Pourquoi la menace terroriste actuelle est gérable : sa réalité, c’est quelques dizaines de bombes humaines potentielles parmi quelques milliers d’islamistes radicalisés<!-- --> | Atlantico.fr
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L'actuel gouvernement est médusé, pétrifié, stupéfait. Depuis ce premier attentat de janvier 2015, il ne sait que faire d'essentiel et est KO debout.
L'actuel gouvernement est médusé, pétrifié, stupéfait. Depuis ce premier attentat de janvier 2015, il ne sait que faire d'essentiel et est KO debout.
©Reuters

Que voulez-vous y faire qu’ils disaient

Alors que, suite à la série d'attentats vécus en France ces derniers mois, de nombreux discours fatalistes et impuissants ont pu voir le jour dans le débat public français, la menace terroriste actuelle n'est pas forcément ingérable. Encore faut-il prendre les bonnes décisions.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Au vu des récents attentats commis sur le territoire français ces derniers temps, on constate un certain discours d'impuissance de la part de nos dirigeants politiques face à cette menace terroriste. Ce type de discours n'est-il pas contre-productif dans la lutte antiterroriste ?

Xavier Raufer : Depuis Charlie Hebdo, je m'acharne à dire, et personne ne m'a contredit jusqu'à maintenant, que l'actuel gouvernement est médusé, pétrifié, stupéfait. Depuis ce premier attentat de janvier 2015, il ne sait que faire d'essentiel et est KO debout. Il a fait énormément de choses accessoires : essayé de défendre sa réputation, organisé des spectacles, planté des arbres, invité des chanteurs à chanter, appelé à l'unité nationale, défendu son bilan, etc. Aujourd'hui, nous sommes 250 morts plus loin à peu de choses près, et sur le fond des choses rien n'a changé. Ce qu'il faudrait faire pour mettre la France en ordre de bataille face au péril terroriste n'est pas fait.

Au moment où cette vague énorme de terroriste commence en janvier 2015, la France avait une vingtaine d'acteurs autour de la table quand se réunissait l'Uclat (coordination antiterroriste au ministère de l'Intérieur) : les différents services de renseignements, la douane, Tracfin, etc. Aujourd'hui, ils sont 22, ce qui ne fait qu'encombrer un peu plus cet immense mille-feuilles de services avec un état-major opérationnel de lutte antiterroriste (EMOPT) qui rajoute une couche de plus mais qui ne résout rien.

Attentat après attentat, le criminologue que je suis ne peut que répéter la même chose : la France n'a pas de service dédié à l'antiterrorisme. Elle a un service de renseignement intérieur dont la mission originale était le contre-espionnage (empêcher des espions étrangers de nous espionner en France). Ce n'est pas du tout le même métier que l'antiterrorisme. Dans le contre-espionnage, il y a du secret, du long terme, de la discrétion et de la durée ; dans l'antiterrorisme il y a la détection précoce des menaces et le partage le plus immédiat des informations. Cela demande donc des talents à peu près opposés… Tant que la France n'aura pas un tel service dédié à l'antiterrorisme capable de déceler rapidement les éléments menaçants et de les mettre hors d'état de nuire avant qu'ils ne passent à l'acte, nous subirons attaques après attaques au milieu des jérémiades, des ébranlements de la société, de l'immense émotion de la population française et, si les choses continuent, de son immense colère.

J'insisterai enfin sur un point : les peuples ont une histoire. Il faut toujours se méfier des peuples régicides. Il y a très peu de peuples sur cette planète qui ont tué leur roi : la Russie, la France et l'Angleterre du temps des guerres religieuses. Ces peuples ont une pratique constante : ils supportent, ils subissent, et un beau jour ils renversent la table. Chaque attentat, hélas, nous rapproche un peu plus d'une situation dangereuse et violente.

Quelle est l'ampleur réelle de cette menace ? Vivons-nous vraiment avec des milliers de terroristes potentiels en France ? Parmi ceux-ci, tous sont-ils vraiment prêts à passer à l'action ?

Xavier Raufer : C'est un problème technique. Résoudre la crise terroriste que vit violemment la France depuis un an et demi revient à faire une chose, et si on la fait, on règle le problème à 90%. Il faut d'abord partir des fondamentaux : plus une situation est dangereuse, périlleuse et affolante, plus il faut garder son calme. L'élément fondamental est le suivant : pas plus qu'en biologie, il n'y a en matière de criminologie de génération spontanée. Il n'arrive jamais qu'un individu décide brutalement de passer à l'acte, sur l'heure. Chaque fois qu'un drame terroriste se produit, le lendemain ou le surlendemain des magistrats ou des hommes politiques nous disent qu'il préparait son coup depuis un an. C'était le cas à Nice : on nous a d'abord fait le coup de la radicalisation expresse, c'était un mensonge.

Pour Nice, j'ai moi-même transmis au public sur Atlantico un avertissement sur le fait que l'Etat Islamique réclamait depuis quelques semaines des attentats avec des camions. Si l'on avait tenu compte de cet avertissement-là, ce qui n'a pas été fait, on aurait sans doute fait plus attention au camion qui approchait de la zone où les gens étaient en train de regarder le feu d'artifice.

Par ailleurs, les futurs terroristes, à un moment donné, préparent leurs actes, et sont donc repérables pendant cette phase de préparation, si on sait être attentif ! Prenons un exemple simple : deux individus connus pour être des voyous, des gens un peu paumés, instables, etc. Ils présentent des caractéristiques marquantes de ce qu'on appelle les hybrides : ces individus à mi-chemin entre le terrorisme et le crime organisé. Ils commencent par voler une voiture, vont dans des cités pour négocier et acheter un fusil d'assaut, qui vont faire des repérages autour de Charlie Hebdo (une cible mondialement connue des islamistes depuis l'affaire des caricatures du Prophète), qui se procurent des cagoules et mettent tout cela dans une voiture… Est-il besoin d'être Sherlock Holmes pour se rendre compte de ce qu'ils vont faire ? Si vous les surveillez préventivement, vous voyez tout ce que je viens de vous indiquer et vous pouvez intervenir au moment du passage à l'acte. Cela n'a pas été le cas pour Mohamed Merah, les Kouachi, Sid Ahmed Ghlam, Amedy Coulibaly, le commando du 13 novembre, Lahouaiej Bouhlel et les auteurs de l'horreur de Saint-Etienne du Rouvray. Le service de renseignement intérieur français est incapable à l'heure actuelle – la preuve : il y a 250 morts – de détecter les signes annonciateurs d'un passage à l'acte.

La situation est simple : vous avez en France quelques milliers d'individus fanatisés. Sur ces milliers, quelques dizaines sont des bombes humaines capables de mourir pendant l'action. Séparer, distinguer et sélectionner ces bombes humaines des fanatiques ordinaires, c'est la seule tâche et la seule mission d'un service antiterroriste. Ce n'est pas surhumain à comprendre, et c'est réalisable car il n'y a pas de génération spontanée. Les individus préparent toujours les choses, on peut donc voir ce qu'ils vont faire. Si vous voyez chez vous votre mère prendre une poêle, battre des œufs et mettre du beurre dans la poêle, ce n'est pas la peine de sortir de Polytechnique pour se rendre compte qu'elle va préparer une omelette…

Quels sont les moyens d'action que nous pourrions concrètement mettre en œuvre pour faire face à cette menace terroriste ? Que ce soit sur le plan du renseignement ou sur le plan juridique, y a-t-il des mesures applicables à court terme ?

Xavier Raufer : Le criminologue n'est pas un politicien mais un expert et n'a pas vocation à dire au ministre ce qu'il doit faire. En revanche, à l'heure actuelle, tout ce que je viens de vous dire précédemment, le renseignement intérieur français ne le comprend pas et ne l'admet pas. Dans ce cas-là, sans avoir aucune espèce de grief personnel contre les chefs du renseignement intérieur, ils doivent partir ! Il faut que le ministre de l'Intérieur change la direction du renseignement intérieur et modifie les services existants. Cela ne lui coûtera pas un centime : on fait comme les Anglais, en prélevant sur différents services une unité antiterroriste dédiée et en les mettant au travail, à savoir trouver les bombes humaines au milieu des fanatiques.

C'est dans cette direction qu'il faut s'engager. Le ministre de l'Intérieur dit ne pas vouloir toucher au renseignement intérieur pour ne pas le déstabiliser. Qu'est-ce que cela serait s'il était instable, il y a 250 morts ! Nous allons attendre combien de temps ? Saint-Etienne du Rouvray est un foyer d'islamistes : il y a des mosquées salafistes, tout le monde le sait. On ne sait pas encore précisément d'où viennent ces individus-là, mais ce sera sans doute le même profil que pour les cas précédents (la plupart du temps ce sont des gens issus de l'immigration maghrébine, avec un passé de voyou, instables mentalement, qui ont connu une phase plus ou moins rapide de radicalisation et de plongée dans la folie meurtrière). Cela ne doit pas être impossible de trouver ces gens-là.

Guillaume Jeanson : Ces deux derniers mois, deux lois ont été votées pour lutter contre le terrorisme. Le 3 juin était promulguée celle "renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale". La semaine dernière, celle renouvelant pour la quatrième fois l’état d’urgence. Il serait donc faux de penser que les autorités sont restées inactives. Pour autant, on sent un fatalisme gagner jour après jour nos gouvernants à mesure qu’est murmurée puis répétée l’expression "statu quo". Certes, à grand renfort de lapalissades, on pourrait se contenter de rabâcher avec un ton sentencieux, comme ils sont si nombreux à le faire, que "le risque zéro n’existe pas". Mais la vraie question que nos gouvernants doivent aujourd’hui se poser est la suivante : ont-ils vraiment tout mis en œuvre pour lutter contre le terrorisme ?

À l’évidence, la réponse ne saurait être affirmative. Le rapport de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, présidée par le député LR Georges Fenech, formule 40 propositions. Si certaines ont d’ores et déjà été reprises lors du vote de la loi prolongeant l’état d’urgence, beaucoup sont restées lettre morte. Or, il y est notamment question de réorganisation des services de renseignement, de plans de recrutements et de meilleur suivi des victimes. Bien sûr, on aurait tort d’imaginer pouvoir trouver une "mesure magique" capable d’endiguer, à elle seule, le fléau djihadiste qui frappe l’Europe. Pour autant, chaque piste susceptible de renforcer nos chances d’empêcher la commission de certains attentats ou d’en limiter les effets mortifères doit être sérieusement examinée et poursuivie.

Est-il seulement besoin de rappeler que des vies humaines sont ici en jeu ? Il faut urgemment revoir l’échelle des peines. Il n’est pas acceptable qu’un terroriste comme l’un de ceux qui ont ignoblement égorgé ce mardi le père Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray ait pu être remis en liberté quelques mois seulement après avoir été mis en examen pour avoir tenté de rejoindre, pour la deuxième fois, Daech en Syrie.

Comme ceux qui pouvaient encore en douter n’auront pas manqué - je l’espère - de le constater, un bracelet électronique n’empêche en rien la commission d’un attentat. Mais renforcer l’échelle des peines implique nécessairement de construire enfin ces places de prisons qui nous manquent depuis des années, comme le rappelle si souvent l’Institut pour la Justice. Le gouvernement qui a stoppé le plan de construction de 24 000 places initié par la droite en 2012 et qui dénonce aujourd’hui en chœur avec certaines voix autorisées notre "surpopulation carcérale" doit maintenant cesser de tergiverser et poser des actes concrets sur ce terrain.

Autre mesure aux effets certainement plus rapides : la généralisation de l’armement des policiers municipaux. Car à l’heure où certains experts nous parlent déjà de "terrorisme de proximité", il faut se rendre à l’évidence, ce sont eux qui risquent d’avoir à intervenir les premiers sur les lieux de commission des attentats. Yves Bergerat, vice-président du Syndicat national des policiers municipaux rappelait vendredi dernier que parmi les 21 000 policiers municipaux, seuls la moitié sont armés. Demandant que les policiers municipaux soient équipés d’armes d’épaule, les 9 Parabellum qui sont la norme dans d’autres pays d’Europe, il s’interrogeait alors en ces termes : "cette arme d’épaule, on va la confier au boulanger ou au boucher du coin qui va venir 25 jours par an dans la réserve opérationnelle et nous, on ne pourrait pas en disposer ?" Il va sans dire qu’une telle mesure ne peut faire l’économie de tests d’aptitudes et de formations adéquates dispensées à chaque policier qui pourrait se voir ainsi armé.

Mais l’éventail de ces mesures ne doit pas non plus s’arrêter là. Les Français attendent aussi de leurs gouvernants des décisions courageuses pour lutter le plus efficacement possible contre l’idéologie distillée par Daech. Il ressort en effet d’un sondage BVA du mois de juillet 2016 que 86% des sondés estiment que la lutte contre la propagande djihadiste et la radicalisation constituent un axe prioritaire d’action du gouvernement pour répondre aux récents attentats. Ce souci est justifié. L’expert psychiatre, Président de la ligue de santé mentale, Roland Coutanceau, amené à expertiser plusieurs personnes radicalisées, déclarait il y a quelques mois : "je ne suis pas pessimiste par tempérament mais Daech est l’une des machines destructrices les plus folles de l’histoire (…). Plus la technique d’endoctrinement est sophistiquée, plus l’esprit critique doit être développé pour y résister. Le combat est aussi culturel et éducatif".

Parmi les mesures à prendre de toute urgence, figurent donc en bonne place celles nous permettant de mener, sans illusion, ce combat culturel et éducatif. Si les dérives révélées ces derniers mois ont pu entacher légitimement la confiance des Français en l’efficacité présumée des nouveaux centres de "dé-radicalisation", la question ne saurait cependant s’y limiter. Il y a deux semaines, le rapport de la mission d’information sénatoriale sur "l’organisation, la place et le financement de l’islam en France" indiquait que "les imams de France sont étrangers pour la plupart – seuls 20% à 30% auraient la nationalité française – et souvent bénévoles – 700 à 800 d’entre eux seraient rémunérés à temps partiel ou complet". Selon le ministère de l’Intérieur, trois pays envoient des imams en France : la Turquie (151), l’Algérie (120) et le Maroc (30). Mais d’autre pays financent allègrement la construction de mosquées et les salaires des imams. Le Figaro du 7 juillet dernier précisait par exemple que l’Arabie Saoudite, pays dans lequel il est notoirement connu que la forme dominante de l’islam sunnite qui y est prêché est le wahhabisme, "a participé au financement" de huit mosquées françaises et "finance" les salaires de 14 imams. La sortie de ce rapport a été également l’occasion pour la Sénatrice UDI Nathalie Goudet de se faire l’écho de la "lourde inquiétude" avec laquelle les sénateurs sont revenus de leurs visites des centres de formation officiant dans ces pays. La source de cette inquiétude résiderait principalement dans l’"absence de contextualisation" de ces formations. La conséquence, telle que rapportée par Irène Inchauspée du quotidien l’Opinion, en serait que "les imams formés à l’étranger peuvent véhiculer des idées reçues et des présupposés qui les mettront en porte-à-faux en France". Toujours selon cette dernière, "cette pratique des "imams détachés" par des États étrangers illustre, selon les rapporteurs, ironiques, "la double sincérité du discours officiel" sur la nécessité de limiter l’influence des pays d’origine quand, dans le même temps, le ministère de l’Intérieur et celui des affaires étrangères "passent des accords avec plusieurs d’entre eux" - l’Algérie et le Maroc notamment".

À ce sujet, le député LR Guillaume Larrivé a déposé une proposition de loi destinée à interdire le financement étranger des lieux de culte. Comme il le déclarait récemment, "60 mosquées salafistes ont été répertoriées et ne font l’objet que trop rarement d’interdiction". Pour quelle raison ? "La législation repose sur un texte de 1938 sur la dissolution des ligues. Les procédures en sont si lourdes que le texte est difficilement applicable". Enregistrée auprès de la présidence de l’Assemblée nationale, les députés seraient certainement bien inspirés d’examiner rapidement cette proposition de loi. La réponse à apporter au terrorisme, qu’elle soit de court, moyen ou long terme est donc multiple. Il faut refuser le statu quo. Il faut agir et vite.

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