Pourquoi la recherche d’un accord à courte vue sur les assurances vieillesses complémentaires pourra coûter jusqu’à 18% aux futurs retraités<!-- --> | Atlantico.fr
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Les salariés qui auront atteint le taux plein à 62, 63, 64, 65 ou 66 ans en 2019 seront les premiers à subir une baisse de leur retraite pendant trois ans s’ils ne décalent pas d’une année.
Les salariés qui auront atteint le taux plein à 62, 63, 64, 65 ou 66 ans en 2019 seront les premiers à subir une baisse de leur retraite pendant trois ans s’ils ne décalent pas d’une année.
©Reuters

Et après-demain ?

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a calculé que les retraites diminueront de 18% en se basant sur les mesures de l’accord d’octobre 2015 sur les retraites complémentaires Agirc-Arrco. Une chute largement due à la vision court-termiste des gouvernements successifs.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Atlantico : Selon une simulation réalisée par le COR (Conseil d’orientation des retraites), les retraites complémentaires pourraient être affectées à hauteur de 18% par l’accord de principe trouvé en octobre dernier par les partenaires sociaux. Qu’en est-il réellement ? Quelles sont les personnes concernées par cette baisse ?

Vincent Touzé : Le 30 octobre 2015, un accord national AGIRC-ARRCO-AGFF relatif aux retraites complémentaires des salariés du secteur privé a été conclu grace à la signature de syndicats de salariés (CFDT, CFEC et CFTC) et du patronat (MEDEF, CGPME et UPA).

Outre la création d’un « régime unifié de retraite complémentaire » le 1er janvier 2019, cet accord vise à restaurer une solvabilité des régimes de retraite complémentaire. Il comprend principalement : 

- Des mesures à effet immédiat et progressif pendant 3 ans (période 2016-2018) : 

  • Désindexation partielle des pensions de 1 point par rapport à l’inflation avec une interdiction de toute baisse nominale (cette règle ne s’applique pas si l'inflation est inférieure à 1%, ce qui n’est pas le cas en 2016).
  • Hausse du prix d'achat du point : en 2015, 100€ de cotisation donnait droit à 6,56€ de retraite. En 2016, le droit à retraite ne représente plus que 6,39€, soit une baisse de 2,5%. L’objectif visé est de réduire ce rendement à 6€, soit une baisse de 8,5%.
  • Décalage de 7 mois de la date de revalorisation.

- Des mesures à effet différé (à partir du 1er janvier 2019) : 

  • Application d’un coefficient de solidarité pour les nouvelles retraites versées à taux plein pour le régime de base : la retraite complémentaire sera amputée de 10% pendant 3 ans. Cette mesure impactera : les actifs nés à partir de 1957 et âgés de 62 ans pour 41,5 années de cotisation ainsi que les salariés qui n'auront le taux plein qu'à 63, 64, 65 ou 66 ans, c-à-d des salariés nés à partir 1953, souvent des femmes et/ou des personnes ayant subi des périodes de chômage non indemnisées. Les salariés qui accepteront de travailler une année supplémentaire n’auront pas de décote.
  • Application de coefficients majorants : un salarié qui accepte de rester en poste après l'obtention de son taux plein bénéficiera respectivement d'un bonus de 10, 20 ou 30% pendant un an s'il prolonge de 2, 3 ou 4 ans.
  • Hausse de deux points du taux d'appel des cotisations : il passera de 125 à 127%, assimilable à une hausse permanente de 1,6% du prix d’achat d’un point de retraite.
  • Hausse du taux de cotisation salariés AGIRC afin d’aligner la répartition sur celle de l’ARRCO (40% salariés / 60% employeurs) contre 38% / 62% actuellement.
  • Fusion des tranches : alignement du taux de la tranche 2 des non cadres sur la tranche B des cadres.

Sans accord, les régimes de retraite complémentaire auraient épuisés leur fond de réserve entre 2023 et 2029 selon différents scénarios de croissance et de chômage.

D’après une étude publiée par AGIRC-ARRCO en février 2016, les impacts financiers seraient les suivants :

Par ailleurs, il faut noter qu’un taux d’inflation supérieur à 1% ne sera pas au rendez-vous en 2016. Si la faible inflation voire la déflation est durable, l’impact financier de la désindexation partielle ne sera donc pas au rendez-vous avant longtemps.

L’impact générationnel de cet accord peut sembler injuste car il impacte peu les individus déjà retraités et uniquement via le mécanisme de désindexation partielle qui est inopérant en période de faible inflation.

Les salariés qui auront atteint le taux plein à 62, 63, 64, 65 ou 66 ans en 2019 seront les premiers à subir une baisse de leur retraite pendant trois ans s’ils ne décalent pas d’une année. A long terme, les générations (celles nées dans les années 1990 et après), qui cumuleront tous les effets (baisse du nombre de points, décote de 10% et hausse du taux d’appel de 2 points) subiront implicitement une baisse élevée de leur pension. L’étude publiée par le Figaro le 5 avril annonce une baisse de l’ordre de 17 à 18%. En considérant que la part de la pension complémentaire représente entre 25 et 30% de la retraite totale, cela implique une baisse comprise entre 4,25 et 5,4% pendant 3 ans si liquidation des droits à l’âge du taux plein. Il y aura donc une très forte incitation pour les jeunes et futures générations à travailler après l’âge du taux plein. Ce dernier sera en général atteint à 67 ans en raison d’une entrée tardive sur le marché du travail.

Les salariés cadres seront les plus touchés par la réforme, car pour ces derniers, la part de la retraite complémentaire dans la pension totale est plus élevée que chez les salariés non-cadres.

On notera également que les pensions de retraite de la fonction publique ne sont pas concernées par cette baisse, l’Etat assurant de facto l’équilibre en s’adaptant à la hausse du nombre de retraités et des pensions  versées. Au contraire, la hausse annoncée du point fonction publique augmentera mécaniquement le montant des futures pensions. 

Cet accord devrait permettre d’économiser 1,7 milliards d’euros en 2017 et jusqu’à 8,6 milliards d’euros en 2030 si tout se passe comme prévu. 

On remarque que l’équilibre financier n’est rétabli ni à court terme (2017) ni à moyen terme (2030) puisque le régime unifié présente toujours un solde primaire négatif (5 milliards d’euros de déficit en 2017 et 4,1 en 2030). L’accord permet juste d’épuiser le fonds de réserve plus tard. Ces mesures ne seront pas suffisantes à long terme, ce qui signifie que le niveau de pension des futurs retraités pourrait encore baissée.

Comment justifier cette situation ? La baisse des retraites complémentaires était-elle la seule solution possible à la pérennité du système ?

Le principal levier activé pour restaurer la solvabilité est celui de la baisse programmée des pensions et non celui de la hausse des cotisations, outil déjà fortement utilisé dans le passé.

Augmenter le taux de cotisation implique une baisse du pouvoir d’achat des salariés et une hausse du coût du travail. Une hausse des cotisations n’est pas souhaitable en cette période de chômage durable et de faiblesse du pouvoir d’achat des ménages consécutive à la hausse de la fiscalité. 

Un autre levier aurait pu être une réduction programmée des pensions de retraites déjà liquidées. Une telle mesure aurait eu le mérite de partager plus équitablement entre les générations le fardeau de l’équilibre financier de la retraite complémentaire.

Pourtant, dans une note publiée en 2015, L’INSEE indiquait « la part des dépenses de retraites dans le produit intérieur brut (PIB) devrait baisser de manière marquée entre 2013 et 2060 (– 2,6 points). La France se trouverait ainsi dans une position relativement favorable par rapport à ses partenaires européens pour faire face au vieillissement de sa population. » Dès lors comment justifier les incessantes demandes de réformes françaises sur ce point ? Quelles sont, encore aujourd’hui,  les failles du système de retraite français ?

(http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ia21)

La prospective en matière d’évaluation du solde financier des systèmes de retraite est un art. Le résultat est très sensible aux hypothèses de croissance de la productivité et donc des salaires, de la démographie qui rythme la dynamique du nombre d’actifs (taux de fécondité) et de retraités (taux de mortalité) ainsi que du taux de chômage qui determine le nombre de cotisants effectifs. 

En France, les projections du Conseil d’orientation des retraites font références. Elles sont souvent considérées comme optimistes car elles sont basées sur des hypothèses de croissance élevées (entre 1 et 2% pour le scénario central) et de chômage faible à long terme (entre 4,5 et 7%)

Cette étude de l’INSEE annonce une baisse du poids relatif des dépenses de retraite à partir de 2025. Avec une fécondité plus forte et une hausse plus faible de l’espérance de vie, les hypothèses démographiques sont plus optimistes que celles du COR.

En matière de bonne gouvernance des systèmes de retraite, il faut éviter les hypothèses trop optimistes, car leur manque de réalisme conduit souvent à retarder l’adoption de véritables mesures susceptibles de garantir la solvabilité à long terme. 

Dans les années 1990, la Suède a entrepris une réforme véritablement durable de son système de retraite de base qui verse des pensions contributives. Pour les nouveaux retraités, la règle de calcul de la pension intègre notamment les gains en espérance de vie. Si l’espérance de vie augmente, le niveau de pension est diminué pour un niveau de contribution donné (épargne notionnelle) et un âge donné. En 2001, une règle d’ajustement automatique du niveau général des pensions a été adoptée pour garantir l’équilibre financier. Un ratio de solvabilité estime ainsi l’éventuel sous-financement du système. Si c’est le cas, une baisse uniforme s’applique à l’ensemble des pensions. Depuis l’adoption de ce ratio de solvabilité, il y a eu trois baisses nominales des pensions : 1,7% en 2010, 4,5% en 2011 et 1,6% en 2014.

Un système de retraite est d’autant plus équitable qu’il s’ajuste, en suivant une règle comprise par tous, en fonction des évolutions économiques et démographiques (constatées et prévisibles). En France, on a l’impression que les paramètres du système de retraite sont calibrés de façon à garantir l’équilibre que si tout se passe bien (par exemple, scénario  optimiste du COR). 

L’accord du 30 octobre 2015 illustre qu’une mauvaise anticipation de la situation économique et démographique future peut conduire à des ajustements brutaux et inéquitables d’un point de vue générationnel.

Pour en finir avec les réformes régulières et aux conséquences imprévisibles, deux pistes sont à étudier :

  • Améliorer l’éducation économique et financière des citoyens afin qu’ils puissent mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à l’équilibre financier des systèmes de retraite (voir par exemple, les travaux du professeur d’économie et de l’ancienne ministre italienne des affaires sociales, Elsa Fornero, 2014, : http://www.revue-banque.fr/medias/content/users/christine/1420637656261.pdf);
  • Adopter des mécanismes d’ajustement automatique qui permettent de modifier régulièrement selon des règles prédéfinies les paramètres du système de retraite (voir par exemple, l’étude de F. Gannon, F. Legros et V. Touzé, 2014 :  http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2014-24.pdf). Les ajustements automatiques garantissent la solvabilité dans le temps et évitent la perpétuelle procrastination qui conduit souvent à adopter des mesures non durables et dans l’urgence. La recherche de solvabilité permet de satisfaire une plus grande justice entre les générations. Les ajustements automatiques donnent des règles.

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