Pourquoi l'intégration économique des réfugiés en Allemagne se révèle déjà plus compliquée que prévu<!-- --> | Atlantico.fr
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Les "réfugiés" ne constituant qu’une part peu importante de la population active du pays, cela n’aura pas d’impact majeur sur sa santé économique, sauf s’ils venaient à déstabiliser culturellement l’Allemagne, ce qui se traduirait par des violences.
Les "réfugiés" ne constituant qu’une part peu importante de la population active du pays, cela n’aura pas d’impact majeur sur sa santé économique, sauf s’ils venaient à déstabiliser culturellement l’Allemagne, ce qui se traduirait par des violences.
©REUTERS/ Yagiz Karahan

Crise des migrants

Si l'Allemagne affiche aujourd'hui son plus faible taux de chômage depuis la réunification (5,8%), l'arrivée massive de réfugiés sur le marché du travail, pour la plupart non qualifiés, risque de poser des problèmes d'intégration économique et de pénaliser durablement la croissance allemande.

Atlantico : Alors que le taux de chômage en Allemagne est à son plus bas depuis la réunification (5,8%), les chiffres pourraient repartir à la hausse dans les prochains mois, une fois que les réfugiés, pour l'instant en formation, rentreront sur le marché du travail. Le taux de chômage des réfugiés, aujourd'hui de 75%, serait, selon les calculs des économistes de 40% en 2021. Que nous disent ces prévisions "catastrophiques" de la future santé économique et sociale de l'Allemagne? Quelles difficultés l'intégration des réfugiés sur le marché de l'emploi risque-t-elle de poser? 

Laurent Chalard : Ces prévisions ne nous disent pas grand-chose, dans le sens où les économistes se trompent bien souvent ! En effet, il est scientifiquement impossible de prédire le taux de chômage d’une population dans le futur. Ces prévisions révèlent juste qu’il existe un certain consensus chez les économistes allemands concernant la piètre employabilité des "réfugiés", qui n’en sont pas tous par ailleurs, d’où un sous-emploi qui devrait perdurer un certain nombre d’années, sans qu’il puisse être possible de savoir de quel ordre il sera. Cependant, les "réfugiés" ne constituant qu’une part peu importante de la population active du pays, cela n’aura pas d’impact majeur sur sa santé économique, sauf s’ils venaient à déstabiliser culturellement l’Allemagne, ce qui se traduirait par des violences. En effet, même si la prise en compte des "réfugiés" dans les données du chômage va entraîner momentanément la hausse de ce dernier, il convient de garder en tête que, parallèlement, du fait de l’héritage d’une faible natalité, le chômage baisse mécaniquement pour les nationaux et les immigrés installés en Allemagne de vieille date.

Les difficultés d’intégration des réfugiés sur le marché de l’emploi risquent de constituer un poids financier pendant longtemps, à l’origine d’une progression des dépenses sociales, au moins dans un premier temps, alors que l’objectif de départ était d’en faire des actifs occupés, stimulant la croissance et permettant de payer les retraites des nationaux. Une autre difficulté concerne l’acceptation par les Allemands d’autres vagues d’immigration, pourtant souhaitées par les dirigeants du pays, étant donné la démographie très dégradée de l’Allemagne. En effet, bon nombre d’Allemands ont désormais une mauvaise image de l’immigration, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici.

Par ailleurs, alors que les réfugiés syriens avaient été présentés comme qualifiés, comment expliquer qu'ils soient en formation? Peuvent-ils répondre aux besoins de l'économie allemande? Est-il réellement possible de les intégrer sur le marché du travail ? 

En ce qui concerne les "réfugiés" stricto sensu, c’est-à-dire les réfugiés syriens, qui, rappelons-le, constituent moins de la moitié des migrants arrivés en Allemagne l’année dernière, le fait qu’ils soient en formation n’a rien de surprenant, seuls les imbéciles pouvant croire que les nouveaux arrivants allaient être qualifiés. En effet, la plupart des migrants syriens, dont beaucoup de kurdes parmi eux, sont originaires des régions rurales les plus pauvres de Syrie, essentiellement du nord-ouest (gouvernorat d’Idlib et parties rurales du gouvernorat d’Alep) et du nord-est (provinces de Raqqa, d’Hassaké et de Deir ez-Zor), un pays déjà pas bien riche, ce qui fait que leur niveau de qualification est dramatiquement bas. Nous avons affaire à de nombreuses familles paysannes qui savent à peine lire et écrire, l’analphabétisme étant largement plus répandu dans leurs gouvernorats d’origine que dans le reste de la Syrie.  

Concernant leur réponse aux besoins allemands, tout dépend des types de besoins. Ils peuvent répondre aux besoins de main-d’œuvre non qualifiée dans des secteurs comme l’hôtellerie-restauration ou les services à la personne. Par contre, pour l’industrie allemande qui recrute de nombreux ouvriers qualifiés, ils ne peuvent répondre aux besoins des industriels sans formation adéquate.

Il n’y a jamais d’impossibilité, mais lorsque l’on voit l’amateurisme sur tous les plans, surprenant de la part des Allemands dans la manière de gérer l’arrivée des migrants syriens, l’intégration de ces populations risque d'être très dure et très longue, d’autant que l’exemple de l’immigration turque, la plus proche culturellement parlant, ne prête pas à l’optimisme, puisque de tous les immigrés présents sur le sol allemand, ce sont ceux qui s’intègrent le plus difficilement sur le marché du travail, contrairement aux immigrés originaires des pays slaves. 

Dans quelle mesure le calcul économique d'Angela Merkel, c’est-à-dire compenser le vieillissement démographique de la population par un accueil massif de réfugiés, a-t-il sous-estimé l'incompatibilité des réfugiés avec l'économie et le marché du travail de l'Allemagne? Est-il encore possible aujourd'hui de considérer que la politique d'ouverture d'Angela Merkel était la bonne?

Le gouvernement d’Angela Merkel, pour des raisons qui nous échappent, a suivi une démarche purement économiciste, qui partait du principe que le problème de la pénurie de main-d’œuvre n’était qu’un problème quantitatif, c’est-à-dire que s’il manque, par exemple, 500 000 personnes pour faire tourner l’économie allemande, il suffit de faire venir 500 000 personnes de l’étranger pour résoudre le problème. Or, les choses ne sont malheureusement pas aussi simples car pour que cela fonctionne, il faudrait que ces 500 000 personnes aient le même niveau d’éducation, de qualification et de maîtrise de la langue que celles qu’elles vont remplacer (c’est-à-dire, qui partent à la retraite), ce qui n’est, bien évidemment, jamais le cas; sans compter la sous-estimation totale des difficultés d'intégration liées au facteur culturel : un paysan syrien n’est pas un urbain ouest-européen.

Non, de la manière dont les choses se sont passées, la politique d’ouverture d’Angela Merkel a été mauvaise à la fois pour l'Allemagne et l'Europe. Pour l’Allemagne, elle a conduit à une déstabilisation intérieure, à l’origine d’une montée considérable des tensions ethniques, entre Allemands et étrangers, mais aussi, bien souvent, entre communautés étrangères, Kurdes contre Turcs par exemple, tensions qu’il va falloir juguler. En outre, elle a terni à l’étranger l’image d’une Allemagne bien gérée et bien organisée. Pour l’Europe, l’appel d’air migratoire, consécutif des propos d’ouverture d’Angela Merkel, a entraîné une crise migratoire qui a mis fin de facto à l’espace Schengen; il est aussi, probablement, à l’origine du Brexit et il a profondément divisé politiquement le continent. D’un certain côté, Angela Merkel peut être considérée comme le fossoyeur du rêve européen. Elle devra endosser dans les livres d’histoire cette lourde responsabilité.

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