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Première visite d’un Premier ministre japonais à Pearl Harbor : Shinzo Abe tente de se concilier les bonnes grâces de Donald Trump
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En se rendant sur l'archipel de Pearl Harbor 75 ans après l'attaque dévastatrice du Japon sur cette base navale américaine, le Premier ministre japonais Shinzo Abe ne fait pas uniquement un geste symbolique. Ce déplacement s'inscrit en effet dans une volonté du pouvoir nippon de renforcer ses liens avec les Etats-Unis et la nouvelle administration Trump, dans un contexte régional tendu.

Valérie Niquet

Valérie Niquet

Valérie Niquet est Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la FRS.  Elle est l'auteure du livre "La puissance chinoise en 100 questions" aux éditions Tallandier.

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Atlantico : Le Premier ministre japonais Shinzo Abe se rend ce lundi et ce mardi à Pearl Harbor, une grande première pour un Premier ministre japonais 75 ans après l'attaque de 1941. Au-delà de la portée symbolique et mémorielle de ce geste qui fait écho à la récente visite de Barack Obama à Hiroshima, n'y a-t-il pas également un intérêt stratégique pour le Japon à renforcer ses liens avec les Etats-Unis, alors que Donald Trump s'était montré assez critique envers l'attitude de l'archipel nippon avec l'Amérique ?

Valérie Niquet : La visite du Premier ministre japonais Shinzo Abe à Pearl Harbor, la première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a une portée hautement significative à plusieurs titres. Elle s’inscrit dans la volonté de Shinzo Abe, depuis son retour au pouvoir fin 2012 de solder pour le Japon la période d’après-guerre. Cette visite succède à l’accord obtenu avec la Corée du Sud en 2015 sur la question des "femmes de réconfort" utilisées par les troupes japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle vient également quelques semaines après celle de Vladimir Poutine dans l’archipel, qui poursuit la voie de la normalisation nippo-russe et pourrait à terme aboutir à un traité de paix ou au moins à la réactivation du partenariat stratégique avec Moscou. Et bien sûr, cette visite s’inscrit également dans le cadre des relations nippo-américaines et correspond à la volonté de Tokyo, dans une période de grande incertitude stratégique en Asie, de tout faire pour ancrer les Etats-Unis dans une zone où le système d’alliances bilatérales avec Washington, hérité de la fin de la Seconde Guerre mondiale, constitue toujours la pierre angulaire de la stabilité et de la sécurité dans la région en dépit de la fin de la Guerre froide. Enfin, si la visite de Shinzo Abe à Pearl Harbor répond à celle de Barack Obama à Hiroshima au mois de mai 2016, tout aussi symbolique, elle a également pour objectif de "donner des gages" au nouveau Président élu, Donald Trump, qui avait multiplié pendant la campagne électorale les déclarations de méfiance à l’égard du Japon accusé de "profiter des Etats-Unis". Shinzo Abe a été un des premiers dirigeants à rencontrer Donald Trump à New York au lendemain de son élection, la visite à Pearl Harbor doit aussi permettre de donner satisfaction aux vétérans américains et à un électorat populaire soucieux de symboles forts.

Au-delà du cas américain, dans quelle mesure la montée en puissance géopolitique de la Chine, notamment en mer de Chine, peut-elle pousser le Japon à renforcer son alliance avec les États-Unis ? Comment cette relation peut-elle évoluer selon vous ?

Si Shinzo Abe se rend à Pearl Harbor, c’est aussi pour contribuer à renforcer l’alliance de défense entre Tokyo et Washington. En 2015, le Premier ministre japonais a fait adopter de nouvelles lois de défense dont l’objectif principal était de faciliter la coopération militaire entre les forces d’autodéfense japonaises et les forces américaines, grâce notamment au droit de "défense collective". Le Japon, confronté à une puissance chinoise qui multiplie les actions agressives en mer de Chine, face aux Philippines ou au Vietnam en mer de Chine du Sud, ou face au Japon autour de l’archipel des Senkaku/Takeshima et en mer de Chine orientale, a besoin de "réassurance" de la part de l’allié américain. Le maintien d’un engagement fort des Etats-Unis en Asie, notamment face à la Chine mais aussi face à la Corée du Nord, constitue en effet pour Tokyo la solution la moins coûteuse - politiquement - pour assurer une défense efficace de ses intérêts et de son territoire. Un retrait américain, comme avait pu le laisser un temps entendre Donald Trump, aurait des conséquences dramatiques en termes de vide stratégique dans la région. Mais la rencontre entre Donald Trump et Shinzo Abe semble avoir eu des résultats positifs en la matière. Le Japon pourrait accepter d’accroître dans une certaine mesure sa contribution au maintien des troupes américaines sur son territoire pour "donner satisfaction" aux exigences électorales de Donald Trump. Ce dernier, de son côté, entouré de conseillers très favorables au renforcement des alliances en Asie, semble avoir également compris l’importance des enjeux d’une relation étroite avec le Japon.

Sur le plan intérieur, comment cette visite de Shinzo Abe à Pearl Harbor peut-elle être perçue par les Japonais ? Quelle réaction attendre notamment de la part de la droite nationaliste, même si le Premier ministre ne devrait visiblement pas s'excuser officiellement au nom du Japon lors de son séjour ?

Si Shinzo Abe a pu accomplir le geste fort de se rendre à Pearl Harbor, c’est aussi parce que l’opinion publique japonaise, dans sa très grande majorité, est prête à l’accepter. Si des organisations ultra-nationalistes peuvent s’en offusquer, elles sont en réalité peu représentatives dans l’opinion publique. Surtout, l’émergence d’une menace chinoise qui inquiète rend plus audibles les volontés de consolidation des liens - en dépit de l’histoire - avec les Etats-Unis mais également avec la Russie alors que la question des îles Kouriles n’est toujours pas résolue. A ce titre, la "menace chinoise" joue un rôle véritablement fédérateur entre l’archipel et ses partenaires proches ou plus lointains. Ceci d’autant plus que le risque du retour du "militarisme nippon", régulièrement brandi par Pékin ou Pyongyang, n’est absolument pas pris en compte aujourd’hui dans le reste de l’Asie où, au contraire, c’est la volonté de voir le Japon jouer un rôle de sécurité plus important qui l’emporte.

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