Pourquoi la gauche et la droite feraient bien de s’inspirer de Marine Le Pen et des raisons de son succès dans les sondages<!-- --> | Atlantico.fr
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D'après un récent sondage Ifop pour Marianne, si les élections présidentielles étaient organisées ce dimanche Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour avec 26% des voix
D'après un récent sondage Ifop pour Marianne, si les élections présidentielles étaient organisées ce dimanche Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour avec 26% des voix
©REUTERS/Philippe Wojazer

Ô Muse...

Marine Le Pen en tête au premier tour des présidentielles ? C'est possible d'après un récent sondage Ifop pour Marianne. Il faut dire que la leader frontiste a bien compris les attentes et les frustrations d'une partie de la société, qui se considère comme la "laissée pour compte" de la mondialisation. Les partis de gouvernement seraient bien inspirés d'intégrer cette réalité s'ils ne veulent pas que les projections deviennent réalité.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : D'après un récent sondage Ifop pour Marianne, si les élections présidentielles étaient organisées ce dimanche Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour avec 26% des voix, contre 25% pour Nicolas Sarkozy et 17% pour François Hollande. Ces résultats relèvent-ils de l'anecdote ou au contraire, ont-ils valeur d'avertissement pour la gauche et la droite ? Pourquoi ?

Bruno Cautrès : Il convient tout d’abord, bien sûr, de rappeler la prudence qu’il faut avoir vis-à-vis des sondages d’intentions de vote réalisés en dehors du contexte des élections. La présidentielle de 2017 est dans un peu moins de trois ans. Néanmoins, ce résultat de sondage n’a rien d’une anecdote. Il confirme la progression des intentions de vote en faveur de Marine Le Pen, après que le FN est arrivé en tête des élections européennes et après ses résultats des élections municipales. Les candidats auxquels Marine Le Pen est opposée dans ce sondage (François Hollande, Manuel Valls et Arnaud Montebourg pour le PS ; Nicolas Sarkozy pour l’UMP) savent sans doute à qui s’en tenir et toute la classe politique française a d’ores et déjà en tête la possibilité d’une qualification de la présidente du FN pour le second tour de la présidentielle.

Pour quelles raisons le discours de Marine Le Pen porte-t-il mieux que celui des partis de gouvernement ? Qu'est-ce qui émane du discours général et du programme du FN, qui ne se retrouve pas au PS, au centre et à droite ?

Les partis qui ont exercé le pouvoir, à gauche comme à droite, souffrent bien sûr de leur exercice du pouvoir : ils ont eu l’occasion de décevoir, de montrer les limites de la mise en œuvre de leurs programmes. Par ailleurs, les actions qu’ils ont conduites face à ces contraintes les ont conduits à développer des politiques qui, aux yeux de certains électeurs, apparaissent comme proches ; en dehors des questions de société, ils ont du mal à faire apparaître leurs différences de programmes économiques et sociaux qui sont pourtant réelles. Enfin, le "tournant" pris par François Hollande par rapport à ce que de nombreux électeurs de gauche avaient souhaité à travers son élection a beaucoup déçu dans les franges les plus exposées à la crise (milieux populaires) mais aussi dans les franges de son électorat qui attendaient "le changement maintenant", qu’il s’agisse d’un changement économique ou culturel. Du côté de l’UMP, il restera à prouver, par Nicolas Sarkozy si son retour se confirme à la rentrée, qu’il peut poser un discours rétrospectif sur son quinquennat et une analyse prospective en termes de programme et de réponse à toutes les angoisse économiques et sociales de la société française.

Par rapport à ces difficultés des candidats issus des deux "grands" partis, la candidate du FN à l’élection présidentielle peut plus facilement incarner, dans certains segments de l’électorat, une "rupture" : par exemple en matière européenne (sortie de l’euro, rétablissement du contrôle aux frontières, etc…). Le fait de ne pas avoir exercé le pouvoir donne par ailleurs à cette posture de rupture un aspect plus facilement indentifiable et "décodable" par certaines franges de l’électorat : le discours n’est, du moins en apparence, pas autant perturbé par les contradictions avec la réalité des choix effectués comme cela peut être le cas par exemple pour François Hollande (contradiction entre "le changement c’est maintenant" et certains choix économiques) ou pour Nicolas Sarkozy ("travailler plus pour gagner plus", ce qui n’a pas été le cas pour tous les français).

Entre la majorité qui mène une politique dans laquelle une bonne partie de son électorat traditionnel ne se retrouve pas, et une droite sans ligne politique bien définie, la "friche idéologique" semble prédominer aujourd'hui. Dans quelle mesure ces derniers pourraient-ils s'inspirer de la stratégie du FN pour séduire de nouveau les Français ?

Il est vrai que la situation actuelle est caractérisée par une sorte de grand vide : le sondage réalisé par l’IFOP montre par exemple à quel point les intentions de vote pour le chef de l’Etat se sont effondrées dans certains segments de la gauche, électeurs de EELV ou du Front de Gauche par exemple. Il sera difficile, même impossible, aux candidats issus du PS ou de l’UMP d’emprunter le même chemin que Marine Le Pen en termes de postures, de propositions, de discours. La présidente du FN tente une combinaison politique que l’on qualifie parfois de "welfare chauvin" : soutien à des programmes économiques ou sociaux de nature redistributifs mais en excluant du bénéfice de ces programmes les étrangers, les non-nationaux. Cette posture politique est empruntée par d’autres partis du même type que le FN dans d’autres pays européens ; elle est impossible à tenir par les autres partis qui soit s’opposent aux programmes économiques de redistribution (coupes dans les dépenses publiques, réformes des assurances sociales vers moins de redistribution) soit s’opposent aux choix de la "préférence nationale" fait par le FN. Si en 2007 Nicolas Sarkozy avait une vraie capacité à attirer une partie des électeurs du FN, très sensibles à ces questions, le pourra t’il encore en  2017 ? Peut-il répéter une seconde fois l’équation de 2007 : séduire à la fois des milieux économiques très attachés à l’entreprise et à une moindre pression fiscale (artisans, commerçants, chefs d’entreprise) et des milieux inquiets de la situation économique et demandeurs de protection (milieux moins favorisés, tentés par le vote FN) ? Pour François Hollande, il sera difficile, même très difficile, de séduire à nouveaux les franges sociales les moins favorisées, les milieux populaires.

Le fait que Marine Le Pen capte de plus en plus l'électorat ouvrier et tous ceux qui se considèrent comme les laissés pour compte de la mondialisation est-il la traduction d'une meilleure compréhension par la chef frontiste de la réalité sociologique de la France d'aujourd'hui ? A-t-elle mieux anticipé cette fracture que les autres partis ?

La question de la mondialisation et de l’intégration des sociétés dans cette mondialisation est l’une des questions politiques les plus essentielles aujourd’hui. La mondialisation produit des effets politiques paradoxaux : jamais la question du rôle et des limites de l’Etat-nation ne s’est posée avec autant de force alors même que la mondialisation fait progressivement tomber les barrières nationales. Il ne fait pas de doute que les partis comme le FN entendent jouer le rôle de porte-parole de ceux qui se considèrent comme les exclus et comme les perdants de l’économie libérale ouverte et globalisée. Nos sociétés sont marquées en profondeur par les écarts économiques et culturels produits par la mondialisation. Les partis qui ont exercé le pouvoir incarnent, par définition, le choix de l’ouverture : leurs dirigeants ont siégé dans les organisations internationales, ont pris des décisions au plan européen et international.

Sur quelles thématiques spécifiques la gauche et la droite auraient-elles intérêt à clarifier leur position, et ainsi à induire l'idée que le politique a encore une influence sur le réel ? Quelles sont les attentes des électeurs ?

Les attentes des électeurs sont elles-mêmes contradictoires : à la fois de la protection par la puissance publique et de la réduction des dépenses ; de l’ouverture et de la concurrence et de la protection des emplois en France ; la tolérance culturelle, le développement de l’autonomie individuelle et de l’ordre public dans le même temps. Le poids des contraintes économiques ne permet pas vraiment de revenir vers de très fortes oppositions entre les programmes de la gauche et la droite "de gouvernement". Nous sommes donc dans une période de fortes pressions sur les élites et de grand inconfort pour les "grands" partis : s’ils ne se différencient pas assez, ils ouvrent la voie aux partis, comme le FN, qui ne souffrent pas de la contradiction avec l’action gouvernementale passée ou présente ; s’ils se différencient avec des propositions très opposées, ils risquent de fortement décevoir aux lendemains des élections. Il faudrait sans doute que les partis de gauche et de droite ainsi que l’ensemble de la classe politique restaurent d’abord leur crédibilité. La question de la défiance des français vis-à-vis des hommes et femmes politiques et des partis est une question que tous et toutes doivent traiter en priorité.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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