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Prévention des troubles de la mémoire : pourquoi il est possible de diminuer l’impact de l’âge (et retarder l’arrivée des maladies dégénératives)
©Reuters

Poisson rouge

Si beaucoup de troubles de la mémoire sont bénins et découlent d'un manque d'attention, d'autres relèvent de maladie de la mémoire. Les dernières avancées en matière de prévention des troubles de la mémoire concernent notamment la prévention et l'accompagnement.

Francis Eustache

Francis Eustache

Francis Eustache est neuropsychologue. Il est directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) et dirige l’équipe U1077 de l’INSERM de Caen, unique unité de recherche en France totalement dédiée à l’étude de la mémoire humaine. Président du Conseil Scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires, il vient de faire paraître "Mémoire et oubli" aux éditions Le Pommier.

 

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Atlantico : Publié le 20 octobre, l'ouvrage collectif publié par les éditions Le Pommier réunissant les chercheurs de l'Obervatoire B2V des mémoires "Les troubles de la mémoire : prévenir, accompagner" que vous dirigez insiste sur la prévention. En l'état actuel de la recherche qu'est-ce que l'on peut faire pour prévenir des risques sur la mémoire ? Quels sont les derniers progrès en la matière ?

Francis Eustache : L’ouvrage met en exergue la notion de prévention, qui n’était pas de mise face aux troubles et aux maladies de la mémoire, il y a encore quelques années. Aujourd’hui des données convergentes montrent qu’il est possible de diminuer les effets potentiellement délétères de l’âge sur la mémoire et aussi de retarder la survenue des symptômes des maladies neurodégénératives (comme la maladie d’Alzheimer). Le concept de réserve cognitive est proposé par différents auteurs pour rendre compte du capital que l’on se crée tout au long de la vie pour résister aux effets de l’âge et des maladies du cerveau. Les mécanismes neurobiologiques à l’origine de cette réserve commencent à être mieux compris, comme la neurogénèse (la création de nouveaux neurones dans certaines zones du cerveau, comme les hippocampes, très importantes pour la mémoire). Cette neurogénèse joue un rôle important dans la mémoire épisodique (la formation de nouveaux souvenirs), en discriminant les nouveaux événements des plus anciens. Les mécanismes neurobiologiques compensatoires sont mis en évidence chez des animaux qui vivent dans un environnement dit « enrichi ». Chez l’homme, les facteurs qui sont les plus importants pour développer la réserve cognitive sont l’activité physique, les stimulations sociocognitives (qui peuvent prendre des formes variées : voyages, implication dans des associations…) et un sentiment de bien-être propice à une bonne estime de soi.

Quel avantage l'approche interdisciplinaire offre-t-elle dans l'étude de la prévention des troubles de la mémoire ? L'un des aspects les plus novateurs vient de l'étude du fonctionnement de la mémoire des animaux. Quels sont les principaux enseignements que l'on peut tirer de ces études ?

Les travaux de neurobiologie, qui utilisent des modèles animaux, sont très importants car ils permettent de décrire les différents mécanismes compensatoires qui sous-tendent la réserve cognitive et leurs conditions de survenue. Mais l’approche pluridisciplinaire est essentielle. Ainsi, plusieurs études en neuroépidémiologie, portant sur de grandes cohortes de personnes suivies pendant plusieurs années, montrent que les chiffres d’incidence (le nombre de nouveaux cas par an) de la maladie d’Alzheimer doivent être revus à la baisse. Cette baisse par rapport aux statistiques existantes antérieurement (plus de 20%) est très importante. Elle s’explique par différents facteurs et en premier lieu par les politiques de prévention publique sur le plan cardio-vasculaire (diabète, cholestérol, hypertension…) qui portent leurs fruits, les facteurs cardio-vasculaires interagissant avec les facteurs neurodégénératifs. Une autre explication est l’augmentation du niveau socio-culturel (mesuré notamment par le nombre d’années d’études) ; celui-ci a été particulièrement marqué chez les femmes. Les femmes aujourd’hui âgées de 80 ans ont bénéficié de plus d’années d’éducation que la génération de leurs mères ou grand-mères. Ce niveau d’éducation accru a favorisé l’accès à des métiers et à des réseaux sociaux plus stimulants, favorisant encore davantage la réserve cognitive. Des études en imagerie cérébrale soulignent également les réseaux cérébraux qui se développent chez les individus porteurs d’une forte réserve cognitive. Ainsi, c’est la cohérence des résultats provenant de ces différentes approches qui souligne la pertinence de ce concept de prévention des troubles de la mémoire.

Notre monde est en constante mutation que ce soit au niveau de notre éducation mais également avec l'arrivée des nouvelles technologies qui bouleversent nos relations sociales. Quels impacts ces changements peuvent-ils avoir sur les troubles de la mémoire ?

Le développement incessant et rapide des nouvelles technologies de l’information et de la communication est abondamment traité dans le livre. Certaines de ces technologies peuvent apporter une aide à la mémoire et plus largement à une personne victime de troubles cognitifs. D’autre part, ces nouvelles technologies modifient profondément le fonctionnement de notre mémoire et de notre cerveau. Il est important d’en prendre conscience et d’en faire prendre conscience aux jeunes générations qui n’ont pas connu l’avant. Il convient d’expliquer qu’un équilibre doit être maintenu entre les mémoires externes (qui sont de plus en plus numériques, artificielles) et notre mémoire interne, qui nous permet de faire des synthèses, de nous forger des opinions, de prendre des décisions argumentées… Nous manquons actuellement de recul pour vraiment comprendre l’impact de ces nouvelles technologies sur la formation de la réserve cognitive. Il est très important que des travaux scientifiques soient engagés sur ces sujets pour mesurer les changements que ces technologies, qui bouleversent nos modes de vie, vont entrainer sur notre façon de vieillir. La richesse, la diversité des informations qui agissent à longue échelle sur le fonctionnement de notre cerveau sont les éléments clés de la formation de la réserve cognitive.

Le livre mentionne aussi l'accompagnement. Où en est la recherche des personnes atteintes de trouble de la mémoire ? Les progrès en matière de prévention se font ils ressentir sur l'accompagnement ?

L’accompagnement des personnes atteintes de troubles de la mémoire est le pendant de la prévention. Si les chiffres d’incidence sont revus progressivement à la baisse, les chiffres de prévalence (le nombre de cas dans une population donnée) des maladies neurodégénératives vont rester très élevés et il essentiel de prendre en charge ces personnes dépendantes, que ce soit à domicile ou en institution. Il est également indispensable de considérer les personnes qui prennent en charge les patients dépendants, désignés sous le nom d’ « aidants » car ils sont souvent dans une situation de grande souffrance. Ainsi, les programmes qui se mettent en place doivent systématiquement considérer le patient et son entourage. Comme dans d’autres secteurs, il est important que les expériences de prise en charge non-médicamenteuses puissent être validées par ces études scientifiques qui puissent aider les décideurs (les pouvoirs publiques notamment) dans les choix qui doivent nécessairement se faire pour favoriser les méthodes les plus pertinentes.

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