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Le PS a besoin d’un leadership fort pour s’unifier.
Le PS a besoin d’un leadership fort pour s’unifier.
©Reuters

Au nom de la rose

Hier sur la loi Macron, aujourd’hui à propos du contrôle au faciès, la gauche apparaît de plus en plus divisée à tel point qu’avant les traditionnelles universités d’été de la Rochelle, les frondeurs d’une part et les réformateurs de l’autre se réuniront séparément. L'état de la gauche est très inquiétant, pour ne pas dire catastrophique.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Christelle Bertrand : On a une gauche très disloquée, avec des fractures plus fortes que jamais», s'inquiétait récemment le député PS de Paris Christophe Caresche. Cela présage-t-il d’une possible scission du PS ?

Jean Garrigues : C’est difficile à dire. Si on s’en tient aux déclarations et aux confidences des Frondeurs, leur objectif n’est pas une scission et je crois que, pour l’instant, sur le terrain électoral, qui est malheureusement le terrain qui conditionne tous les comportements, il ne serait pas forcément de leur intérêt de chercher la rupture. Ils sont plutôt dans une stratégie d’influence et de rapport de force au sein du groupe parlementaire socialiste. Ce qui sera décisif, c’est l’analyse des élections de 2017. Je dis « les » élections car il y aura la présidentielle mais aussi les législatives et ce sont elles surtout qui détermineront la stratégie des frondeurs.

Mais la prospective est très difficile car nous sommes face à deux phénomènes contradictoires : d’un côté il y a une rupture très claire avec une partie de l’électorat de gauche qui considère que la politique menée est une politique de droite et ne donne pas de résultat, alors qu’une autre partie de l’électorat de gauche se convertit peu à peu au social-libéralisme. On le voit bien dans les sondages qui portent sur la conversion aux valeurs de l’entreprise. Ce sont principalement les couches les plus défavorisées, et notamment les sans-emploi, qui ont rompu avec la politique de François Hollande et de Manuel Valls. Cette rupture s’est traduite soit par un transfert vers le FN, soit par des comportements abstentionnistes. Enfin, une minorité de ces déçus c’est tournée vers les frondeurs.

De telles tensions ont-elles déjà secoué la gauche socialiste ?

C’est toute l’histoire de la gauche, depuis la création de la SFIO en 1905 à Paris, salle du Globe, sous l’impulsion de Jean Jaurès et de Jules Guesde mais surtout sous la pression de l’Internationale socialiste qui demandait aux différentes factions socialistes de se mettre d’accord après 30 ans de discorde. A l’époque, il y a 4 ou 5 familles socialistes qui se disputaient et l’on observait déjà deux sensibilités dominantes, l’une révolutionnaire, intransigeante, incarnée par Jules Guesde, député du Nord ouvrier, et l’autre, plus pragmatique et réformiste, incarnée par Jean Jaurès, qui acceptait le jeu électoral et les alliances avec les partis dits bourgeois. Jaurès a réussi à concilier à la fois une doctrine de rupture révolutionnaire et une stratégie plus gradualiste, ce que les historiens ont appelé la synthèse jaurésienne. 

Mais en 1920, au congrès de Tours, cette synthèse s’est brisée, la majorité des cadres de la SFIO la quittant pour construire le PC, qu’ils jugeaient plus conformes aux valeurs révolutionnaires.  A partir de là, et jusqu’aux années 1980, la SFIO a eu face à elle un parti contrôlé par Moscou et qui conservait une vision très intransigeante de la défense des intérêts populaires, hostile à toute transition vers la social-démocratie. C’est quelque chose qui a pesé et qui continue à peser sur les rapports de force au sein de la gauche. On voit bien aujourd’hui que ce qui retient les Frondeurs c’est l’idée de rester fidèle à cette histoire du socialisme comme vecteur intangible du progrès social, alors que les socio-libéraux tente d’amorcer une révolution intellectuelle d’adaptation pragmatique aux lois de la mondialisation.

Pour rester fidèles à ces thèmes fondateurs, certains sont parfois allés jusqu’à la scission. Vous parliez de 1920, il y en a eu d’autres. Est-ce que la scission mène toujours à la défaite ?

Non, pas toujours. A la fin des années 1960, la révolte d’une partie de la gauche contre ce qu’était devenu la SFIO, contre le "social-mollétisme" - du nom du premier secrétaire Mollet - s’est traduite en 1969 par un très mauvais score du candidat socialiste Gaston Defferre à la présidentielle, mais ce fut aussi le début d’une reconstruction qui allait mener François Mitterrand à la tête à la présidence de la République en 1981. Les luttes de faction, les clarifications, peuvent être, à terme, positives mais aujourd’hui on n’en est pas là car il n’y pas vraiment d’alternative entre la ligne gouvernementale et celle des Frondeurs.

Ce qui a dominé la division des socialistes pendant plusieurs décennies, c’était l’opposition entre une ligne «classique » de synthèse jaurésienne qu’incarnait François Mitterrand et la "deuxième gauche", représentée notamment par Michel Rocard, et qui prônait très clairement une transition vers la social-démocratie.

Ces tensions là aujourd’hui sont beaucoup moins marquées. Concrètement, ce que réclament les Frondeurs, en tout cas leurs chefs de file, c’est un peu plus de social, un peu plus de redistribution, rien d’autre. La critique de fond de la politique social-libérale vient surtout de l’extérieur du PS, du Front de Gauche, qui critique en bloc la soumission aux règles du capitalisme européen. Il y a aussi des critiques en interne, venant de la gauche du PS, de personnalités comme Gérard Filoche ou Marie-Noëlle Lienemann, qui a longtemps été une compagne de route de Jean-Luc Mélenchon à l’époque de la gauche socialiste. A cet égard, on retrouve les lignes de fracture historiques : Guesde contre Jaurès dans les années 1900, la "Bataille socialiste" contre Blum dans les années 30, Mitterrand contre Rocard dans les années 70-80. C’est contre la ligne rocardienne que Jean-Luc Mélenchon a créé en 1988 la Gauche socialiste, et l’on retrouve la même opposition entre d’un côté le Front de Gauche et de l’autre les héritiers de Michel Rocard et Jacques Delors que sont Manuel Valls et François Hollande.

Les socialistes n’ont-ils pas finalement besoin, comme la droite, d’un leader fort pour s’unir ? N’est-ce pas le défaut de François Hollande de n’être pas suffisamment charismatique pour fédérer la gauche ?

C’est tout le paradoxe d’une gauche qui tend à privilégier le collectif au détriment de la personnalisation du pouvoir, une gauche qui rejette le spectre du bonapartisme, de l’homme providentiel et qui, en même temps, a besoin d’un leadership fort pour s’unifier : Jaurès, Blum, Mitterrand. La question devient d’autant plus cruciale sous la 5ème République car celle-ci accentue la personnalisation du pouvoir puisque tout tourne autour de l’élection présidentielle. Donc on ne peut conquérir le pouvoir sans un chef charismatique et reconnu, du moins l’espace d’une campagne.

C’est donc un problème pour le PS mais aussi pour les Républicains. Il n’y a plus de véritable leadership à droite, comme il n’y a plus de leadership à gauche, François Hollande étant rejeté par une grande majorité des Français. L’une des raisons de la popularité de Manuel Valls, c’est qu’il a réussi à imposer cette image du leader, une image d’autorité, de fermeté, ce que François Hollande a totalement raté dans les premières années de son mandat. Il lui reste à superposer ce leadership avec l’incarnation du social-libéralisme s’il veut conduire la gauche aux élections présidentielles de 2017. C’est un sacré défi !

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