Poussée du M5S : l’Italie en route vers son moment Trump ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Mouvement 5 étoiles est très difficilement classable dans la famille de ce que l’on appelle les "formations populistes" est présent de manière très homogène sur l’ensemble du territoire de la péninsule, et il attire tout particulièrement les jeunes.
Le Mouvement 5 étoiles est très difficilement classable dans la famille de ce que l’on appelle les "formations populistes" est présent de manière très homogène sur l’ensemble du territoire de la péninsule, et il attire tout particulièrement les jeunes.
©Reuters

Bis repetita

La percée politique du Mouvement 5 étoiles en Italie depuis 2013 est révélatrice du mécontentement de la population à l'égard de la classe politique, aspirant à un renouveau.

Marc Lazar

Marc Lazar

Marc Lazar est professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po où il dirige le Centre d’Histoire. Il est aussi Président de la School of government de la Luiss (Rome). Avec IlvoDiamanti, il a publié récemment, Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties chez Gallimard. 

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Atlantico : En Italie, le Mouvement 5 étoiles, qualifié de "populiste", continue sa percée dans les sondages, crédité de près de 30% à l'instar du Parti démocrate de Matteo Renzi. Comment expliquer cette percée populiste en Italie ?

Marc LazarIl est vrai que depuis 2013 – et malgré des résultats moindres aux élections européennes de 2014 – le Mouvement 5 étoiles bénéficie d’intentions de vote élevées. Il a aussi remporté plusieurs municipalités l’été dernier dont les villes de Turin et de Rome. Ce mouvement exprime un mécontentement très présent en Italie contre la classe politique et le gouvernement, exprimé par la population qui aspire à une autre politique.

Le Mouvement 5 étoiles est très difficilement classable dans la famille de ce que l’on appelle les "formations populistes". C’est un mouvement qui développe des propositions de gauche classique en faveur des catégories populaires ; des mesures de type gauche postmoderne sur des questions écologiques, et notamment en ce qui concerne la gestion publique de l’eau; mais aussi des positions proches de l’extrême droite, notamment sur la question des migrants. C’est pour cette raison que le mouvement ramène des électeurs de gauche, de droite, et des personnes jusque là abstentionnistes. Il est présent de manière très homogène sur l’ensemble du territoire de la péninsule, et il attire tout particulièrement les jeunes. Malgré les difficultés rencontrées par les maires du mouvement, celui-ci continuede bénéficier d’un fort soutien de l’opinion, ce qui montre bien qu’il correspond à ce que l’on pourrait appeler l’antipolitique, dans les deux acceptations de ce terme : d’un côté le rejet de la "caste" politique comme le dit le mouvement, accentué par les difficultés actuelles du gouvernement de Matteo Renzi ; et de l’autre, l’aspiration à quelque chose d’autre. C’est d’ailleurs un mouvement qui se réclame de l’horizontalité de la démocratie participative– grâce aux réseaux sociaux notamment – et qui présente également une forte verticalité puisque quasiment tous les pouvoirs du mouvement sont concentrés entre les mains de son fondateur, Beppe Grillo. 

Parallèlement au succès du mouvement de Beppe Grillo dans les sondages, ces derniers donnent également le "non" au référendum du 4 décembre prochain en tête. Quel lien peut-on faire entre ces deux tendances ? Le pays s'apprêterait-il à connaître son "moment Trump" ?

Encore une fois, il faut faire attention aux sondages, ceux-ci n’étant pas prédictifs comme les récents évènements nous l’ont rappelé. Même si le "non" reste effectivement en tête, pour le moment, des sondages d’opinion, il reste un pourcentage élevé d’indécis, et on ne sait pas quelle sera l’ampleur de la participation.

A l’occasion de ce référendum, une coalition très hétérogène s’est formée, de personnalités appelant à voter "non" car opposées au contenu de la réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement, mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’elles souhaitent affaiblir Matteo Renzi qui a beaucoup d’ennemis. Cette coalition hétérogène est formée de la Ligue du Nord, d’une grande partie de Forza Italia, du Mouvement 5 étoiles, de formations de la gauche de la gauche, et de la minorité au sein du Parti démocrate.

Pour ce qui est du "moment Trump", je rappellerais que, dans le cas italien, celui-ci a commencé en 1994 avec Silvio Berlusconi. Il est, d’une certaine façon, le prédécesseur de Donald Trump puisqu’il s’était lancé en politique en tant qu’homme d’affaires, se présentant comme un outsider étranger à la classe politique traditionnelle, avec un style de communication révolutionnaire à l’époque pour l’Italie, tout en ciblant prioritairement la "brava gente", c’est-à-dire le peuple. L’Italie a donc déjà expérimenté ce moment, et ce pendant près de vingt ans. 

Quelles seraient concrètement les conséquences politiques de cette victoire du "non" ?

En premier lieu, je rappellerais qu’il ne faut pas oublier qu’une victoire du "oui" est possible. Toutefois, analysons l’hypothèse du "non" et ses conséquences. Celle-ci créerait – et elle crée déjà – une grande inquiétude en Europe, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, les chancelleries européennes redoutent une situation d’instabilité ou d’incertitude politique ; ensuite, cette période d’incertitude risquerait d’avoir des répercussions sur les marchés financiers, inquiétudes d’autant plus grandes au regard de la fragilité du système bancaire italien.

En cas de victoire du "non", normalement, le président du Conseil remettra sa démission au président de la République. Ce dernier aura alors trois solutions : la première sera de demander à Matteo Renzi d’aller vérifier s’il bénéficie de la confiance des Chambres ; il pourra également demander la recherche d’une nouvelle forme de gouvernement qui obtiendrait une majorité ; la dernière de ces solutions résidera dans l’organisation d’élections anticipées auxquelles, personnellement, je ne crois pas.

Que les élections aient lieu en 2017 ou à la fin du mandat de Matteo Renzi en 2018, le Mouvement 5 étoiles est particulièrement bien lancé pour les remporter. C’est d’ailleurs pour cette raison que tout le monde souhaite changer la loi Italicum, soit le mode de scrutin proposé par Matteo Renzi à deux tours, avec au deuxième tour les deux partis qui ont obtenu le plus de voix, sauf si l’un d’entre eux obtenait la majorité absolue au premier tour. Tous les autres partis, et pas seulement le Parti démocrate, sont inquiets par la possibilité que le Mouvement 5 étoiles puisse gagner le deuxième tour. Mais justement, parce qu’il y a cette hantise, l’idée actuelle consiste à remodifier la loi électorale pour éviter ce scénario qui, aux yeux de nombreux partis et des Européens, serait un scénario catastrophe. Mais tout cela ne résout pas le problème qui est que, s’il y a un Mouvement 5 étoiles aussi fort dans les sondages, c’est que cela correspond à un profond malaise dans le pays et à une attente des Italiens de quelque chose d’autre. C’est sur cela qu’il faut agir plutôt que sur la loi électorale. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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