Pourquoi les réductions du budget de la défense atteignent le seuil où elles mettent la France en danger<!-- --> | Atlantico.fr
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Les réductions du budget de la défense pourraient mettre la France en danger.
Les réductions du budget de la défense pourraient mettre la France en danger.
©Reuters

Livre Blanc

François Hollande, chef des armées, annoncera ses choix financiers lors d'un conseil de défense qui se déroulera la semaine prochaine. Les coupes s'annoncent drastiques et menaceraient la position de la France sur la scène internationale.

Etienne  de Durand

Etienne de Durand

Etienne de Durand est directeur depuis 2006 du Centre des études de sécurité de l'IFRI.

Il traite régulièrement des questions liées aux politiques de défense française et américaine, ainsi qu’aux interventions militaires récentes.

Il écrit par ailleurs pour le blog Ultima ratio.

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Atlantico : En pleine intervention au Mali, la publication fin mars du Livre blanc de la Défense rouvre le débat sur le rôle de l’armée en France. Comme l’a expliqué Jean Guisnel dans l’hebdomadaire Le Point, deux options budgétaires semblent envisagées par le gouvernement, l’hypothèse Y qui tranche très lourdement dans les effectifs et les moyens et l’hypothèse Z qui est qualifiée d’apocalypse. Que penser de ces options ?

Etienne de Durand : L’hypothèse Z n’est même pas un modèle, ce serait plutôt "Z comme zéro". C’est une optique dans laquelle le gouvernement massacre complètement son armée pour porter peu à peu le budget annuel de 32 à 20 milliards d’euros constants 2012 - c’est-à-dire un déclassement total. Il n’y a aucun précédent historique à une telle coupe dans le budget de la Défense si ce n’est l’armée de Vichy postérieure à la défaite de 1940. Dans le modèle Y, il s’agit d’essayer de préserver plus ou moins l’essentiel, les mêmes missions, mais en rognant un peu partout et en diminuant encore un peu les effectifs.

Il faudrait faire du Y+, c’est-à-dire le modèle Y que décrit Jean Guisnel mais avec un peu plus d’argent. Ce dernier sera déjà extrêmement douloureux et il faudra donc l’assouplir au maximum afin de ne pas détruire complètement ce qu’est l’Armée française. Les dépenses de défense sont actuellement de 32 milliards pour un budget de l’Etat de 350 milliards, qui si on lui ajoute les dépenses sociales, aboutit à un total de plus de 1000 milliards. Il faut donc être d’une extrême mauvaise fois pour oser soutenir que le problème budgétaire de la France vient de la Défense.

Quelles sont les branches, les missions de l’armée qui doivent absolument être sauvées ? 

Equipement, infrastructures militaires, nombre de régiments et autres, tout doit être conservé. Nous ne serons pas forcément en danger demain, ni l’année prochaine ou dans deux ans, mais il faut bien comprendre que ce que nous achetons maintenant est ce que nous utiliserons dans cinq, dix et vingt ans. Or, nous serons à un moment ou à un autre menacés. La question est donc de savoir si les Français pensent que leur armée doit rester capable, à l’avenir, de réaliser une intervention comme celle du Mali ou d’une ampleur similaire. Voulons-nous continuer à être capables d’aller chercher nos ressortissants quelque part ou d’aller détruire des groupes terroristes ?

Les coupes nécessaires à la réduction de budget exigée ne permettraient plus à la France des interventions comme celle au Mali. Conserver une telle armée aurait-il du sens ? Serait-elle toujours en état de défendre l’hexagone même si elle ne peut plus intervenir ailleurs ?

Non cela n’aurait plus beaucoup de sens. Nous n’aurions plus, comme beaucoup de pays d’Europe, qu’une armée d’opérette incapable de défendre son territoire. Comme nos voisins, nous deviendrions de facto dépendant d’autres pays comme les Etats-Unis et puisque tous les pays de l’UE réduisent leurs budgets de défense, nous serions incapables d’affronter une éventuelle agression majeure. Nous avons d’ailleurs pu constater avec le Mali que nous ne pouvions pas vraiment compter sur la plupart de nos voisins européens en cas de nécessité militaire. Cette décision voudrait donc dire que nous considérons qu’il n’y a aucun danger ni aujourd’hui ni demain. L’instrument militaire se détruit rapidement mais il se construit lentement. Si la situation ne semble pas dangereuse actuellement, elle le deviendra peut-être or nous ne pouvons pas "couper dans le gras" car il n’y a plus de gras, il n’y a même plus de chair. Il n’y a plus que les membres que nous pouvons encore trancher et c’est ce qui risque de se passer. Les équipements actuels, qui ont souvent 20, 30 et parfois 40 ans vont finir par tomber en ruine et comme nous n’aurons pas payé pour les remplacer, il ne restera plus rien.

Une telle armée ne pourrait plus nous protéger car dans les faits intervenir à l’extérieur et défendre le territoire exigent à peu près les mêmes capacités, si ce n’est quelques moyens de transport lourd supplémentaires. Ainsi, si on se réfère au pire des scénarios envisagé, il ne nous resterait que la dissuasion nucléaire et de quoi faire quelques missions de patrouilles, de surveillance du ciel. Nous aurons toujours trois régiments pour aller nettoyer une plage ou pour tourner dans les gares dans le cadre de vigie pirate.  

Quel est le rapport des Français à leur armée ? Saisissons-nous réellement ce que signifierait une France sans armée ?

L’évolution des sondages montrent que les gens ne sont pas vraiment favorables aux coupes dans le budget de la Défense, alors qu’ils l’ont été pendant longtemps. Il est important que chacun comprenne que nous avons déjà tellement coupé que chaque coupe complémentaire entraîne une baisse de capacité drastique. Une fois encore, construire une armée est quelque chose qui se planifie sur la durée. C’est un peu comme un particulier qui achète un appartement en empruntant auprès d’une banque, qui va considérer que les remboursements ne peuvent dépasser à peu près à un tiers de vos revenus ; si ce particulier voit ses revenus fondre brutalement et que ses traites représentent désormais 60% de ses revenus, il n’aura d’autre choix que de vendre l’appartement. Nous avons déjà tellement reporté de dépenses, nous avons déjà tellement réduit les effectifs – la RATP a autant de personnel que l’Armée de l’air et l’Armée de terre tient dans le stade de France – que porter un nouveau coup fera s’effondrer le système. Je ne sais pas si les Français sont conscients des risques qu’il y a à voir ainsi leur armée mis une nouvelle fis à la diète, mais si ce n’est pas le cas ils doivent rapidement s’en rendre compte. Les décisions qui sont prises aujourd’hui vont conditionner la politique de défense du pays comme la sécurité de nos concitoyens et de notre territoire pour les quinze années à venir. La Défense est la première mission de l’Etat. 

Quel rôle sur la scène internationale peut espérer une France sans armée souveraine voire sans armée ?

Nous n’aurons plus de rôle car c’est l’un des derniers avantages comparatifs que nous possédons. Nous pouvons aujourd’hui considérer que nous avons la première armée de l’Union européenne, à peu près à égalité avec le Royaume-Uni que nous dépassons de pas grand-chose bien que nous dépensions un peu moins que lui. Il est évident qu’en perdant cela nous ne pèserons plus rien du tout face à la Chine ou aux Etats-Unis mais aussi face à l’Allemagne au sein de l’Union. Il est également évident que nous serions amenés à terme à perdre notre siège permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU puisque nous ne serons plus capables d’assurer la moindre mission militaire. Ce ne sera donc ni plus ni moins que le déclin de la France sur la scène internationale.

L’économie est-elle en train d’avoir raison de notre histoire et de notre prestige militaire ?

Ce n’est pas l’économie qui est en train d’en avoir raison, c’est la politique. Nous ne résoudrons pas le problème budgétaire de la France en tapant sur le budget de la Défense et ce n’est donc pas une question économique. Ce budget n’est pas assez important pour cela, nous ne sommes pas les Etats-Unis. Il y a en France des pistes bien plus sérieuses pour réaliser des économies budgétaires : réduire les dépenses de fonctionnement des administrations locales, aligner  les régimes spéciaux de retraites sur le régime général, revoir le montant des allocations familiales et bien d’autres encore, sans pour autant remettre en cause la sécurité du territoire et des Français. C’est plus difficile à assumer politiquement mais toutes les dépenses ne se valent pas et il faut être capable de les hiérarchiser. C’est l’intérêt général qui est en jeu et celui-ci passe par la conservation de notre indépendance militaire plus que par l’assurance chômage des intermittents du spectacle. Nous sommes en crise, tout le monde doit faire des efforts mais certains plus que d’autres et la Défense en a déjà fait assez. Elle en a fait au sortir de la Guerre Froide, puis en 1995 quand il a fallu remplir les critères de Maastricht, en 1998 sous Lionel Jospin, à nouveau en 2008. Au sortir de la Guerre Froide, l’Armée de l’air comptait 600 appareils de combat contre 300 aujourd’hui. La question est maintenant de savoir si nous pourrons en garder 200.  Or, cette division par deux et plus ne peut être entièrement compensée par le progrès technologique. Toujours au sortir de la Guerre Froide, la Défense représentait 3% du budget, presque 6% sous le Général de Gaulle contre 1,5% aujourd’hui. Le ministre du Budget espère faire passer ce chiffre à 1%. La sécurité de la France sera donc trois fois moins importante en 2013 qu’en 1990 et six fois moins que dans les années 1960. Evidemment, les enjeux géopolitiques ne sont plus les mêmes, les Soviétiques ne sont plus à nos portes, mais nous avons pu constater  le danger que représente l’implantation de djihadistes dans des zones et des pays fragiles, situés pas bien loin de la France.

Quels seraient les conséquences d’une telle réduction sur l’économie française  ?

Le secteur de l’aéronautique et de la défense est le troisième secteur industriel du pays et il représente à lui seul 4 000 entreprises et 165 000 emplois directs. Compte tenu de l’état du BTP et de l’automobile, si nous coupons dans ce secteur, il ne nous restera rien d’autre que l’industrie pharmaceutique et l’agroalimentaire. En plus du désastre militaire, ce sera un désastre industriel. C’est en effet un secteur très national, donc l’essentiel de l’argent public qui y est affecté reste dans le pays plutôt que de s’évaporer en importation. Enfin, c’est un des rares secteurs qui exporte et donc contribue positivement à notre balance commerciale. Cela est notamment dû à un cercle vertueux entre l’Armée française, qui fait la démonstration de notre excellence technologique, et notre industrie de défense qui nous permet d’avoir une armée efficace. Faut-il alors sacrifier tout cela, et en plus pour des gains minimes, sachant que le déficit annuel de la France équivaut à plus de deux fois le budget militaire ? Si nous faisons aujourd’hui ce choix, il sera trop tard pour pleurer dans dix ans, trop tard à la fois pour les emplois industriels qui auront été détruits et pour les menaces comme celle qui s’est manifestée au Mali. 

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