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Pourquoi l’automédication en ligne bientôt proposée par Google pourrait faciliter le travail des médecins (si vous ne vous dispensez pas de les consulter après)
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Complément sanitaire

Google a annoncé que son célèbre moteur de recherche allait pouvoir permettre un "auto-diagnostic médical". Le problème, c'est qu'un auto-diagnostic est souvent une automédication qui ne dit pas son nom.

Jean-Paul Giroud

Jean-Paul Giroud

Le Pr Jean-Paul Giroud est l'un des spécialistes les plus reconnus en pharmacologie. Membre de l'Académie nationale de Médecine, de la commission d'Autorisation de Mise sur le Marché, de la Commission de pharmacovigilance et expert auprès de l'OMS, il est également l'auteur de plusieurs livres, dont "Médicaments sans ordonnance : les bons et les mauvais" Editions de la Martinière.

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Gilles Babinet

Gilles Babinet

Gilles Babinet est entrepreneur, co-président du Conseil national du numérique et conseiller à l’Institut Montaigne sur les questions numériques. Son dernier ouvrage est « Refonder les politiques publiques avec le numérique » . 



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Atlantico : Par un billet publié sur son blog officiel, Google a annoncé que son moteur permettrait bientôt de rechercher les causes probables d'un problème de santé en fonction des symptômes indiqués par l'utilisateur. En plus de cet "auto-diagnostic médical", Google préciserait également si une auto-médication est possible le cas échéant. Quel est le potentiel d'un tel service et dans quelle mesure pourrait-il nous aider à mieux nous soigner ? 

Jean-Paul Giroud : Il ne s'agit pas encore d'automédication systématique. Google veut aider les malades à se soigner. Cela passe donc par un auto-diagnostic, qui peut par la suite proposer des médicaments. C'est alors qu'il y a automédication. Dans le domaine du médicament, dans lequel je travaille depuis 45 ans, on peut voir que dans les plus de 12 000 médicaments, il y en a plus de 65% qui n'ont jamais démontré leur efficacité, et que malgré cela, on continue de les vendre, cela donne une drôle d'image de la santé. 

L'auto-diagnostic médical est quelque chose de très compliqué. Si je dis "je tousse", on pense généralement qu'il faut traiter une simple toux. On prescrit alors un antitussif. Le problème, c'est que pour un cas de toux, il existe 13 possibilités qui contrindiquent un antitussif. Pourquoi ? Cela peut être lié à une affection respiratoire avec fièvre. Cela peut être lié à une allergie respiratoire, à un asthme, à un problème cardiaque (il y a des toux cardiaques). Faire de l'auto-information sur un symptôme, c'est excessivement compliqué. Une autre possibilité est un cas de fausse route (passage d'un liquide ou aliment par les voies respiratoires). Or, dans ce cas, on va demander un antitussif, quand celui-ci est parfaitement contre-indiqué. Car non seulement il ne sert à rien, mais il risque d'entraîner des problèmes.

Bien que la firme de Mountain View affirme "ne pas remplacer le médecin", n'est-il pas probable que de très nombreux internautes utiliseront ce service au lieu d'aller consulter un docteur ou un pharmacien ? Dans quels cas cela serait-il souhaitable ? A l'inverse, quels seraient les effets pervers d'une telle utilisation ?

Gilles Babinet :L'utilisation de ce genre d'algorithmes décisionnels est très souhaitable dans le domaine du diagnostic médical.

Au niveau des patients, les médecins doivent accepter et écouter ce qu'ils ont à leur dire sur leurs recherches internet effectuées avant le rendez-vous, car deux diagnostics valent de toute façon mieux que celui du seul médecin.

Au niveau des médecins, ils doivent également accepter que les systèmes de "machine learning" tels que celui que Google va bientôt mettre en place vont être cent fois meilleurs que les médecins dans peu de temps, concernant les maladies rares comme des maladies plus complexes telles que les troubles psychiatriques. Là où un algorithme décisionnel aura un million de cas en mémoire, le médecin n'en aura que cinq ou six, donc sera mille fois moins efficace que le Big Data.

La France est d'ailleurs très en retard dans ce domaine. IBM a par exemple conçu le super calculateur Watson qui fournit un premier diagnostic à partir des remarques du praticiens, des notes à partir d’entrevues avec le patient, des antécédents familiaux, des résultats d’analyse… Plusieurs hôpitaux américains l’ont déjà adopté.

Après, le médecin reste capital au niveau du suivi des patients.

Jean-Paul Giroud : Le problème est lié à la façon dont cela est fait. S'il y a une arborisation, cela peut aider à donner une orientation sur des petits problèmes de santé. Cela ne concerne pas les maladies mais les symptômes. En automédication, il s'agit d'une part de trouver un symptôme et deux de trouver un médicament adéquat. Or, dans cette seconde étape, on voit immédiatement quel rôle peut jouer l'industrie pharmaceutique. 

Google prévoit aussi d'intégrer des capteurs aux prochaines générations de smartphones. La communication de nos données "vitales" par ce biais pourrait-elle encore accélérer le processus de l'auto-diagnostic ? Quels résultats pouvons-nous espérer ou redouter que ce phénomène produise sur notre approche des questions de santé ?

Jean-Paul Giroud : Premièrement, le problème des examens complémentaires est qu'on se base souvent trop sur ceux-ci. On vous dit par exemple : vous avez trop de choléstérol, ou trop de sucre. La meilleure façon n'est pas de donner un médicament, mais de faire de la prévention, ou au moins d'essayer de faire comprendre aux gens qu'il faut qu'ils aient une alimentation plus correcte. Cela évitera de donner des hypocholestérolémiants, qui dans 90% des cas ne servent strictement à rien, et peuvent entraîner des états indésirables plus ou moins graves, comme l'ont dit un certain nombre de mes collègues. C'est la même chose chez les antidiabétiques de type 2, c'est-à-dire chez ceux de 50 ans qui sont tout simplement obèses. La meilleure façon d'éviter de donner des sulfamides hypoglycémiants ou d'autres médicaments antidiabétiques de ce type, c'est de faire de l'exercice physique et d'avoir une alimentation saine. 

Malheureusement en France, et dans bien d'autres pays, on commence toujours par parler de médicament. Mais en réalité, une éducation sanitaire éviterait un grand nombre de ces problèmes. 

Plus généralement, à quelles conditions Internet peut-il faciliter la vie des personnes malades ? Que penser par exemple du succès massif d'un site comme Doctissimo en France ? Quels sont les bénéfices et les risques de la démocratisation de l'accès à des informations autrefois réservées aux professionnels de la santé ?

Jean-Paul Giroud :  En fait, Doctissimo a remplacé le Larousse médical. Mais il ne parle pas de tant de médicaments : il décrit les maladies mais parle peu de médicaments. Ce qui est souhaitable : on voit quelles informations pourraient être données sous l'influence plus ou moins importante de différents laboratoires pharmaceutiques.

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