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Pourquoi les ravages de la mondialisation sur les classes moyennes ne sont pas une fatalité économique mais le fruit d’un fiasco des élites politiques des pays développés
©Reuters

700 millions de Chinois et moi et moi et moi

Selon Dean Baker, alors que certaines élites politiques semblent découvrir à l'insu de leur plein gré les dégâts causés par la mondialisation sur les classes moyennes, ce sont surtout les erreurs d'adaptation à ce nouveau contexte commises par les gouvernements qui sont à l'origine des difficultés actuelles.

Dean Baker

Dean Baker

Dean Baker est le co-directeur du Centre de recherches économiques et politique de Washington (Center for Economic and Policy Research in Washington, DC). Il contribue souvent dans des médias d'ampleurs, sur des questions d'ordre économique, comme le New York Times, le Washington Post, CNN, CNBC, ainsi que la radio publique nationale américaine (National Public Radio). Chaque semaine, il est amené à écrire dans les colonnes du Guardian Unlimited (UK), du Huffington Post américain, de TruthOut, ainsi que sur son blog Beat the Press, dans lequel il fait état de ses analyses économiques. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels "Getting Back to Full Employment: A Better Bargain for Working People" ; "Taking Economics Seriously (MIT Press)" ou "False Profits: Recovering from the Bubble Economy (PoliPoint Press, 2010)"

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Atlantico : Suite aux livres de Thomas Piketty et de Branko Milanovic, les élites politiques occidentales semblent découvrir les dégâts causés par la mondialisation, notamment sur les inégalités. Mais d’un point de vue théorique, s’agit-il véritablement d’une surprise ? 

Dean Baker : Je ne voudrais pas minimiser le travail de ces économistes, que je respecte profondément, mais je pense que la reconnaissance de l’impact de la mondialisation sur les inégalités a plus été le résultat de pressions politiques que des avancées intellectuelles parce que d’autres personnes proposaient des arguments similaires au cours des deux dernières décennies. Cette approche a vraiment commencé à attirer l’attention suite aux retombées de la crise économique et de la stagnation qui s’en est suivie aussi bien aux Etats Unis qu’en Europe. Le mouvement "Occupy Wall Street" a été particulièrement important à ce titre, comme symbole de ces revendications.

Bien entendu, l’émergence des partis populistes de droite en Europe a également joué un rôle décisif. Nous pouvons croire qu’un nombre très important de citoyens européens ont soudainement perdu tout respect pour leurs droits démocratiques traditionnels et pour la notion de société ouverte, ou nous pouvons croire que certains événements mondiaux ont conduit à un tel changement. Les personnes sérieuses doivent évidemment croire en ce dernier point.

Après plus de 20 ans de mondialisation accrue, et suite à la grande récession, quelles sont les priorités économiques permettant d’offrir des solutions aux classes moyennes, qui en ont été les principales victimes ? Plus largement, est-il simplement possible de combiner mondialisation avec une hausse des revenus de ces classes moyennes ?

Nous pouvons évidemment avoir la mondialisation dans un sens qui permet une redistribution vers le bas plutôt que vers le haut. En premier lieu, nous pouvons essayer de faire peser une pression baissière sur les salaires des travailleurs les mieux rémunérés (par exemple les médecins, les dentistes, les avocats etc…) en permettant un accès plus facile aux personnes des pays émergents pour se former aux standards occidentaux, afin de travailler en compétition directe avec les professionnels des pays occidentaux. La question n’est, bien sûr, pas de taper sur ces professions par principe, mais c’est une histoire classique de gains commerciaux. Parce que des médecins sont moins rémunérés, cela signifie des coûts de santé moins élevés. Des avocats moins payés, cela signifie des services juridiques moins chers. Ce qui correspond à la même histoire que d’avoir des chaussures moins chères en les faisant fabriquer par des travailleurs moins rémunérés en Chine. Tous ceux qui sont favorables à la mondialisation doivent soutenir une telle politique.

Et oui, il est également possible de permettre aux pays émergents d’en bénéficier. Nous pouvons rapatrier une part des revenus de ces professionnels afin que le pays d’origine puisse former 2 ou 3 médecins, avocats etc. pour chaque personne qui émigre. C’est une histoire classique de gagnant gagnant. Je dois quand même tempérer ce point en indiquant qu’il s’agit plus d’une question américaine qu’européenne. Nos médecins, aux Etats Unis, gagnent en moyenne 250 000$ par an, et les dentistes ne sont pas loin derrière.

Nous pouvons aussi chercher à affaiblir les droits de propriété intellectuels et trouver des moyens plus efficaces permettant de financer l’innovation et le travail créatif. Il est quand même un peu absurde de constater que nous cherchons à façonner des lois et des accords commerciaux qui ont pour objet de rendre ces protections encore plus fortes et encore plus durables tout en s’étonnant de voir tellement de revenus s’orienter vers le haut de la pyramide. Ce sont des dispositifs aussi archaïques qu’incroyablement inefficaces et qui ont très largement besoin d’être remplacés. Il est absurde de constater que les médicaments qui coûtent quelques dollars à produire peuvent se vendre des centaines ou des milliers de dollars en raison de la situation monopolistique des brevets.

Quels sont les risques de voir la mondialisation être traitée en bouc émissaire de cette situation ?

Il y a plein de gens qui proposent des solutions nationalistes ou racistes, qui consistent à faire porter à d’autres la responsabilité de ce qui est du ressort de la politique des gouvernements. Les mauvais résultats s’étendent de l’accroissement des discriminations contre les migrants, contre les minorités ethniques ou religieuses, des actes de violence aléatoires, jusqu’à des histoires, encore pires, d’expulsions de masse, comme celles promises par Donald Trump. Quand les gens commencent à agir de façon irrationnelle, les résultats ne sont pas beaux à voir.

Contrairement aux Etats Unis, l’Europe semble totalement figée dans un contexte de chômage de masse, de croissance faible et de faible inflation. Considérez-vous que cette stagnation européenne soit le résultat de contraintes économiques ou politiques ?

Les problèmes de la stagnation européenne sont entièrement politiques. Il n’y a pas d’obstacle économique à la mise en place de programmes de relance concentrés sur l’amélioration des infrastructures, de l’éducation, ou même sur l’accueil de réfugiés. Les gouvernements n’ont littéralement aucune contrainte dans leur capacité à emprunter aujourd’hui, comme nous pouvons le voir au travers de taux d’intérêts qu’ils payent sur des obligations de long terme, ou au travers des taux européens qui sont actuellement proches de 0%. L’argument classique pour contrer ce type d’actions est de dire que les taux vont alors commencer à augmenter, empêchant l’investissement privé et enfin conduire à une hausse de l’inflation. Il est clair qu’aucun de ces deux problèmes n’existe à ce jour pas plus que dans un proche avenir. Les gouvernements européens n’ont aucun besoin de saboter le travail de leurs populations, ce qui leur coûte des trillions de dollars en termes de croissance perdue. 

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