé, de manière significative, les salariés de ces secteurs, qui subissent plus qu’ils ne choisissent l’alternance entre périodes de travail et périodes d’inactivité. Une double peine en quelque sorte pour ces « permittents ».

C’est pourquoi, l’argumentaire du gouvernement a évolué. Il ne parle plus de lutte contre la permittence, mais de lutte contre la précarité.

Sur quels indicateurs économiques s’appuie le Conseil d’Etat pour juger du bon moment de faire passer une réforme ? Le Conseil d’Etat est-il dans son rôle quand il analyse le contexte économique ?

Le Conseil d’Etat est le conseiller du gouvernement, qu’il réponde à des questions ponctuelles ou qu’il soit saisi de projets de texte. Dans tous les cas, il veille, dans l’exercice de ses missions au respect du principe d’impartialité. Toutefois, dans l’exercice de ses fonctions consultatives, il est dorénavant chargé d’évaluer la qualité des études d’impact qui accompagnent les projets de loi. En effet, si l’évaluation de leurs effets en termes économiques et sociaux a été instituée dès 1995, elle n’est devenue une règle réellement contraignante et une exigence constitutionnelle pour le gouvernement que depuis 2008. Désormais, en application de l’article 39 de la Constitution, le gouvernement assortit les projets de lois d’une étude d’impact dont l’objet est de préciser les objectifs poursuivis, de recenser les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et d’indiquer les motifs du recours à une nouvelle législation.

Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a invoqué une seule raison pour motiver la suspension des dispositions attaquées : les incertitudes qui prévalent en matière d’emploi. Aujourd’hui, il n’y a pas d’éléments suffisants permettant de considérer que les conditions du marché du travail sont réunies pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi. Une allusion aux principes fondamentaux de la réforme, tels qu’ils sont énoncés depuis la mi-2019.

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