Pourquoi les maires du cru 2014 auront bien moins de pouvoir que leurs prédécesseurs<!-- --> | Atlantico.fr
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Les nouveaux maires auront des moyens financiers réduits.
Les nouveaux maires auront des moyens financiers réduits.
©Reuters

Finances en grève

Les maires nouvellement élus vont devoir faire face à des moyens financiers réduits, et sur un certain nombre de sujets, composer avec les communautés de communes, les communautés d'agglomération, les communautés urbaines... et l’État.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Les nouveaux maires élus prennent leur fonction. La droite l'emporte à près de 46% des voix. Pourtant ils n'ont pas forcément le champ libre pour appliquer leurs programmes. Dans quelles mesures les maires sont-ils limités dans leurs actions ? Quelles sont les réformes qui peuvent bloquer les politiques locales ?

Jean-Luc Boeuf : La limitation des actions des maires nouvellement élus est à la fois temporelle et budgétaire. Elle est temporelle parce que leur prise de fonctions intervient alors que l'exercice budgétaire de 2014 est soit entamé depuis plusieurs semaines si le budget a été adopté, soit largement contraint dans l'hypothèse où le budget ne serait pas encore adopté. Dit autrement, les équipes qui arrivent ces jours-ci ne se trouvent pas avec une feuille blanche à remplir (les dépenses) et une cagnotte à dépenser (les recettes). Au contraire, les nouveaux maires vont devoir faire face à des dépenses de fonctionnement largement entamées (à titre d'illustration, les rémunérations du personnel en représentent près de la moitié) et des dépenses d'investissement affectées, telles que les programmes en cours, les marchés signés et dont l'exécution a commencé, le paiement du capital de la dette. Les maires sont donc, avant d'avoir revêtu leur écharpe, contraints. Les autres réformes qui peuvent bloquer les réformes locales ont trait à la vie économique nationale dont certains aspects impactent directement les finances locales.

Comment le champ d'action des maires de droite est-il réduit par la gouvernance de gauche ?  

En se plaçant du côté de l'action locale, il s'agit moins d'une gouvernance de gauche (nationale) qui réduirait une gouvernance de droite (locale) que de contraintes nationales qui s'appliquent au champ local. Et ce, pour plusieurs raisons. 

- Historiquement d'une part, l’État central a toujours eu du mal à composer avec le local, qu'il s'agisse des provinces et des communes libres sous l'Ancien Régime, des affrontements entre le régime impérial des années 1850 et des Républicains opposants ou, plus près de nous, par les maires de gauche et le pouvoir gaulliste dont Gaston Defferre fut l'une des figures emblématiques. Il s'agit de constater cette alchimie difficile entre le local et le central, d'ailleurs toujours vaguement condescendant à l'égard de la province, quel que soit le pouvoir en place. 

- Financièrement d'autre part, le champ d'action des maires - de droite comme de gauche d'ailleurs est contraint par deux équations très simples que sont les recettes et les dépenses. Du côté des recettes, il convient de rappeler qu'elles sont constituées en quasi totalité par les dotations, par la fiscalité et par l'emprunt. Dès lors, les marges de manœuvre sont déterminées par ces questions simples : puis je augmenter la fiscalité ? les dotations vont-elles varier ? aurai-je facilement accès à l'emprunt ? Du côté des dépenses, comment puis-je en tant que maire agir pour les maîtriser l'augmentation alors que je suis soumis à la double contrainte des dépenses sociales et de la nécessité de réaliser ce pour quoi j'ai été élu. 

Matignon a récemment présenté une feuille de route chiffrée à plusieurs associations d'élus locaux. Alors qu'une baisse des dotations de 3 Mds € étalée sur 2014 et 2015 est déjà actée, le gouvernement réclamerait aux élus locaux un effort supplémentaire de 7,5 Mds € entre 2015 et 2017. Pourtant les maires élus se sont engagés à ne pas augmenter les impôts. A quel point sont-ils restreints budgétairement ?

Les chiffres sont limpides et les proportions encore plus lorsque l'on se place successivement du côté des collectivités locales puis de celui de l’État. Les dotations de l’État aux collectivités locales représentent près de la moitié de leurs budgets, en incluant les prises en charge de fiscalité supprimée. Quant aux impôts locaux, ils représentent entre le tiers et 40% des recettes. Du côté de l’État, les dotations, ce sont près de 100 milliards d'euros versés chaque année aux collectivités. Dès lors, dans le redressement des finances publiques, il ne semble difficilement  concevable que les collectivités n'y participent pas ! Tel est l'enjeu des relations financières entre l’État et les collectivités locales, à qui l'on peut appliquer cette formule d'André Fontaine à propos des relations franco-américaines où le couple dort dans le même lit mais ne fait pas les mêmes rêves. L'engagement de certains maires de ne pas augmenter les impôts est une réponse à ce qui se dessine dans l'opinion publique : un sondage de l'hiver 2013-14 indiquait que, aujourd'hui, une majorité des citoyens est favorable à une baisse de l'impôt, avec son corollaire, une moindre dépense publique locale. Naturellement ce constat est en contradiction avec les "programmes municipaux" qui proposent davantage de réalisations locales. Mais, alors que baissent les dépenses publiques d’État et que les autres niveaux de collectivités sont confrontées aussi à une stagnation de leurs budgets, il est presque certain que les cofinancements vont se tarir. 

5% des communes s'opposent encore à la réforme des rythmes scolaires, la contestation est toujours vive, notamment par rapport aux dépenses qu'elles génèrent. En première ligne face à l'opinion publique, les maires ont-ils encore le choix de leur politique ?

La question des rythmes scolaires est une nouvelle illustration des relations entre l’État et les collectivités locales, lesquelles sont nécessaires mais condamnées à l'ambiguïté. La décentralisation en France s'opère dans le cadre d'un Etat unitaire. Ce qui signifie que l’État central décide des normes applicables par les collectivités locales, avec une liberté moindre voire faible ou nulle pour ce qui est de la marge de manœuvre d'exécution. Si la représentation nationale vote une réforme pour les territoires, les élus doivent l'appliquer. Leur marge de manœuvre se situe de manière résiduelle, et à condition de trouver les moyens financiers nécessaires. Ce qui fait difficulté aujourd'hui est la mise en place de réforme(s) au niveau local sans que les collectivités n'aient forcément les moyens financiers complémentaires à ceux de l’État. Dans les années 1990, l’État transférait des compétences (ferroviaire, lycées, collèges, routes...) et les collectivités trouvaient les recettes pour assurer un service et des investissements supérieurs à celui offert par l'Etat. Ce n'est plus possible aujourd'hui.

En matière d'urbanisme, le maire a-t-il encore totalement la main ?

La montée en puissance de l'intercommunalité, voulue ou subie d'ailleurs, trouve ici sa concrétisation. Petit à petit, les compétences exercées par le maire sont transférées, depuis les schémas de cohérence territoire (SCOT) jusqu'aux plans locaux d'urbanisme (PLU). Le maire n'a donc plus totalement la main sur ces sujets. Il doit composer avec les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines et métropoles. Et c'est à ce niveau que le travail d'ensemble doit s'accomplir, avec et au-delà des changements politiques.

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