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Pourquoi l'envoi de faux CV portant des noms à consonance maghrébine n'aidera pas à faire la part des choses entre réticences légitimes des patrons et vraie discrimination
©www.flickr.com/photos/desiitaly/2304874364

Semaine contre le racisme

Début avril, le gouvernement mettra en oeuvre un testing bien particulier : pour lutter contre la discrimination à l'embauche, de nombreux faux curriculum vitae seront envoyés aux entreprises. Une réponse inopérante (voire contre-productive) à un problème réel.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Atlantico : Début avril 2016, le gouvernement doit mettre en place une campagne de testing, pour une durée de 3 mois. L'idée, qui vise in fine à lutter contre la discrimination à l'embauche, consiste à envoyer des faux CV à des entreprises, et s'assurer que la consonance maghrébine d'un nom ne représente pas un frein à l'emploi. Dans quelle mesure cette initiative est-elle pertinente ? 

Xavier Camby : Votre question, très pertinente, en amène une autre : connaissez-vous de vrais CV ? Pour ma part, après 15 années de conseil en recrutement, je n'en ai jamais eu un seul entre les mains, dans les différents pays où j'ai pu travailler. Très nombreux étaient sincères, aucun véridique ! C'est hélas une pitoyable contrainte, née d'une illusion, celle qui consiste à croire que l'on doit uniquement mettre sur son CV des états de services intégralement positifs. Les descriptions de fonctions mentent pareillement, et plus gravement encore. Passons.

La justice, indispensable à toute paix réelle, requiert l'égalité -des chances et en droit- autant que la vérité. Voir un gouvernement autoriser le mensonge (des CV truqués) pour essayer de piéger des entrepreneurs ou des entreprises est juste grotesque ! Décrédibilisant ! Pitoyable enfin...

Si l'intention peut lointainement sembler louable, cette action inepte délégitime définitivement ceux qui l'entreprennent.

J'ai jadis été inspecteur pour le compte du gouvernement français dans une instance de contrôle et de régulation : nous n'aurions jamais rien pu prouver si nos "justiciables" avaient pu relever ou établir l'usage à leur encontre de moyens illicites, frauduleux ou mensongers, pour établir des faits.

Nous sommes en pleine dénégation de l'Etat de droit et du principe démocratique. 

Si le juge ment pour rendre la justice, quelle justice rendra-t-il ?  

Si je connais un peu le monde du travail, il me semble qu'il suit le principe d'Archimède : toute poussée induit une réaction inverse et génère une contre-poussée. L'Etat s'arroge le droit de mentir et d'envoyer des CV mensongers : je pense que les appels au marché pour les recrutement vont cesser pendant la même durée. Les besoins à pourvoir dans les entreprises vont passer par d'autres canaux que ceux publiés (consultants, recommandations personnelles, bouche à oreille...).

Une quasi disparition des -vraies- offres d'emploi publiées est à prévoir, dès avril...

Comment comprendre les discriminations liées au lieu de résidence ou aux origines ? Comment les employeurs eux-mêmes les expliquent-elles ? Comment faire la part des choses entre ce qui relève d'appréhensions légitimes de l'employeur (du fait par exemple d'expériences passées) et ce qui relève de la discrimination réelle ? Où se situe la frontière entre ces deux motivations, dont l'une est réellement répréhensible ?

Les employeurs privés, les entrepreneurs, tous ceux qui créent de la valeur ajoutée humaine, sociale, culturelle, économique et financière, ne sont pas idiots. Ils recherchent des collaborateurs capables, pertinents, travailleurs et constants. Les origines ethniques, culturelles ou sociales comme les croyances sont objectivement secondaires. L'essentiel est la valeur ajoutée collaborative de chaque collaborateur. 

Je pense la lutte contre cette prétendue discrimination - en forme de chasse aux sorcières à la française - est un fantasme ou un écran de fumée médiatique. Puéril et pervers. 

Certes, j'ai rencontré jadis quelques rares pseudos-patrons qui ne voulaient embaucher "ni noir, ni beur, ni femme" (sic). 

Mais d'autres à l'inverse, infiniment plus nombreux, ceux-là même qui créèrent le plus de valeur ajoutée, recherchaient la différence et la diversité, comme une source ininterrompue de création de richesse.

Croyez-vous qu'on puisse obliger un "natif africain" -soyons servilement et politiquement correct- à être mousse en Bretagne pour devenir un jour patron de pêche ? Il s'appelait Yann Carantec (ce nom d'emprunt cache un véritable patronyme celtique, celui d'un homme extraordinaire, que je me flatte d'avoir connu), bel Africain de 2 mètres et devenu grand pécheur, à l'accent finistérien !

Devrions-nous aussi obliger les entrepreneurs d'origine maghrébine en France -très nombreux, pertinents et créateurs d'emplois- à recruter des chômeurs berrichons, limousins ou guyanais ?

Ne pouvons-nous au contraire stimuler le choix autonome de chacun, plutôt que de vouloir régir et réguler toute chose, à base de quotas, arc-boutés sur des principes bureaucratiques -avant que d'être despotiques-, certes louables, mais s'autorisant des manoeuvres détestables, déloyales autant que mensongères ?

De nombreuses idées ont d'ores et déjà été avancées pour mettre un terme à ce problème. Peut-on vraiment compter sur le CV anonyme ? Quelles sont les alternatives proposées ? Certaines ne seraient-elles pas encore plus inefficaces, voire contre-productives ?

Le CV anonyme ou mensonger est définitivement condamnable. Seuls ceux qui ne connaissent pas la réalité du monde du travail peuvent encore se perdre en illusions et s'employer à former des croyances ineptes, en forme de déni du réel. 

Le CV lui-même, à mes yeux, est une ineptie, heureusement condamnée à disparaître prochainement. Ceux qui cherchent et trouvent un emploi le font par d'autres moyens : ils se rendent auprès de leurs employeurs-cible, et par les moyens les plus directs et les plus simples, entrent en relation avec eux. Certains réseaux sociaux sont particulièrement performants pour les aider à entreprendre cela.

Nous ne pouvons contraindre les gens à travailler ensemble s'ils ne le veulent pas ! C'est une simple loi d'écologie sociale. A défaut, les conflits et les sabotages seront innombrables. La destruction de valeur (plutôt que sa production) en sera la conséquence inéluctable...

Laissons agir l'intelligence contributive : chacun oeuvre habituellement pour son bien comme pour celui de ceux qu'il aime. Les patrons et les employeurs aussi. Laissons-leur la liberté de choisir de travailler avec ceux qu'ils aiment, pour le plus grand profit individuel et collectif.

Je ne sais quelle pensée pervertie l'aura permis, mais je redoute que l'Inquisition du CV soit en marche !

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