Prélèvement de l'impôt à la source : quels risques pour la vie privée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le prélèvement de l'impôt à la source permettra aux employeurs d'avoir accès à de nombreuses informations personnelles.
Le prélèvement de l'impôt à la source permettra aux employeurs d'avoir accès à de nombreuses informations personnelles.
©Reuters

Fontaine de jouvence

Promesse électorale de François Hollande, la mise en place du prélèvement de l'impôt à la source devrait débuter dès 2016, pour être éventuellement effective en 2018. Un nouveau procédé qui va permettre aux employeurs d'avoir accès à de nombreuses informations personnelles, menaçant la vie privée des salariés.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Concrètement, avec le prélévement à la source, comment le calcul de l'impôt à déduire du salaire va-t-il être fait ? Qui va le faire ?

Jean-Yves Archer : Concrètement, les choses, à dix mille mètres d'altitude, semblent simples. Votre patron est celui qui assure l'établissement de votre bulletin de paye, il peut donc aisément disposer des informations financières pour calculer votre quote-part mensuelle d'impôt. Ceci à condition que vous irriguiez sa cellule comptable de données indispensables : par exemple, le montant de vos revenus fonciers ou financiers qui peuvent faire varier votre tranche d'imposition, votre place sur le barème. Ceci à condition que vous soyez salarié. En effet, si vous êtes travailleur indépendant ou professions libérales, vous serez à la fois l'émetteur (en tant qu'employeur) et le bénéficiaire (en tant que dirigeant) ce qui ne change rien à la situation actuelle.

Grâce à cela, à quel type d'informations les employeurs vont-ils avoir accès ?

La retenue à la source sera une charge pour l'entreprise et en même temps, elle va contraindre celle-ci à des pratiques dignes de l'ancienne police des mœurs. En effet, votre employeur sera dans l'obligation de vous demander votre situation de famille (donc aura connaissance de l'identité et du sexe de votre conjoint), les revenus de votre foyer (donc ce que gagne votre moitié), la composition de vos revenus (si vous êtes un propriétaire aisé, quid de votre faculté de demander une augmentation ?), etc.

Cela ne représente-t-il pas un risque en matière de protection de la vie privée ?

Oui, il y a un risque évident pour l'intégrité de la vie privée des salariés qui pourront (pourraient ?) voir certains employeurs glisser des pratiques discriminatoires via ce flux d'informations. Outre le fait de voir leur vie privée exposée, cela peut les mettre dans une situation de faiblesse vis-à-vis de leurs employeurs. Peut-on s'assurer que ces données ne soient pas utilisées à d'autres fins ? Ayant été Commissaire aux comptes, je voudrais illustrer mon propos par un fait. Chez un client que j'auditais dans les années 2000, une erreur des services généraux m'a fait détenir (quelques instants avant ma prompte restitution) un listing destiné à la mutuelle avec les numéros de Sécurité sociale, les noms et les causes des "ALD" affection longue durée des salariés visés. Evidemment ce listing était illégal comme il était parfaitement illégitime que je puisse le lire. Si une telle erreur – grave - a été possible, je ne vois pas ce qui empêchera certains employeurs trop curieux d'établir toutes sortes de fichiers attentatoires à la vie privée des uns et des autres.

Comment les pays avec prélèvement à la source ont-ils contourné cette difficulté ?

La plupart du temps, ils ont cassé la notion de foyer fiscal et chacun paye pour ses seuls revenus. D'un point de vue culturel, la France est-elle prête pour ce type de dispositif ? La France voit ses citoyens se débattre dans bien des difficultés et ceux-ci ne vont guère suivre cette question sauf si le lissage (le passage du système actuel au nouveau) les oblige à payer deux années d'impôt la même année !

La retenue à la source pose une vraie question : en étant soi-disant débarrassé mensuellement et passivement de l'impôt, le citoyen ou la citoyenne gagne en pseudo-confort de vie ( il peut dépenser son net à payer post-fiscalité ) mais perd de toute évidence en lucidité sur le coût de la charge fiscale.

Autrement dit, la retenue à la source est un formidable moyen pour les gouvernants de s'émanciper de tout jugement fiable sur leur gestion. L'électeur n'aura plus pleine conscience du sérieux gestionnaire de ceux qui escomptent son suffrage. Le prélèvement à la source sera autant une réalité technique qu'un sauf-conduit pour les politiques.

Par ailleurs, nul ne doit omettre le tour de passe-passe que l'Etat s'apprête à réaliser en accentuant le rôle de percepteur des entreprises. Les entreprises sont des collecteurs d'impôts à plus d'un titre et notamment pour la TVA. Alors que penser de la charge que pourra représenter le prélèvement à la source ? C'est une tartufferie de passer sous silence cet aspect des choses qui représentera des milliers d'heures de travail directement corrosives pour la compétitivité de nos entreprises.

Enfin, il y a une question de responsabilité juridique. Quand vous signez votre déclaration de revenus, vous vous engagez face à l'Etat et celui-ci peut exercer, dans une deuxième étape, tout contrôle requis. En clair, vous assumez seul vos erreurs ou éventuels petits arrangements...

Que se passera-t-il si les services de votre employeur se trompent et vous entraînent dans un contentieux fiscal ? Qui aura le courage d'assumer sa responsabilité ? Vous vous imaginez aller réprimander le service comptable de votre employeur pour une erreur ? Nulle inquiétude, le législateur va probablement définir un système de coresponsabilité ce qui est juridiquement contestable. La réforme se fera probablement.

Après, on pourra toujours se livrer au calcul de l'impôt mensuel d'un visiteur médical doté de primes aléatoires qui divorce au mois de mai et qui a deux employeurs simultanés depuis le mois de mars mais avec des contrats de durée mensuelle inégaux et variables. En France, tout est toujours si simple quand on joue avec le temps des autres....

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