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Pourquoi la campagne présidentielle 2017 est aussi celle d'un formidable renouveau démocratique
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Le renouveau c'est ?

2017 se présente comme un renouveau démocratique qui pourrait insuffler aux français un espoir dans la politique. Malgré les différentes affaires, les français présentent un intérêt pour l'élection présidentielle à venir... Pourtant ce type d'espoir est souvent déçu.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Renoncement de François Hollande, défaite d'Alain Juppé, de Nicolas Sarkozy , Manuel Valls, affaire Fillon etc.. la campagne présidentielle française présente un profil totalement inédit, mettant principalement an avant la chute du clivage traditionnel droite gauche. Alors que les Français semblent se passionner pour cette élection, et malgré un climat anxiogène, ne peut on pas se réjouir du souffle apporté par ce scrutin ?

Jean PetauxSi vous me permettez de reprendre votre question, sa formulation apporte, en elle-même, des éléments de réponse. En tout premier lieu vous énumérez quelques surprises qui ont marqué les trois derniers mois. On pourrait ajouter à cette liste la victoire de Benoit Hamon à la primaire du PS et de ses alliés, la défaite dès le premier tour d’Arnaud Montebourg qui était donné, il y a six mois encore, comme le challenger "number one" du président de la République, à cette même primaire. Autre surprise quand même aussi la participation très importante aux deux principales primaires, à des degrés allant du double au simple mais quand même à un niveau élevé pour le PS alors qu’on donnait cette consultation comme potentiellement manquée et confidentielle, etc. Au total, en comptant les doublons, autrement dit "les accrocs des primaires", celles et ceux qui ont fait le déplacement aux deux, qui ont donc déclaré en novembre qu’ils partageaient les "valeurs de la droite et du centre" et en janvier celles du PS et de ses alliés, ce sont près de 6 millions de Françaises et de Français qui sont venus participer à un exercice institutionnellement inepte, politiquement pervers et tactiquement tordu. Mais peu importe. Celles et ceux qui l’ont fait ont réellement eu le sentiment de faire acte de citoyenneté et il n’y a que chez les adeptes d’une sociologie du soupçon que la critique de la logique des acteurs peut laisser libre-court à sa dimension normative. Donc vous avez parfaitement raison cette présidentielle est celle de toutes les surprises… Et il y a fort à parier qu’ils y en aura de fort nombreuses autres avant le 7 mai au soir ! Y compris, par exemple, à la date où je vous réponds, pourquoi pas, dans le genre surprise : une victoire de Fillon.

Est-ce pour autant parce que le clivage droite-gauche traditionnel serait remis en cause que l’édition 2017 de la présidentielle serait ainsi originale et, pour tout dire, inédite ? Je ne le crois pas. D’abord parce qu’en dehors du "cas Macron", en l’état actuel des candidatures et tant que Bayrou ne s’est pas officiellement déclaré, y a-t-il un autre candidat qu’Emmanuel Macron qui se réclame du "ni droite ni gauche" ? Aucun. Tous les vainqueurs des primaires sont clairement marqués dans leur propre camp : un Fillon très "droitier", un Hamon très "gaucher" (à défaut de "gauchiste"). Les autres candidats qui ne sont pas passés par la case "primaires" sont "typés" : Marine Le Pen, même si elle dégouline de consensus et de sucreries tendances "barbe à papa" (pas celle de son père…) dans un programme qui pousse même le culot jusqu’à afficher une rose bleue allongée sur la page d’ouverture du site internet et à citer Jean Zay qu’hier encore les amis de MLP appelaient "le Juif Jean Zay" après que la Milice l’ait odieusement assassiné le 20 juin 1944, est bien "calée" à la droite de la droite, qu’on appelle communément "l’extrême-droite". Dupont-Aignan, dont la stratégie, les idées et le positionnement ne sont  pas sans rappeler "L’idiot de la famille" cher à Sartre travaillant Flaubert : lui aussi bien calé à droite. Quant à Jean-Luc Mélenchon, perdu dans son monde irénique, coincé entre son hologramme et son double, le voilà rabattu sur sa ligne habituelle avec le poids politique qui est le sien, sous son plafond de verre : 13%. En réalité on le voit bien, les positions sont à la fois figées et fluides, le parquet (au propre comme au figuré) est glissant mais les lignes des couloirs existent bel et bien. 

Alors est-ce que les Français se passionnent pour ce "Grand Cirque" ? On le verra plus précisément à la mesure des intentions de votes quand la première échéance du 23 avril se profilera à l’agenda. On en aura la confirmation au vu du taux d’abstention du 1er tour. J’ai montré dans une précédente contribution à Atlantico qu’une offre électorale abondante ne se traduit pas automatiquement par une participation élevée. Traditionnellement les Français aiment "leur" présidentielle. Elle est simple à comprendre, simple à voir fonctionner, simple à décrypter. Pour une société française inculte et incivique, ignorante de son histoire politique et immature quant à ses choix idéologiques, l’élection présidentielle présentes la plus grande des "vertus", la caricature idéologique et, de surcroît, comme chaque "pilier de comptoir" peut jouer "à moi Président", chacun s’estimant assez compétent et légitime pour cela, c’est un peu comme être "sélectionneur du Onze titulaire de l’équipe de France" : chacun à son idée, sa liste, sa stratégie. Du "bas de plafond" au "surdiplômé". Mais la passion des Français se mesurera aussi à leur implication dans les événements forts de la campagne. Et il est vrai, à ce titre, que certains meetings "font du monde". Que le show de tel ou tel candidat rassemble des publics parfois nouveaux, peu habitués à ce genre de spectacle. Si tous les Français ne sont pas passionnés, la passion de certains compense intensément l’ennui profond des autres. Pour avoir une juste évaluation de cela il faudra un peu plus que des impressions de salles et des constats empiriques.

En quoi l'arrivée d'Emmanuel Macron a t elle participé à un tel éclatement ? En écartant les éventuelles faiblesses de sa candidature, en quoi cette candidature a t elle apporté un élément supplémentaire à cette campagne ?

Emmanuel Macron ne dit rien de précis c’est la raison pour laquelle il séduit. Ce n’est pas la première fois que ce genre de profil de "gendre idéal" apporte et emporte avec lui l’espoir d’un renouvellement et d’un renouveau. En pratiquant la "valse chaloupée" qui est à la contorsion politique ce que la "polka piquée" chère à Lénine était à la révolution bolchevique. En 1965 : Jean Lecanuet, le "Kennedy français", encore appelé "Colgate" du nom du célèbre dentifrice que l’American way of life avait apporté aux familles françaises, occupe ce créneau. Il ne dit rien de particulier. C’est un centriste (MRP), professeur de philosophie, propre sur lui et lisse comme le miroir qu’il renvoie d’une société française optimiste et déjà lassée du Général. C’est sa candidature qui va mettre en ballottage l’homme du 18 juin. Neuf ans plus tard : 1974. Giscard : il est tout sauf un "perdreau de l’année". Ministre de l’Economie et des Finances du général de Gaulle puis de Georges Pompidou. Il n’a pas de troupes, pas de militants. Il réussit à débaucher 43 parlementaires gaullistes trainés par Chirac. Il a 48 ans quand il est élu. Il dit qu’il veut "regarder la France au fond des yeux". Ça marche. Chaban qui voulait la "sauter" (la France) est celui qui "saute" justement au 1er tour. Touché en plein vol quelques semaines plus tôt par une feuille d’impôts étonnamment sortie de la rue de Rivoli. En 2007 c’est une boule d’énergie qui renverse tout, qui mélange tout, qui parle la langue de la droite et qui cite des grands noms de gauche. Qui revendique l’ouverture et développe la thèse de l’identité nationale. Il dit qu’il faut "travailler plus pour gagner plus". Personne ne comprend, ou plutôt chacun comprend ce qu’il veut. Ça marche encore plus. Alors dans tous les cas me dira-t-on ce sont des vainqueurs (au moins pour Giscard et Sarkozy) qui étaient tout sauf des nouveaux venus, tout sauf des "anti-système". C’était des "professionnels" de la chose publique (et si on rajoutait Mitterrand, Chirac et Hollande le tableau serait encore plus complet dans ce registre) qui occupaient ou ont occupé l’espace politique de manière ininterrompue entre 15 et 30 ans avant leur consécration suprême. Mais voilà qui rend encore plus original le "cas Macron". Moitié prêcheur, moitié pêcheur ! Ce qui est certain c’est que l’acteur sait appâter le potentiel "gogo". Reste à savoir s’il tiendra la distance et… trouvera, aussi, un second… souffle.

Ces espoirs de rupture et de changement ne seront-t-ils pas déçus après 2017 comme ils ont pu l’être après 2007 et la réinvention des figures de droite et de gauche par Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ?

 Probablement oui. Mais ce n’est pas ce qui importe. La politique agit sur les individus comme une drogue puissante et un dérivatif socialement indispensable. Une drogue puissante : l’envie de croire est consubstantielle à l’individu en société. Ce "désir de politique" permet de sublimer des conduites mais aussi de réfréner ses attentes dans la perspective d’un "changement" hypothétique. Certaines pensées eschatologiques ont ainsi perduré, y compris dans le totalitarisme et la domination. Ce qui est, bien entendu, pas du tout le cas de la situation française aujourd’hui. Simplement l’échéance à venir, les 23 avril et le 7 mai, permet, de manière moins spectaculaire et tranchée qu’en 1981 ou 1995 voire en 2007 ou 2012, d’attendre, de temporiser, de "prendre son mal en patience" avant un changement espéré de ses vœux. Mais c’est aussi un dérivatif indispensable. Autrement dit "pendant la campagne les débats continus". Parler politique, dans une société qui adore ça depuis le zinc du "Café du Commerce", commenter le dernier emploi (fictif) de telle ou tel ; ironiser sur la défense (factice) de tel ou telle ; pronostiquer ; parier ; chérir et renchérir ; vouer aux gémonies et porter au pinacle : tout cela est inscrit dans une société française qui, de "Nuit debout" à "Jour de France" adore se la jouer "démocratique" parce qu’elle est, croit-elle, "républicaine", alors que cela n’a rien à voir. 

Oui bien sûr il y aura un "après". Une "gueule de bois" électorale. Celle que les Français trainent jusqu’à la prochaine consultation intermédiaire où faute de supporter de se voir trompés ils cognent sur les représentants de ceux qui les ont cocufiés. Oubliant par là-même qu’ils sont les propres auteurs de leur vaudeville politique et qu’ils n’ont, comme personnel politique, que ce qu’ils méritent.

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