Pourquoi votre manager ne peut pas être à la fois bon et normal <!-- --> | Atlantico.fr
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"Le choix d’une normalité est le choix d’une tranquillité d’esprit, d’habitudes à maintenir et de continuité."
"Le choix d’une normalité est le choix d’une tranquillité d’esprit, d’habitudes à maintenir et de continuité."
©Reuters

Moyenne

La "normalité" est à la mode ces derniers temps, même dans les entreprises. S'ils avaient le choix, les salariés auraient tendance à opter pour un manager "normal".

Philippe Burg

Philippe Burg

Philippe Burg est consultant en management, organisation et développement des compétences, il est directeur du pôle Performance des collectivités chez Kher Consultants. Il est l'auteur avec Pierre Jardillier, de “Psychologie et management”.

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Atlantico : Selon des éléments révélés par un article de Challenges (lire ici) , si on laisse le choix du manager à un groupe d'individus, ils choisissent le plus "moyen" d'entre eux, et pas forcément le plus compétent. Comment l'expliquer ? En quoi la "normalité" est-elle un point rassembleur pour les individus ?

Philippe BurgLe choix d’une "normalité" est le choix d’une tranquillité d’esprit, d’habitudes à maintenir, de continuité. Cette forme de "rassemblement" est à l’image de ce qu’est une organisation : un compromis acceptable pour les acteurs qui la composent. La notion d’équilibre est importante pour tout individu mais on oublie trop souvent qu’une vie n’est qu’une succession d’évolutions qui ne sont que des manifestations de déséquilibres. Il est d’ailleurs très surprenant que le monde du travail puisse être - d’après l’article de Challenge - un lieu de recherche harmonieux d’équilibres.

Lire : Pourquoi vous vous trompez tout le temps (et comment arrêter)

Car une organisation professionnelle est tout sauf un lieu où les équilibres doivent être maintenus de façon constante. Les besoins des clients évoluent, les marchés des prospects à conquérir se déforment, donc les missions et activités de l’entreprises doivent elles aussi évoluer. Enfin, les salariés de l’entreprise sont des êtres en devenir dans leurs compétences, désirs, aspirations, choix... Ça bouge tout le temps là-dedans !

Le choix de "normalité" est donc un choix qui privilégie une proximité relationnelle molle, indolente, sans aspérités où tout le monde serait gentil. Le monde des bisousnours. Il y a donc décalage avec l’exigence qui est comprise dans tout travail et dans toute logique de résultats, de dépassement minimal, d’exploration de façons de penser et de faire autrement.

Choisir une "normalité" c’est renoncer à son propre développement. C’est aussi un choix qui nous installe en une normalité de protection permanente de nos équilibres. Au mouvement qui n’est pas forcément synonyme de violence ; nous pouvons privilégier l’immobilisme de la norme, par confort, fainéantise, absence totale d’un minimum d’orgueil personnel… Cette normalité est une forme de lente asphyxie, comme la grenouille que l’on fait mourir lentement en lui chauffant l’eau dans laquelle elle baigne. Elle meurt lentement, mais elle meurt sûrement.

Ces facteurs peuvent-ils être compatibles avec les besoins des entreprises ? Est-ce qu'un bon manager est quelqu'un qui ressemble à ses employés ? Pourquoi ? Sinon quel est le profil idéal pour un manager ? Comment a-t-il évolué ?

Question préalable : Qu’y a-t-il de plus anormal que la fonction de manager ? Pour être - réellement, pas que dans l’intitulé du titre - un manager, il faut en vouloir ! Entre les obligations de résultats, les priorités respectives ; les injonctions contradictoires potentielles, les pressions plus ou moins amicales ; les collaborateurs à motiver, les reporting à faire, les projets à mener, les budgets à boucler et tenir ; les concurrences ou jalousies internes ; les réunionites ; les incompréhensions internes, le travail personnel ; réfléchir au moins un peu ; coordonner les équipes ;…. Vous trouvez que c’est un boulot "normal" ?

Sans être un apôtre - très loin de là même - d’un capitalisme financier qui a pour vertu cardinale de jongler en permanence sur des valeurs déconnectées des réalités et des "normalités" liées aux valeurs du travail, de l’effort, du temps requis à la conception, à la production et à la commercialisation de produits ou services ; le fait est que nous ne sommes plus dans un environnement circonscrit par des géographies ou des temporalités naturelles. Le slogan à la mode des années 1980 qui disait qu’il fallait "penser globalement et agir localement" fut précurseur d’un besoin qui allait apparaître : celui de "penser collectivement et d’agir solidairement" dans un environnement plus incertain, plus concurrentiel, plus grand, plus complexe à appréhender.

Au lieu de cela, les modes managériales ont valorisé l’individualisation à tout crin des acteurs dans l’entreprise, et en première cible, l’individualisation du manager. Là où il est requis de mettre les intelligences en synergie pour croiser les analyses, confronter les expériences ; faire fructifier les idées ; partager la responsabilité de la réussite globale de l’entreprise ; nous avons fixé des objectifs individuels, mis en concurrence les individus et les structures, augmenté les incertitudes internes, favorisé les enjeux individuels plutôt que les enjeux communs…

D’ailleurs, de nombreux pairs contemporains ne parlent que "du manager" ; jamais de la fonction managériale…La fonction managériale c’est le cerveau et le système nerveux d’une organisation. Un nerf seul est inopérant, un système nerveux sans ordres à recevoir ou informations à transmettre meurt ; un cerveau non stimulé s’atrophie.

Le profil "idéal" du manager est celui qui correspond au plus près à l’ambition, aux enjeux internes ou externes que l’entreprise a à relever. C’est donc en premier la responsabilité de ceux qui vont les recruter ou les promouvoir. La définition de l’ambition, et surtout de l’ambition partagée entre les acteurs est donc préalable à la définition de la "normalité" attendue du manager ; non, excusez-moi, de la fonction managériale.

Quel rapport les Français ont-ils à leur manager ?

Ce que je constate en plus de 25 ans de très proche fréquentation des managers et de leurs collaborateurs, c’est qu’aujourd’hui, en France, le divorce est totalement consommé entre les différents niveaux historiques (salariés, cadres encadrant ou non, dirigeants) de nos organisations. Les salariés furent les premiers à payer dans les années 1980 les plans d’adaptation. Les encadrants crurent pouvoir rester ces fameux "hussards de l’entreprise", dévoués et acquis à la cause suprême de l’entreprise, jusque dans les années 1990. Depuis, à partir de l’âge de 40 ans, on commence à vous regarder de travers alors que vous commencez à être au top de l’exercice de votre fonction de manager. Car être un manager, c’est maîtriser près d’une centaine de compétences "non techniques", comme je l'explique dans mon livre. Et cela s’apprend !

Propos recueillis par Manon Hombourger

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