FN : une adhésion trompeuse des Français, qui partagent bien plus les diagnostics du parti que ses solutions<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
FN : une adhésion trompeuse des Français, qui partagent bien plus les diagnostics du parti que ses solutions
©Reuters

Tout un programme

34 % des Français "adhèrent aux idées du Front national" selon le dernier baromètre d'image du Front national 2014 réalisé par TNS Sofres.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : 34 % des Français "adhèrent aux idées du Front national" selon le dernier baromètre d'image du Front national 2014 réalisé par TNS Sofres. "Le FN a gagné la bataille des idées", disait la présidente du parti frontiste en mai dernier. Ce dernier sondage confirme-t-il qu’une grande partie des Français adhère à l’idéologie frontiste ? Quels sont les points d’accord et de désaccord ?

Christophe Bouillaud : Il faudrait peut-être remarquer d'emblée qu'avec 34% des personnes interrogées déclarant se sentir proche des idées de Martine Le Pen, cette dernière exagère peut-être un peu sur sa victoire supposée dans la "bataille des idées". Un tiers des sondés ne représente tout de même qu'une grosse minorité. A ce compte-là, le Parti communiste français (PCF) de Maurice Thorez avait sans doute lui aussi gagné la "bataille des idées" auprès des Français... ce qui ne l'a pas empêché de devoir se contenter de la "fonction tribunitienne" pendant des décennies.

Par ailleurs, si l'on parle d'idéologie frontiste, à quoi fait-on exactement référence ? Est-ce qu'on parle d'une des versions, par ailleurs intellectuellement distinctes, des diverses idéologies historiquement classées à l'extrême droite (nationalisme intégral de l'Action française, catholicisme traditionaliste, néo-paganisme, fascisme en version tricolore, etc.), ou bien du programme officiel du Front national en 2013, ou bien encore du discours public tenu par Marine Le Pen et par son principal lieutenant actuel, Florian Philippot ? Pour ce qui est de la première hypothèse, il me parait certain que peu de Français adhérent à l'une ou l'autre des idéologies historiquement classées comme d'extrême droite. Le récent suicide de Dominique Venner, un des intellectuels engagé dans l'une de ces extrême-droite historiques, n'a, semble-t-il, guère ému la masse du peuple français. Sans offenser sa mémoire, en dehors des cercles militants d'extrême-droite, qui le connaissait d'ailleurs ? Il serait ainsi très exagéré de dire que l'une ou l'autre des extrêmes droites historiques a gagné la "bataille des idées". Elles restent d'ailleurs toutes très minoritaires dans les sphères intellectuelles (Université, édition, médias, haute administration, etc.) de la société française - ce qui ne les empêche pas bien sûr d'exister à leur mesure. Pour ce qui est du programme du FN, il est probable que les électeurs le connaissent peu. Par contre, difficile de ne pas avoir entendu ces derniers temps Marine Le Pen s'exprimer dans les médias. Or, en dehors des classiques antiennes sur l'immigration et l'insécurité, Marine Le Pen se présente comme le meilleur défenseur des intérêts des Français ordinaires contre les méfaits de la mondialisation et de l'Europe. Ce n'est pas totalement nouveau. Son père le faisait aussi, comme lors de son discours d'appel à voter pour lui aux "petits", aux "sans-grade", lors du second tour de l'élection présidentielle de 2002, ou dans ses critiques récurrentes contre l"euro-mondialisme". Sur ce point-là - disons la critique de la mondialisation, la demande de protection contre les grands vents mauvais du marché mondial, et en particulier contre les folies des marchés financiers -, le discours de Marine Le Pen se trouve raccord avec la majorité de l'opinion publique. Il l'est probablement aussi sur la demande d'ordre et de sécurité. Il l'est tout autant sur l'immigration ou sur le statut de l'islam dans la société française.

En fait, ce qu'on devrait constater, ce n'est pas tant que Marine Le Pen séduise désormais tous les Français qui pensent comme elle sur un point ou sur un autre, mais, à l'inverse, qu'elle ne réussit pas à rassembler derrière son parti tous les Français qui ont des idées qui vont dans le sens de ce qu'elle prétend désormais défendre. Il faut dire aussi que l'UMP et le PS ne sont pas restés sans réagir devant ces mouvements de l'opinion publique. Ils se sont "droitisés", tout au moins au niveau du discours tenu. Par exemple, lorsqu'un Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale, crée une "Charte de la laïcité" pour les établissements scolaires, il répond au moins implicitement à ce qu'il perçoit comme une demande montante des électeurs de "remettre l'islam à sa place" dans les services publics, il est en effet peu probable que cela soit la puissance écrasante de l’Église catholique dans la France de 2013 qui l'ait poussé à une telle manœuvre. De même quand N. Sarkozy finit sa campagne électorale de 2012 dans une marée de drapeaux français avec quelques propos bien sentis sur l'Europe, il ne reste pas sans réagir à ce qu'il perçoit comme une demande de protection de la part des Français contre le monde extérieur et contre "Bruxelles". Cette évolution du discours de la part des deux grands partis de gouvernement peut très bien convenir à la majorité des électeurs, en effet, être pour "remettre l'islam à sa place", vouloir "se protéger du grand méchant marché mondial" ou "en finir avec les diktats de Bruxelles", c'est une chose, être prêt à voter pour un parti qui n'a jamais exercé le pouvoir et que l'on dit extrémiste en reste une autre. 

D’après Europe 1, une note du ministère des Personnes âgées a été envoyée à François Hollande, l’avertissant que les plus de 60 ans, cœur de cible habituel de l’UMP, étaient quatre fois plus nombreux à penser voter pour le Front national aux élections municipales. On connaît l’attrait du FN auprès des jeunes, mais que faut-il désormais penser de ce report des plus âgés ?

On peut d'abord se demander sur quelle source se fonde cette note du ministère des Personnes âgées pour prédire une telle tendance. Un sondage ? Une étude qualitative ? Des on-dit ? (Et pourquoi le ministère des Personnes âgés s'occuperait-il de ce genre de préoccupations électorales ?) Quoiqu'il en soit, effectivement, les personnes âgées ne sont pas un électorat très favorable pour le FN. Les choix politiques des personnes âgées se sont souvent formées à une époque où le FN représentait essentiellement les perdants d'une Histoire que la majorité de dites personnes âgées avaient eux-mêmes vécu du côté des vainqueurs (période de Vichy, puis Guerre d'Algérie). Par exemple, les vieux admirateurs du Général de Gaulle ne pouvaient avoir que du mépris pour les partisans du Lieutenant Le Pen. Cet électorat de retraités est donc plutôt favorable dans les dernières années à l'UMP ou à la droite modérée en général. Probablement, s'il existe une source fiable pour la note citée du ministère, elle enregistre un mouvement de mauvaise humeur, dont il n'est pas certain qu'il se traduise dans les urnes. Dans de nombreuses situations locales, l'élection municipale est vraiment une élection qui se joue sur des considérations purement locales. Je vois mal pourquoi face un maire de droite qui gère bien sa ville, un électeur conservateur, surtout s'il est âgé et s'il est attentif au niveau de ses impôts locaux, se mettrait à voter FN, juste pour protester contre "la désastreuse gestion de F. Hollande". En fait, cette mauvaise humeur supposée des personnes âgées traduit sans doute le fait que l'UMP manque cruellement d'un leadership uni en ce moment, et n'apparaît pas comme assez dure à l'encontre du gouvernement Ayrault.

Ces 34% sont-ils à interpréter sur le même plan que les 16% de Français disant vouloir voter pour le FN aux municipales (CSA/BFMTV/Orange/Le Figaro, lire ici) ? Les motivations de ces personnes varient-elles selon qu’on se positionne sur un plan national ou local ?

Oui, dans le fond, ces deux chiffres reflètent uniquement des considérations très générales sur l'état de l'opinion, qui n'ont qu'un rapport assez indirect avec les futures municipales. Ainsi,  pour ce qui est du sondage indiquant que 16% des Français déclarent à ce stade vouloir voter pour un candidat FN, il faut bien avoir conscience qu'il n'a pas grand sens : en effet, s'il y a bien une chose qui est évident sur les municipales, c'est que les configurations locales comptent beaucoup, désolé de cette lapalissade. Il faut déjà signaler que, dans de très nombreuses petites communes, les gens ne pourront pas voter ni FN, ni UMP, ni PS, ni pour aucun parti, tout simplement parce que tous les candidats sont "apolitiques", "sans étiquette". Certes, c'est la France rurale, profonde, qui ne se voit pas beaucoup depuis les grandes villes, mais cela existe aussi. Ensuite, si on ne peut nier les effets de la conjoncture politique nationale sur les choix d'une grande partie des électeurs, il ne faut pas oublier que l'aspect proprement municipal joue énormément, et cela de deux manières. D'une part, chaque municipalité possède sa sociologie bien marquée (au sens de composition de la population), elle peut évoluer entre deux élections, mais elle constitue une donnée de base de l'élection. D'autre part, chaque municipalité sortante possède un bilan, souvent assez bien visible par les électeurs-contribuables concernés, et cela d'autant plus que les maires, en général fort avisés, tendent à finir leurs travaux juste avant les élections... Autrement dit, pour le FN, il existe une grande difficulté à transformer ces 16% de possibles électeurs ou ces 34% qui partagent ces idées, en de tangibles électeurs aux prochaines municipales, tout dépend du contexte local : en voyant l'accent mis par exemple sur une ville comme Béziers, il me semble que l'état-major du FN a lui-même bien compris la règle du jeu, et ne tend à utiliser ses chiffres nationaux que lui attribuent les sondages que pour sa propagande, sur le thème porteur du  "Nous arrivons". 

Les élections municipales devant se tenir dans six mois, comment les partis traditionnels doivent-ils réagir pour ne pas perdre leurs électeurs ? Diaboliser le FN et insister sur sa mauvaise gestion dans les communes est-il suffisant ?

Comme je l'ai dit, les élections municipales dépendent d'abord de considérations locales, d'une certaine façon les jeux sont déjà faits pour la plupart des municipalités. Si la sociologie de la ville a changé, si une ville est visiblement mal gérée, si une grande partie des habitants ont des rancœurs à l'encontre de l'équipe municipale sortante, ce n'est pas en six mois que la municipalité sortante peut inverser les choses. Les défaites municipales viennent souvent de loin. Le FN comme challenger peut du coup profiter de telles situations, et, là, à mon sens, il n'y a plus qu'à lui opposer un autre challenger plus crédible, ce qui dépend éminemment de chaque situation locale. On ne crée en effet une opposition localement crédible en six mois. Par ailleurs, je ne crois pas qu'insister sur la mauvaise gestion municipale passée du FN puisse avoir un quelconque impact sur l'opinion. La plupart des gens ont sans doute oublié que le FN avait emporté des mairies jadis, comme Toulon ou Vitrolles. Pour ce qui est de la "diabolisation", c'est une stratégie qui ne peut marcher que si elle recouvre de véritables oppositions de valeur et de choix politiques : par exemple l'électeur UMP-type et l'électeur FN-type ne sont pas vraiment d'accord sur l'avenir de l'Union européenne (et c'est un euphémisme), mais ont-ils un désaccord profond sur la possible gestion de la municipalité où ils habitent tous deux ? Cela reste à voir. Plus généralement, est-ce que cela ne serait pas une bonne chose pour le pluralisme de la démocratie française que le FN gagne quelques mairies de haute lutte l'année prochaine? En effet, cela permettrait à la fois au FN de se confronter aux complexes réalités de la gestion publique contemporaine et aux Français en général de voir si ce parti est capable de faire mieux que ses concurrents au niveau local.

Propos recueillis par Gilles Boutin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !