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Pourquoi les anciens officiers baasistes de Saddam Hussein ralliés à l’Etat islamique pourraient bien en être le talon d’Achille
©Reuters

Des hauts et des Baas

Pour structurer son administration et son armée, l'organisation Etat islamique peut compter sur le savoir-faire de nombreux anciens officiers baasistes du régime de feu Saddam Hussein. Idéologiquement laïc et nationaliste, le baasisme a des objectifs différents de ceux de l'EI. Le degré d'adhésion réel des anciens du Parti Baas à l'Etat islamique peut donc être questionné.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : On sait que l'organisation Etat islamique compte dans ses troupes de nombreux anciens du Parti Baas irakien orphelins de Saddam Hussein. Qu'est-ce que le baasisme dans la région et qui sont ces baasistes ?

Alain Rodier : Le parti Baas (Parti de la résurrection arabe et socialiste) a été créé en 1947 à Damas. Il avait pour objectif l'unification de tous les pays arabes en une seule nation. Il est parvenu au pouvoir en Syrie en 1963 puis après une éclipse de quatre ans, il y est revenu sur le devant de la scène en 1970 et perdure aujourd'hui. En Irak, après un bref passage en 1963, il s'est établi en 1968 et a disparu avec Saddam Hussein en 2003. A l'origine, le parti Baas prônait un socialisme arabe en insistant sur l'obligation de laïcité des institutions afin de préserver toutes les communautés religieuses. Avec le temps, les partis Baas syrien et irakien ont divergé pour finir par se séparer totalement. Il convient de ne pas oublier que la Syrie s'est opposée à l'Irak lors de la première guerre du Golfe (1990-1991) rejoignant une coalition de 34 Etats dont faisaient partie les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Arabie Saoudite, la Turquie, etc. A l’époque, Hafez el-Assad n’avait pas attiré les critiques des adversaires d’aujourd’hui de son fils. Et pourtant, il avait été à la base de bon nombre d’horreurs, en particulier contre les Frères musulmans.

Comment expliquer ce ralliement à l'organisation djihadiste Etat islamique alors même que l'idéologie baasiste est plutôt nationaliste et laïque ?

En fait, alors que l'Irak était soumis aux sanctions internationales 1991, personne ne s'est vraiment inquiété du fait que le régime de Saddam Hussein évoluait discrètement. De laïc, il est progressivement devenu religieux. Les constructions de palais ont fait place à celles de mosquées dont la plus grande du monde à Bagdad. La mention "Allah Akbar" a été rajoutée sur le drapeau national irakien. La consommation d'alcool a été prohibée en public et dans les restaurants. Bien sûr, cette démarche était adoptée par Saddam Hussein à des fins politiques. Il souhaitait allier l'islamisme qui progressait au nationalisme arabe. Mais cela a eu des répercussions directes sur les nominations dans le parti et dans les institutions. La nouvelle garde était également jugée sur sa foi islamique, la laïcité étant peu à peu oubliée. Après l'intervention américaine de 2003, ce sentiment s'est fortement exacerbé car les Irakiens ont pensé être les victimes d’une immense injustice. Or, les seuls à offrir un peu de résistance étaient les cadres du parti Baas et les islamistes radicaux qui, bien naturellement, se sont unis contre l’ennemi commun.

Quel rôle jouent les Baasistes au sein de l'organisation Etat islamique ?

Le plus connu, Izzal Ibrahim al Douri dirigeait le mouvement Jash Rijal al-Tariqa al-Nashibandiq qui s'est allié avec les mouvements sunnites qui résistaient à l'"occupation" américaine. Il a rejoint l'Etat Islamique d'Irak (EII), l'ancêtre de Daesh. Il y a servi de chef militaire à l'organisation Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) lorsqu’elle a été fondée en 2013. L’EI (Daesh) a pour sa part été officiellement créé le 29 juin 2014. Douri aurait été tué en avril 2015 mais sa mort n'a jamais été confirmée. A son image, les cadres du régime de Saddam Hussein, soit par conviction, soit par opportunisme, servent en tant que professionnels de la guerre et du renseignement. Ce sont par exemple eux qui étaient aux commandes des matériels un tant soit peu sophistiqués récupérés sur les armées irakiennes et syriennes (chars, artillerie, transmissions, etc.). Ils étaient les seuls à savoir s’en servir…

Pourraient-ils éventuellement représenter une frange de l'EI moins extrémiste avec laquelle il serait possible de négocier ? C'est ce que suggère dans une interview l'ancien négociateur du Vatican en Irak, le Père Jean-Marie Benjamin. (voir ici)

L’idée est séduisante. Elle a déjà été appliquée par les Américains entre 2006 et 2008 avec les milices des "fils d’Irak" appartenant au mouvement du "réveil" (Sahwa). Elles étaient majoritairement composées de membres de tribus sunnites de la province d’al Anbar. Cette région d’où l’EII avait été chassé par le Sahwa était alors devenue la plus sûre d’Irak. Aujourd’hui, elle est aux mains de Daesh dans sa quasi-totalité. Les autorités irakiennes (chiites) de l’époque s’étaient engagées à intégrer les hommes de ces milices dans l’armée nationale ou au moins, dans la fonction publique. Des cadres du parti Baas devaient être également réintégrés ou, tout au moins, toucher une retraite. Une bonne partie de ces promesses n’ont pas été tenues. Il en résulte que la suspicion est maintenant la règle, les sunnites et les ex-Baasistes n’ayant aucune confiance dans le pouvoir central de Bagdad. La présence massive des pasdarans de la Révolution iraniens aux côtés des milices chiites irakiennes n’est pas là pour les rassurer, d’autant que des exactions sur les populations civiles leur sont imputées.

Cela n’empêche qu’il y a quelque chose à creuser dans cette direction : tenter de convaincre les autorités irakiennes d’accorder une amnistie et une reconnaissance officielle à tous ceux qui accepteraient de se retourner contre Daesh, accorder une place dans les instances gouvernementales et administratives aux Sunnites et anciens Baasiste et convaincre ces derniers de la sincérité de ces mesures. Mais pour l’instant nous en sommes au niveau du vœu pieux.

Là où je rejoins complètement le Père Jean-Marie Benjamin, c’est sur le fait que pour gagner cette "guerre", les services secrets ont un rôle primordial à jouer : nouer des relations avec les "infréquentables", engager des tractations avec les uns et les autres, recueillir des renseignements de sources humaines qui viennent compléter les sources techniques, et agir. Encore faut-il que les autorités politiques leur en donne l’ordre.

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