Pourquoi la Chine pourra difficilement échapper à une crise à la Lehman Brothers<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le chaine va-t-elle bientôt s'enfoncer dans la crise ?
Le chaine va-t-elle bientôt s'enfoncer dans la crise ?
©Reuters

Attachez les ceintures

Hausse soudaine des taux monétaires chinois, appauvrissement des dépôts bancaires alors que les crédits accordés explosent, apparition d’une "finance de l’ombre" : les signes qui touchent les marchés financiers chinois rappellent dangereusement ceux qui ont préfiguré la crise des subprimes américains de 2008.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Selon une étude du cabinet de recherche chinois Capital J, la hausse soudaine des taux monétaires chinois rappelle fortement les signes qui ont précédé la crise des subprimes de 2008. Faut-il craindre un tel scénario en Chine ?

Michel Ruimy : Cela fait plus de deux ans que l’on dit qu’une crise immobilière couve en Chine sans toutefois apporter de précisions quant au moment où cela va se produire. Rappelons succinctement quelques éléments de contexte. 

Par crainte de l’impact de la crise des subprimes, qui a durement frappé les pays développés, le gouvernement chinois a fait appel au système bancaire qui a octroyé un volume important de crédits à faible taux. Les Chinois se sont précipités sur cette manne, s’endettant de manière irrationnelle.

Mais, le système financier s’est transformé, au fil du temps, en machine à recycler l’épargne des ménages, en particulier vers les investissements des grandes entreprises publiques. Il s’en est suivi une forte distorsion dans l’allocation du capital. Les banques publiques ont prêté, à peu de frais, aux grandes entreprises publiques, qui considèrent qu’elles bénéficient d’une garantie étatique, ce qui leur a permis d’investir en toute sérénité. Les petites et moyennes entreprises peinent à accéder aux prêts nécessaires à leur développement en l’absence de compétition entre banques sur le prix des crédits. Quant aux ménages, s’apercevant que le prix de l’immobilier augmentait plus vite que le taux d’inflation, ils ont peu placé leur pécule sur un compte épargne. Le marché d’actions étant encore instable et sachant qu’il leur est difficile de sortir des fonds de leur pays, ils ont investi dans l'immobilier au risque de créer une bulle. Ce développement effréné a largement contribué à la croissance économique du pays - le poids du secteur immobilier représente, aujourd’hui, à lui seul, près de 15 % du Produit Intérieur Brut.

Ainsi, selon Soufun, le plus grand site internet chinois d’annonces immobilières, la hausse des prix de l’immobilier en Chine a fortement accéléré en octobre : le prix moyen du m² dans les logements neufs de 100 grandes villes a progressé de 1,24 % (10,69 % sur un an) pour atteindre 10 685 yuans (1 270 euros). C’est le 17ème mois de hausse consécutif ! Mais si quatre grandes villes (Pékin, Shanghai, Shenzhen, Guangzhou) ont vu le coût du m² augmenter, en moyenne de 20 % sur un an - cette tendance devrait se poursuivre tant la demande est forte -, la situation est, par contre, très différente dans les agglomérations d’un niveau inférieur et devrait même empirer. En effet, lors du fort engouement pour l’immobilier qui a touché l’ensemble du pays, les gouvernements locaux sont devenus propriétaires d’une immense quantité de terrains en vue de les revendre en empochant une forte plus-value au passage. Bien qu’une partie de ces terrains ait été vendue au prix fort, il en reste une bonne part qui a aujourd’hui le plus grand mal à trouver acquéreur. De nombreux habitants des régions de l’intérieur du pays ne disposant pas des revenus suffisants pour accéder à la propriété malgré les hausses de salaire successives, de nombreux promoteurs ont dû annuler ou reporter un grand nombre de projets. Mais, les gouvernements locaux devant faire face aux échéances des prêts contractés pour ces achats, certains terrains sont vendus en dessous de leur prix d’acquisition, ce qui met en danger les finances de nombreuses agglomérations.

Dernièrement, les taux du marché monétaire se sont élevés et le Shibor (Shangai Inter Bank Offered Rate) a fortement progressé. C’est en quelque sorte un resserrement du crédit interbancaire. Le marché des capitaux chinois a déjà été confronté à une sévère pénurie de liquidités (juillet 2013), provoquant durant trois semaines une envolée des taux à court terme et mettant en péril la capacité des banques à se financer et à accorder des prêts. La Banque centrale avait annoncé, fin juillet, avoir injecté 17 milliards de yuans (2,8 milliards d’euros) dans le système bancaire.

Le risque d’un taux d'intérêt interbancaire élevé est que les banques ne se prêtent plus mutuellement de l’argent. Depuis que l’économie chinoise est très dépendante du crédit, un ralentissement du crédit signifie moins de croissance économique. La bulle immobilière et de crédit existe du fait des injections de liquidités. Si le manque de liquidités est long et sévère, alors la probabilité de défaillances multiples devient inévitable. Le pire scénario serait l'éclatement de deux bulles. De toute évidence, les développements actuels sont critiques.

Les problèmes de surchauffe du marché immobilier en Chine sont ainsi plus graves que ceux connus par les États-Unis avant la crise des subprimes, d’autant que les mesures lancées ces derniers mois par le gouvernement central afin de refroidir l'économie chinoise peinent à rassurer.

Quels sont les signes qui plaident en faveur d'une possible crise des crédits en Chine ?

Selon une statistique de la Banque centrale, les prêts accordés en août 2013 ont quasiment doublé par rapport à juillet, atteignant 1 570 milliards de yuans. Mais, seuls 45 % d’entre eux ont été des crédits bancaires, la majorité des prêts étant octroyés à des structures de "shadow banking" (système de financement non bancaire de l’économie dont la stratégie vise à contourner les réglementations mises en place pour freiner les excès). 

Une étude, publiée en mai dernier par Moody’s, indiquait que les prêts accordés à des entités situées hors du secteur bancaire avaient progressé de près de 70 % au cours des deux dernières années, représentant désormais l’équivalent de 55% du PIB. Les produits financiers de ce secteur informel s’élèveraient, à la fin 2012, à 29 000 milliards de yuans (3 600 milliards d’euros). Selon certains experts, la Chine aurait reproduit, en 5 ans, la totalité du système bancaire commercial américain. Depuis la chute de Lehmann Brothers, la valeur des crédits est passée de 9 000 à 23 000 milliards de dollars, laissant à penser que les défauts de paiement se multiplient et que les banques rencontrent des difficultés de plus en plus importantes pour se refinancer. 

Au vu de la taille considérable et de la croissance des activités bancaires informelles, cette situation est préoccupante car cela signifie qu’un éclatement d’une bulle de crédit risque de se produire. Des doutes pèsent, en effet, sur la capacité des banques à se prémunir contre une augmentation significative des défauts de paiement. Le pays pourrait ainsi se rapprocher d’un "Minsky moment" c'est-à-dire le moment où la montagne de dettes s’effondre sous son propre poids.

Les autorités monétaires ne sont pas ou peu intervenues jusqu’à présent. Elles souhaitent désormais mettre fin à l’expansion très rapide du crédit en restreignant leurs prêts. Les cibles visées ? Les petites banques qui ont développé à outrance leur politique de crédit tout en spéculant massivement. Cette orientation peut conduire certains établissements à la faillite. Toutefois, les banques ont informé l’Institut d’émission qu’elles seraient dans l’obligation de resserrer le crédit aux particuliers et aux entreprises si la liquidité reste à un niveau bas. Dans ce contexte, la Banque Populaire de Chine sera-t-elle en capacité de réussir sa politique ? 

A quel point cette situation se rapproche-t-elle de celle qui a précédé la crise de Lehmann Brother en 2008 ?

Un appartement traditionnel à Shanghai coûte 45 fois le revenu moyen annuel d’un foyer. Certaines familles se sont endettées sur trois générations ! Des chantiers commencent à être suspendus en raison de manques de capitaux. Une situation qui ressemble à celle déjà observée outre-Atlantique…

2013-2014 est une période charnière du XIIème plan quinquennal débuté en 2010, qui a été pensé comme un plan de soutien à l’économie, frappée en 2008-2009 par le ralentissement de la demande mondiale. Environ 4 000 milliards de yuans ont été injectés. Ce plan vise à accroître la consommation intérieure afin de réduire la dépendance aux exportations et s’est traduit par d’importants investissements.

A côté des entreprises, les collectivités locales supportent un lourd endettement. Près de la moitié trouve son origine dans le plan de soutien lancé en 2008, qui a financé la politique de grands travaux d'infrastructures. Le Bureau national de l'audit a révélé que ce niveau d’endettement se situait à près d’un tiers du PIB. Mais, plus grave encore, une grande partie de ces dettes arrivera à échéance en 2013, ce qui renforce le caractère charnière de cette année.

Les économistes sont unanimes pour considérer que les bulles économiques se forment quand les taux d’intérêts réels sont négatifs à long terme, ce qui est le cas de la Chine sur la période récente. Roubini rappelle que toutes les périodes d'investissement excessif, notamment en Asie du Sud-est dans les années 1990, se sont terminées par une crise financière et une période de croissance faible. Il estime que près d’un tiers des créances des banques chinoises pourraient alors ne pas être remboursées.

Dès lors, selon le principe de "l’effet papillon", les premières ventes à la baisse vont en entraîner de plus nombreuses de la part de ceux qui voudront quitter le navire par crainte du naufrage, et, de fil en aiguille, on assistera à l’éclatement de la bulle immobilière. L’éclatement de la bulle provoquera à son tour une réduction du nombre de chantiers de construction et donc une réduction de l’emploi dans ce secteur, puis, dans les autres secteurs. 

Les bouleversements qui menacent à l’heure actuelle le géant chinois auront donc des conséquences fortes à l’échelle mondiale, eu égard la force des liens commerciaux qui unissent la Chine et les autres régions du monde, développées comme émergentes.

Peut-on justement estimer l'ampleur d'une telle crise à l'échelle chinoise et dans le reste du monde ?

Il est difficile de chiffrer l’impact d’une crise. Mais il est certain que la bulle immobilière chinoise est de grande ampleur. Le modèle de croissance basé sur le crédit est en train de montrer ses limites. Au plan interne, cela pourrait alimenter une crise massive de surcapacités (les infrastructures de transports - aéroports et lignes à grande vitesse - sont déjà surdimensionnées au même titre que la capacité des usines de transformation) et potentiellement, conduire à une déflation de style japonais. 

Il convient d’être très vigilant. En effet, le nombre de défaillances de prêts est relativement faible. Or, ce ne sont pas les établissements bancaires mais de nombreux autres types d'organismes financiers tels que des fonds de placement, des trusts et des véhicules financiers opaques qui ont bénéficié de plus de la moitié des prêts récents. Au début du mois de juin, la banque Everbright a fait défaut sur un prêt interbancaire, dans un contexte de forte hausse du taux d’intérêt du Shibor. Était-ce un signe avant-coureur ?

Si l’immobilier marque un coup d’arrêt, l’impact sera significatif sur le Produit Intérieur Brut du pays, sur des secteurs allant de l’acier à l’automobile. Des pays exportateurs de matières premières, comme l’Australie ou le Brésil, pourraient grandement en pâtir. Mais l’impact sera également majeur sur le patrimoine des ménages. Des manifestations ont d’ores et déjà eu lieu, qui pourraient cristalliser des revendications sociales plus générales en cas de ralentissement économique (la crise mondiale touche aussi la Chine qui enregistre une réduction du volume de ses exportations et un ralentissement de sa croissance). 

Quelle est la responsabilité du gouvernement chinois dans ce "credit crunch" ? Comment peut-il encore l'éviter ?

En 2009, la Chine a décidé d’injecter l’équivalent de 12 % du PIB pour tenter de tenir la crise mondiale à distance. Cela a alimenté une bulle spéculative immobilière assortie d’une énorme dette des autorités locales. Le ratio du crédit par rapport au PIB est passé de 75 % à 200 % au cours des cinq dernières années. Par comparaison, ce ratio n’avait progressé que de 40 % au cours des cinq années qui avaient précédé la crise des subprime aux États-Unis. Ainsi, la situation est bien dégradée, comparé à tout ce que nous avons pu connaître auparavant dans une économie majeure. Pour information, en avril, Fitch a ramené de "AA-" à "A+" la note souveraine de la Chine libellée en yuans, évoquant les risques accrus pour la stabilité financière du pays liés au manque de transparence sur la hausse des emprunts des gouvernements locaux. Les gouvernements locaux représenteraient, à eux seuls, 2 100 milliards de dollars de dettes à la fin de l'année dernière, soit environ 25 % du PIB.

Du coup, l’État a pris des mesures pour refroidir le marché et freiner l’ardeur des promoteurs. En effet, l’efficacité de ces prêts pour générer une croissance marginale est en diminution. En 4 ans, le PIB supplémentaire généré par chaque yuan de prêt supplémentaire est passé de 0,85 % à 0,15 %, signalant l’épuisement du système. C’est pourquoi il a d’ores et déjà imposé des restrictions aux ventes sur plan et augmenté l’apport minimum à verser pour l’achat d’un deuxième appartement. Dans la capitale, il va même limiter les transactions à un seul achat par famille. Les promoteurs vont partout se voir interdire de réinvestir leurs bénéfices dans de nouveaux projets. Ils devront les déposer sur un compte spécial uniquement destiné à payer leurs sous-traitants et leurs fournisseurs. Résultat : de larges pans de la population sont exclus de l'accession à la propriété et les Chinois sont de plus en plus nombreux à chercher à contourner la loi pour acheter un bien immobilier. Ainsi, la progression des divorces à Pékin s’explique par l’évasion fiscale de la part de personnes qui tirent bénéfice d’une lacune dans la législation des achats immobiliers. L’économie réalisée peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros. De nombreux couples ont envisagé de se remarier une fois la transaction effectuée et la taxe réglée (Une taxe de 20 % sur la plus-value à la vente est appliquée). Toutefois, des avertissements officiels fleurissent, ces dernières semaines, aux frontons des mairies dans les grandes municipalités, mettant en garde les couples tentés par ce flirt avec la cupidité. 

Outre les restrictions en matière d’offre de crédit immobilier et l’obligation pour les banques de respecter des ratios de détention de réserves plus importants, cette palette de mesures n’est qu’un premier pas vers le contrôle de la spéculation immobilière. Mais, les déséquilibres existants, avec une demande excessive dans les grandes villes, une surcapacité dans les petites villes, et la dépendance des gouvernements locaux aux revenus générés par les ventes de terrains compliquent les efforts fournis au sein de l’administration centrale pour assainir la situation. C’est pourquoi il convient d’engager une réforme de long terme du marché immobilier, notamment face à la pénurie de l’offre. Des mesures devraient être prises afin d’inciter les gouvernements locaux à offrir des logements aux foyers à faibles revenus et modérés. Or les collectivités locales préfèrent, pour l’instant, vendre leurs terrains pour générer des revenus.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !