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Pourquoi Oxfam se trompe de combat (et passe totalement à côté de ce qui se passe dans les pays développés)
©Matt Winkelmeyer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Des riches de + en + riches MAIS des pauvres de - en - pauvres

Au cours de ces deux derniers jours, deux rapports (Oxfam et Attac) ont été publié pour révéler les niveaux d'inégalités qui frappent nos sociétés ; celui d'Oxfam pêche là où celui d'Attac devient très pertinent.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Dans quelle mesure la dénonciation des inégalités au niveau mondial, pointant l’équivalence de richesses entre les 26 premières fortunes de la planète et les 50% de la population mondiale rate-t-elle sa cible en faisant passer l’importante baisse de la pauvreté au niveau mondial au cours de ces dernières années ? 

Michel Ruimy : Cela fait déjà plusieurs années qu’Oxfam attire l’attention sur ces inégalités. Ainsi, 26 milliardaires concentreraient entre leurs mains, en 2018, autant d’argent que plus de la moitié de l’humanité (3,8 milliards d'individus) ! En 2017, ils étaient 43. Les richesses mondiales sont donc de plus en plus concentrées par une extrême minorité.

En cause : l’exploitation, sans limite, des travers du modèle néolibéral financier avec la création d’un réseau de paradis fiscaux et de solutions d’évitement fiscal pour les multinationales. Certains leaders politiques, comme Donald Trump ou Emmanuel Macron en diminuant les impôts, n’ont rien fait pour s’attaquer à cette urgence démocratique.

Or, cette tendance à l’aggravation des inégalités et à l’accaparement des richesses par une minorité n’est pas, voire plus, tenable. L’opinion publique est de plus en plus consciente de ces dérives. Elle porte des exigences de justice sociale, climatique et fiscale. On le voit très bien aujourd’hui avec le mouvement des « gilets jaunes ».

Il conviendrait de la réguler en taxant les plus fortunés - sans freiner le développement économique - pour éviter qu’une petite élite ne déstabilise nos sociétés et nos économies. Aux Etats-Unis, la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, fraîchement élue, a proposé de taxer à 70% les plus riches, obtenant le soutien du Prix Nobel d’économie (2008), Paul Krugman. 

Mais, plus simplement, il suffirait que les Etats s’assurent que les entreprises et les personnes les plus riches paient leur part d’impôts ! Par ces temps de disette, la plupart des gouvernements auraient ainsi, si la tendance était inversée, suffisamment de ressources pour financer les services publics.

Mais, au-delà de ce constat, un autre est plus heureux. Selon la Banque mondiale, le taux de réduction de la pauvreté a été divisé par deux depuis 2013. Le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (avec 1,90 dollar par personne et par jour), qui s’intensifie en Afrique subsaharienne, a ainsi fortement reculé. Ceci constitue l’une des plus grandes avancées de ces dernières décennies. 
Ce dernier chiffre n’est pas antinomique avec les chiffres publiés par l’ONG dans la mesure où sa méthodologie, qui s’appuie sur les données publiées par la revue Forbes et la banque Crédit suisse, est contestée par certains économistes, pour son manque de rigueur.

A l’inverse, en pointant l’accroissement des bénéfices des entreprises du CAC 40, et la baisse concomitante de la fiscalité, Attac ne souligne-t-elle pas le malaise de nos sociétés occidentales révélé par le « graphique de l’éléphant » de Branko Milanovic qui montre la faible progression des revenus des classes moyennes et populaires occidentales lors de ces dernières décennies ? 

Les effets de ce capitalisme patrimonial est illustré, au niveau national, par un autre bilan. Selon l’organisation altermondialiste Attac, les effectifs cumulés des multinationales ont baissé de 20% entre 2010 et 2017 alors que leurs bénéfices cumulés ont augmenté d’un peu plus de 9% sur la même période. Mais surtout, si les salaires moyens dans ces groupes, en France, ont augmenté de 22% entre 2010 et 2017, les rémunérations de leurs dirigeants, notamment grâce au recours à de nombreuses techniques d’évitement fiscal, ont progressé davantage (+32%) et leurs dividendes versés à leurs actionnaires encore plus (+44%). 

Ainsi, au sein de ces multinationales, il y a un inégal partage de la richesse créée au profit des actionnaires mais également des écarts de salaires trop important entre employés et dirigeants. Plus de 60% des profits des entreprises du CAC 40 sont versés aux actionnaires sous forme de dividendes ou de rachats d’action. Ceci nuit grandement à l’investissement et, au final, à l’avenir des entreprises. 
Cette tendance est observable, par exemple, chez les GAFAM - Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft -, dont la situation de marché : monopole ou de quasi-monopole n’incite pas les dirigeants à investir mais plutôt à accroître la valeur actionnariale afin de chérir leurs actionnaires et … à se rémunérer.

Dans ces conditions, il est évident aussi que le partage de la richesse créée est inégalitaire au détriment des classes moyennes … qui tendent à disparaître. Si ces inégalités persistent et si les gouvernements continuent à ne rien faire, le sentiment de révolte grandira contre des politiques toxiques et clivantes. Ce rapport d’Attac n’est pas le premier du genre, mais en plein mouvement des « gilets jaunes », il se sait plus audible. La preuve avec cette taxe que prépare le gouvernement sur les GAFAM. Ce qui a changé, c’est la colère et la frustration de la population.

Comment résoudre cette problématique ? Une plus importante taxation des grands groupes, induite par le travail d’Attac, n’est-elle pas une piste éculée dans un pays comme la France ?

Attac suggère trois propositions pour la France. Tout d’abord, le plafonnement des écarts de rémunérations au sein d’une même entreprise de 1 à 10, y compris pour les plus hauts dirigeants. Déjà, sous François Hollande, le gouvernement a plafonné les salaires des dirigeants d’entreprises publiques. Mais, on pourrait se poser la question de l’application de cette mesure pour les entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire. En effet, en 2017, les entreprises du CAC 40 ont déclaré un peu plus de 16 000 filiales, dont 15% étaient situées dans des territoires identifiés comme des paradis fiscaux et judiciaires - Luxembourg, Irlande, Pays-Bas en Europe. Mais, la présence parfois de l’Etat au capital de ces entreprises n’a malheureusement pas d’effet sur leur comportement comme, par exemple, Engie, qui possède environ 2 300 filiales dont plus de 300 basés dans des paradis fiscaux. Dans le contexte actuel, ce serait un bon signe envoyé par l’actuel gouvernement mais par pour l’image « pro-business » de notre président.

Ensuite, sur le volet climatique, le remplacement du marché carbone européen - un système d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre aux faibles retombées effectives - par une taxe sur les activités polluantes. Dans ce contexte actuel, un surcroît de fiscalité serait mal perçu.

Enfin, pour lutter contre l’évasion fiscale, une taxation unitaire des multinationales qui permettrait d’imposer leurs activités et leurs profits dans les pays où elles les réalisent réellement. Sur cette dernière proposition, faute de consensus européen, la France a prévu, dès cette année, une taxation spéciale de certaines grandes entreprises : celles proposant des services numériques qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Si l’un des deux critères n’est pas dépassé, la taxe ne sera pas applicable. Le taux d’imposition variera en fonction du chiffre d’affaires réalisé et ne dépassera pas 5%. Elle devrait rapporter 500 millions d’euros. 

Vous avez dit éculé ? Il s’agit plutôt d’une taxe à l’ambition limitée et au rendement modeste.

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