Pourquoi un retour de la croissance s’accompagnera d’une hausse des inégalités (et ça n’est pas la mauvaise nouvelle que ça semble être)<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande veut faire de l'égalité le coeur de sa politique.
François Hollande veut faire de l'égalité le coeur de sa politique.
©REUTERS/Eduardo Munoz

La charrue avant les boeufs

François Hollande l'a répété en Conseil des ministres mercredi 17 décembre. Après avoir passé un an à "réformer" la France pour rétablir la croissance, l'égalité doit désormais être au cœur de sa politique. Pourtant, loin d'en être une suite logique, les inégalités de revenus devraient au contraire se creuser, tant que le taux de chômage des ouvriers - de 14.6% fin 2013- ne sera pas à un niveau proche du plein emploi, c'est à dire 3%. Ceux des cadres en revanche, peu disponibles sur le marché du travail, devraient connaître une progression.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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En cette fin d’année 2014, François Hollande souhaite remettre "l’égalité" au centre du débat public. Stéphane le Foll, porte-parole du gouvernement, le répète à l’envie "La ligne suivie depuis un an : moderniser la France, redresser notre pays avec comme principe le principe de l’égalité". Ainsi, la lutte contre les inégalités devient, à nouveau, un sujet phare pour l’exécutif.

Pourtant, lorsque l’on s’en tient strictement à des considérations d’inégalités, il est inévitable de constater que les pays qui connaissent le retour de la croissance ne sont pas ceux dans lesquels les inégalités régressent. Il semblerait qu’il existe un paradoxe. Et le cas des Etats Unis est le plus frappant en ce sens.

Distribution des revenus pendant les périodes d’expansion. Source. Pavlina Tcherniva

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Mais si cette situation peut paraître intolérable, et en mettant à part le fonctionnement spécifique des Etats Unis, elle traduit également le fonctionnement "attendu" d’une reprise économique, notamment lorsqu’elle est consécutive au choc produit par la grande récession de 2008-2014. Puisque ce qui caractérise cette période, c’est son très haut niveau de chômage pour les moins éduqués.

Car à l’origine, il est nécessaire de se confronter à l’évidence : ceux qui ont été frappés le plus durement par la crise sont les plus fragiles. Ici en France.

France. Taux de chômage selon la catégorie socioprofessionnelle. INSEE

Ainsi, les ouvriers non qualifiés étaient touchés par un taux de chômage de 20.9% à la fin 2013, ou de 14.6% pour les ouvriers pris dans leur ensemble. Tandis que les cadres sont confrontés à un taux de chômage de 3.9%, c’est-à-dire un niveau proche du plein emploi. Et ces chiffres ont une signification pour le marché de l’emploi : il n’existe pas un mais plusieurs marchés qui sont soumis à des dynamiques différentes. Et cette fragmentation entre un travail peu qualifié couplé à un fort taux de chômage et un travail qualifié proche du plein emploi a un effet considérable sur les revenus des salariés en question :

Progression des revenus par décile 2003-2012. Avant redistribution. INSEE

Ici, aucune surprise. La plus forte progression des revenus est directement allée à ceux qui sont déjà les plus rémunérés, c’est-à-dire le marché le plus étroit, ou la concurrence entre employeurs provoque la hausse des salaires. Comme l’indique leur taux de chômage, les cadres sont les plus sollicités et bénéficient ainsi "logiquement" des plus fortes hausses de salaire. Et la progression des revenus avant redistribution à ceci de désespérant qu’elle suit parfaitement une logique inégalitaire. Plus le revenu est élevé, plus le décile est élevé, et plus la progression du dit revenu est forte.

Progression des revenus par décile et avant redistribution. Total. 2003-2012. INSEE

De l’autre côté du spectre, les revenus les plus faibles, c’est-à-dire ceux des moins qualifiés, subissent une baisse de 5.5% sur les dix dernières années. La forte concurrence, cette fois entre salariés, agit comme un frein sur les salaires. Les employeurs n’éprouvent aucunement le besoin de relever les salaires, car l’offre de travail non qualifié est pléthorique.

Et ces différences de catégorie socioprofessionnelle vont également avoir d’importantes conséquences sur la façon dont la reprise économique va s’exprimer. Dans un cas, hypothétique pour le moment, ou la croissance venait à repartir en force, différentes dynamiques se mettraient en place.

Pour les marchés serrés, comme celui des cadres, la forte croissance aurait pour effet d’intensifier la concurrence entre employeurs. Le taux de chômage de 3.9% pour les cadres baisserait à son niveau plancher, c’est-à-dire environ 3% (niveau atteint en 2008), puis les employeurs n’auront d’autre choix que d’enclencher un cycle de hausse salariale. La conséquence logique est que les revenus des plus favorisés seraient orientés, une nouvelles fois, à la hausse.

Concernant les revenus des moins qualifiés, la dynamique serait différente. Etant donné que le taux de chômage de la catégorie en question est supérieur à 20%, il sera nécessaire de voir ce taux baisser considérablement avant de voir une réelle progression des salaires. Aussi longtemps que les employeurs auront la possibilité de trouver des personnes disposées à accepter un salaire bas, la progression de salaire n’aura pas lieu. Le résultat est que les salaires stagneront pendant un long moment, avant que le niveau de "plein emploi" ne soit atteint pour la catégorie en question.

Mais il ne s’agit pas d’une "mauvaise" nouvelle puisqu’il s’agirait du signe que le cycle vertueux est enclenché. Car il ne s’agit que d’une étape. Si l’on peut regretter que les revenus des plus aisés progressent alors que ceux des plus modestes stagnent, ce qui signifie que les inégalités augmentent, il n’en reste pas moins que l’ensemble en profite. Certains retrouvent un emploi, d’autres voient leur salaire progresser.

C’est l’étape suivante qui est décisive. C’est-à-dire le moment ou le plein emploi est atteint pour les moins qualifiés. Ce moment où ce sont les petits salaires progressent. Car en général, c’est à ce moment que la croissance n’est plus soutenue. Phénomène parfaitement décrit par l’économiste américain Dean Baker du "Center for Economic and Policy Research" :

"En maintenant le taux de chômage à un niveau élevé, le FOMC (comité de la Réserve fédérale)  va réduire le pouvoir d’achat des travailleurs et les priver de hausse des salaires. Cette situation frappe les plus bas revenus de façon disproportionnée, et pose une pression à la baisse sur l’ensemble des travailleurs.

En d’autres mots, nous avons une banque centrale, aux Etats Unis, qui agit délibérément pour que les travailleurs ne puissent pas avoir d’augmentation de salaire. Ils justifient leur action en raison des craintes inflationnistes, mais nous n’avons pas besoin de les prendre au sérieux. Qui sait ce qu’ils peuvent croire, mais dans le monde actuel, le risque d’une dangereuse spirale inflationniste est aussi crédible qu’une attaque des martiens."

Et pourtant, l’auteur parle des Etats-Unis. Ce pays qui a su créer 10 millions d’emplois au cours des quatre dernières années. Le comportement de la Banque centrale européenne est bien plus irresponsable que celui de la FED. Mais la conclusion reste claire, une forte reprise de la croissance pourrait très bien se traduire par un accroissement des inégalités, et constituer quand même, une bonne nouvelle. Ce n’est pas le cas pour le moment.

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