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Pourquoi les pertes de territoire que subit l'Etat islamique sont une très mauvaise nouvelle pour les pays occidentaux
©REUTERS/Stringer

Retour de bâton

L'Etat islamique a subi des pertes territoriales de grande ampleur qui peuvent néanmoins se retourner contre la coalition. Pour exister et continuer à recruter les victoires de l'Etat islamique, même symboliques, sont nécessaires : et en perdant du terrain en Syrie et en Irak, il y a de fortes chances pour que les attentats se fassent plus nombreux.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : L'armée irakienne a notamment repris la ville stratégique de Ramadi le 28 décembre. Globalement l'Etat islamique a perdu du territoire, ce dont s'est félicité Barack Obama. Devons-nous craindre une vague d'attentats en retour ?

Alain Rodier : Il est parfaitement exact de dire que Daesh perd du terrain, que ce soit en Irak avec la prise de Ramadi et en Syrie où les Forces démocratiques syriennes (FDS) majoritairement kurdes ne se trouvent plus qu’à une vingtaine de kilomètres de Raqqa, la "capitale" de l’"Etat" Islamique. Même Palmyre peut être reprise dans les prochaines semaines par les troupes de Bachar el Assad avec l’appui des Russes. Il faut dire que Daesh avait commencé à sérieusement piétiner au début 2015 même si le mouvement salafiste-djihadiste était capable de redoutables contre-offensives (ne nous leurrons pas, c’est toujours possible aujourd’hui car Daesh garde globalement l’initiative). N’étant plus en "odeur de victoire" dans son berceau syro-irakien, il lui a fallu prendre des mesures pour retrouver l’initiative. En effet, Daesh ne peut se permettre d’être acculé à la défensive, c’est une question d’image de marque qui conditionne ensuite ses renforcements en moyens humains et financiers. Il a alors été décidé par la Choura (le conseil, l’organe de commandement de l’EI), sans doute en juin, de faire porter l’effort à l’extérieur du théâtre syro-irakien.

Sur le plan tactique classique, la Libye présentait les caractéristiques voulues pour accroître l’influence du mouvement. 250 kilomètres de côtes autour de Syrte ont été conquises et la progression s’est étendue vers le sud. Il semble que la jonction avec Boko Haram ne soit pas vraiment à l’ordre du jour. Reprenant le moyen de base de la guerre asymétrique (du faible au fort), il a été décidé de revenir aux attentats, le moyen le plus simple et le plus efficace pour faire parler de soi : le terrorisme. Et se furent les attaques lancées contre l’Airbus russe de Charm-el-Cheik, les attentats de Beyrouth, de Paris, de Tunis avec également des poussées de fièvre en Arabie saoudite, au Pakistan, en Afghanistan, au Bengladesh, au Yémen, au Nigeria et dans les pays voisins. La situation qui prévaut pour la fin 2015 / début 2016 laisse prévoir que cette logique de la violence externalisée va se poursuivre voire s’étendre. Ce n'est, en fin de compte, qu'une question de moyens humains (sur le plan des moyens techniques, le terrorisme ne coûte pas très cher).

La stratégie adoptée par la coalition à l'heure actuelle a-t-elle portée ses fruits ? Des changements stratégiques doivent ils être opérés ?

La stratégie de la coalition apporte ses premiers fruits mais le temps de la cueillette est encore très loin. Ramadi, ce n’est pas Mossoul et la bataille de Raqqa est loin d’être gagnée puisqu’elle n’a pas encore été lancée. Je pense que là, Daesh prévoit une défense acharnée de la ville en préparant ses positions en profondeur. Pas sûr que les Kurdes tiennent à y mettre les doigts même avec l’appui massif des Américains et d’autres membres de la coalition. Par contre, les retraits de l’EI redonnent de l’espoir aux forces qui se battent à terre et peut semer le doute au sein des groupes et des tribus qui sont, pour l’instant, les alliés de Daesh. En ce qui concerne les activistes fanatisés du mouvement, ce doute n’existe pas ; ils savent que c’est la victoire ou la mort et beaucoup veulent finir en martyrs. De toutes façons, le président Obama l’avait prédit : "la guerre sera longue".

Et un petit rappel : même si Daesh est un jour vaincu, son idéologie salafiste-djihadiste sera toujours présente avec comme tuteur Al-Qaida "canal historique". Pas plus tard qu’hier, des menaces contre la France circulaient sur les réseaux sociaux. Elles provenaient d’Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) (1) et d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI).

(1). AQPA est responsable des attentats de janvier à Paris.

Quels sont les pays les plus concernés par le risque d'attentat ? Comment un État peut-il protéger son territoire efficacement ?

Aucune région du monde n’est épargnée. Si dans les mois passés Daesh appelait surtout les volontaires présents à l’étranger, soit à le rejoindre en Syrie ou en Irak, soit à défaut à passer à l’action localement, les attentats de Paris du 13 novembre ont démontré qu’il avait maintenant la capacité à utiliser des returnees (des djihadistes revenus au pays) pour conduire des opérations terroristes coordonnées. Si l’on s’en tient aux chiffres, il faut voir d’où venaient la majorité des djihadistes étrangers : Tunisie, Arabie saoudite, Égypte, Turquie, Caucase, Europe, Chine… Tous ces pays peuvent donc être frappés à plus ou moins longue échéance sans compter des initiatives individuelles prises localement par ceux qu’on appelle un peu rapidement des "loups solitaires".

La Turquie constitue un cas particulier. Certes des attentats meurtriers ont bien eu lieu jusque dans la capitale et deux activistes qui, selon les autorités turques prévoyaient une action suicide à la fin de l’année viennent d’y être arrêtés. Mais curieusement, aucune revendication n’a été émise par Daesh alors que ce mouvement s’empresse de donner sa marque à la moindre petite action offensive à l’extérieur. Je me perds en conjectures… Il n’y a pas de protection du territoire à 100%. Elle doit être défensive (l’état d’urgence) et offensive par le renseignement. Et les populations doivent être préparée à résister (la résilience). Tout cela est facile à dire mais extrêmement compliqué à mettre en œuvre.

Est-il possible de remporter cette nouvelle forme de guerre dite "asymétrique" ?

Actuellement non. La guerre asymétrique n’est qu’un moyen or il faut se battre au niveau des idées pour assécher le recrutement de Daesh. Pour l’instant, l’Occident est en peine de donner des réponses à ces recrues qui vont chercher ailleurs ce qu’elles ne trouvent pas dans la vieille Europe ou sur le continent américain. La mondialisation, la réussite (ou l’échec) par l’argent et même la liberté ne semblent présenter aucun attrait pour eux. Et en plus, beaucoup acceptent en souriant de se sacrifier pour leur "cause".

L’heure d’une remise en question sociétale est peut-être venue.

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