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Pourquoi le coût de la menace terroriste est inquantifiable
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Encore des coups

Pour celui ou celle qui s'interroge sur le terrorisme, la question du coût ne peut pas se situer en haut de la pile de ses préoccupations. Car enfin, il s'agit d'abord d'un combat entre la démocratie face à la prétention autoritaire et théocratique des semeurs de mort.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Le coût du terrorisme est en fait une série de cercles concentriques à la dynamique distincte.

En première approche, certains cantonnent le coût du terrorisme au montant des réparations et aux indemnités dues aux victimes. Au prix de la mort ? Or, le carnage évitable de Nice a montré que des centaines de personnes étaient victimes collatérales. Donc, il y a un coût caché dans ce segment de l'analyse.

Au quotidien, on pense que le terrorisme est statistiquement possible à quantifier de manière assez précise. On pense pouvoir facilement lister et chiffrer les coûts directs ( renforcements des infrastructures, appareils de détection, assurances, personnels de sécurité et vigiles, etc ) qui se retrouvent donc dans les comptes d'exploitation des entreprises tout autant que dans leurs bilans lorsqu'il s'agit de subir des investissements forcés.

Pour l'heure, peu de firmes présentent des comptabilités analytiques faisant clairement ressortir le coût de la prévention contre le terrorisme car cette transparence pourrait inquiéter le consommateur notamment lorsqu'il s'agit de grands magasins parisiens ou de grands centres commerciaux. Le coût existe, il est rapporté avec précaution voire habilement dilué.

Parallèlement, il faut bien reconnaître que l'Etat ne dispose pas d'une comptabilité assez précise pour quantifier ses efforts en matière de lutte contre le terrorisme.

La prévention des attentats structurés ( Bataclan ) et clairement imputables à une ou des organisations terroristes implique l'activation de cellules de renseignement reformatées ( effectifs, moyens, coordination ), la vigilance face à des actes isolés ( Magnanville ), la présence visible de forces de sécurité ( opération Sentinelle ), l'anticipation du risque de lourdes pertes civiles ( protection civile et plan blanc hospitalier ).

S'agissant du renseignement, il est admis que post-11 septembre 2001, près de 40% des dépenses des services américains ( NSA, CIA, FBI ) sont dédiées à l'antiterrorisme soit 35 milliards de dollars et donc près de 1% du budget de l'Etat fédéral.

Lors d'une audition au Sénat, le ministre Jean-Yves Le Drian avait estimé qu'un peu plus de 1% de notre PIB était directement affecté à la lutte contre le terrorisme. Etant entendu qu'il s'agit là du coût hexagonal hors les 1,3 milliards d'euros que la France alloue aux théâtres des opérations extérieures. ( OPEX ).

Ainsi, et en intégrant les dernières mesures liées aux nouveaux recrutements des forces de sécurité ( + 15.000 personnes ), il est plausible d'évaluer à plus de 2,5% du PIB le coût de la lutte contre le terrorisme soit plus de 65 milliards.

Mais là encore, attention aux dérapages de la pensée. Lorsque les forces de l'ordre sont appelées suite au crime de Saint Etienne du Rouvray, il est bien évident que les heures d'enquête, le travail des différents services ne font pas l'objet d'un détourage analytique et donc d'une comptabilité dédiée. Pas davantage que le coût – légitime – des commémorations ultérieures.

Si le chiffrage des coûts directs est a priori une opération à laquelle un esprit posé peut se risquer, il en va tout autrement des coûts indirects : de ces autres cercles concentriques de l'épreuve. Ainsi, lorsque la peur autocensure le citoyen, la billetterie d'un concert s'en ressent à l'aune de l'onde de choc découlant de Manchester. Ce manque à gagner – que la France a connu par un fléchissement de sa fréquentation touristique post-attentats – vient éroder de manière sournoise et diffuse la billetterie de bien des manifestations culturelles, sportives, etc. Certains statisticiens jaugent une perte en ligne de 5 à 12% mais rien ne permet loyalement de conforter leurs hypothèses qui sont parfois à la limite du farfelu lorsqu'il s'agit d'affecter un prix aux cyberattaques que les terroristes initient avec de plus en plus de dextérité.

Il y a un non-dit du discours privé sur le coût du terrorisme. Ainsi, qui sait quantifier ce que les psychiatres traitent comme chocs post-traumatique ?

En réalité, notre appareil productif est en capacité d'absorber ces surcoûts et là est la seule question. En revanche, il reste devant nous une interrogation fondamentale : le rapport au temps que modifie le terrorisme. Prenons l'exemple du transport aérien et convenons que les attentats ont fait naître des procédures de sécurité qui sont d'objectives dépenses de temps, de substantielles opérations chronophages. Que dire si demain on ne pourra plus travailler en avion car son ordinateur portable devra être cantonné en soute ? Comment chiffrer cette perte d'heures de travail productif avec un fin degré de précision ?

D'évidence, des signaux faibles nuisent à la bonne appréhension du coût du terrorisme ce qui consacre, selon ma compréhension de notre époque, une partie de la victoire partielle de ce fléau qui atteint donc notre capacité collective à vivre et produire.

L'institut pour l'économie et la paix ( IEP ) à Sydney a réussi à élaborer un " Global Terrorism Index " ( http://economicsandpeace.org/research/ )  qui progresse de manière significative du fait du nombre ( plus de 90 ) de pays atteints par le terrorisme et dépasse les 100 milliards de dollars. D'évidence, la terreur a désormais une envergure planétaire et déstabilise des pans entiers de l'économie de nations telles que le Nigéria ou bien d'autres. Faut-il, dès lors, inclure une quote-part du coût des migrations vers l'Europe dans le total des dépenses contre le terrorisme en France ? La question est techniquement légitime mais politiquement périlleuse.

J'érige le coût de l'attente de l'attentat à venir en coût anxiogène qui constitue un autre cercle concentrique.  " L'obsession de la mort enlève la vie comme une lame de fond. Reste l'homme qui attrape le torticolis de l'attente ". ( G. Perros, Papiers collés, I ).

Nos systèmes d'information ne sont pas adaptés au recensement des charges que nous devons supporter soit frontalement soit via ce sinistre torticolis de l'attente.

Au plan purement macroéconomique, a-t-on songé que les consommations d'essence des véhicules de patrouille de l'opération Sentinelle vont abonder le chiffre de la croissance du PIB alors qu'elles sont, en substance, des externalités négatives. Tout est dit par ce simple exemple. Vouloir chiffrer le terrorisme c'est une approximation technique manifeste et une erreur analytique puisqu'on additionne des montants que l'on décompte ici en coûts et là en effets d'aubaine pour la croissance du pays. Typiquement ce sujet du coût du terrorisme est soumis au risque intellectuel de la réification.  (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/réification/67739 )

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