Pourquoi il faut arrêter de parler de printemps arabes<!-- --> | Atlantico.fr
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L'expression "Printemps Arabes" fait référence au "Printemps des Peuples" de 1848 en France.
L'expression "Printemps Arabes" fait référence au "Printemps des Peuples" de 1848 en France.
©Reuters

Puisqu'on vous l'dit !

Les révolutions de Tunisie et d'Egypte ont laissé croire à l'imminence d'un mouvement de démocratisation pour tout le Proche-Orient, d'où le mot "Printemps Arabes", en référence au "Printemps des Peuples" de 1848. Pour François Burgat, les difficultés rencontrées par les nouvelles élites au pouvoir relativisent la portée des constats idéalistes, sans valider pour autant le pessimisme de ceux qui voudraient annoncer "la mort des printemps".

François Burgat

François Burgat

François Burgat est politologue et directeur de recherche au CNRS (IREMAM). Il a été directeur de l'Ifpo (Institut français du Proche-Orient) de 2008 à 2013. 

Son dernier ouvrage est Pas de printemps pour la Syrie (co édité avec Bruno Paoli) aux éditions La Découverte (2013). 

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En France, où, après la terreur révolutionnaire, une interminable antichambre (Empire, Restauration, etc) a différé l’instauration de la démocratie, les impatiences face à la lenteur proclamée du printemps de nos voisins arabes ont quelque chose de surprenant. Moins de deux ans après la chute du dictateur tunisien, des amoureux déçus du « printemps arabe » déplorent avec une amertume grandissante la trahison de leurs espoirs.

Au cours de quelques semaines tunisiennes largement idéalisées, ils avaient cru entrevoir, avec le pacifisme relatif des protestataires et la faible visibilité des islamistes, la naissance d’un monde arabe idéalement expurgé de tout ce qui avait fait, pendant plusieurs décennies, la substance de son inacceptable différence.

Aujourd’hui, les limites et les insuffisances des élites au pouvoir à Tunis ou en Egypte depuis moins de deux années ne sauraient pourtant se comparer à ceux que pendant des décennies  nous avons tolérés voire encouragés chez nos amis les dictateurs « laïques ». Difficultés et tensions peuvent-elles être attribuées principalement, ou seulement, à la couleur « islamique » de ces élites sorties des urnes printanières ? Rien non plus n’autorise à en être certain. Même si les Frères Musulmans sont loin d’avoir une gestion exemplaire, tant s’en faut, ni en Tunisie - où ils ont manqué de confiance dans leurs alliés potentiels- ni en Egypte, il reste très simplificateur d’identifier les voix stridentes et sur-médiatisées des forces démocratiques a des revendications sincères de vertu et de bonne gouvernance : elles sont en effet indissociablement mêlées à celles des puissants tenants de l’ancien régime et à leurs alliés régionaux en sursis.

Les élus qui relayent les régimes autoritaires le font aujourd’hui dans une conjoncture dont on ne mesure pas toujours la difficulté. On connaît les exigences de l’économie et du social, dans une configuration mondiale d’une dureté sans précédent. Mais l’autre défi, politique celui-là, est aussi redoutable : au ciment autoritaire qui assurait la cohésion du corps politique, il appartient aux nouveaux dirigeants de substituer un lien, fait de confiance partagée et de concessions réciproques, autrement plus fragile. Privés des facilités répressives qui était l’arme absolue de leurs prédécesseurs, à la tête d’appareils d’Etat qui sont encore loin de leur être acquis, les islamistes doivent gouverner des sociétés où, de surcroit, chaque individu, enivré de sa liberté nouvelle, se montre particulièrement exigeant : au bien-être social, il entend adjoindre le droit d’affirmer toute sa différence ; et de réaliser toutes ces ambitions collectives et individuelles que l’atmosphère autoritaire lui avait jusque-là interdites.

En Syrie, tout a été fait, à l’intérieur comme dans l’environnement international, pour que la révolte citoyenne ressemble de plus en plus à celle du désespoir, avec ses inévitables crispations radicales et sectaires et une terrifiante internationalisation. Le jeu exceptionnellement cynique du régime voulait à la fois la militarisation et la confessionnalisation de la confrontation avec son opposition. Il y est en grande partie parvenu, localement comme à l’échelon régional. L’environnement occidental a fait preuve d’une coupable frilosité : il a exigé de l’opposition en exil, avant de lui accorder toute aide militaire effective, des conditions qu’elle ne pouvait réunir sans être en mesure de se crédibiliser auprès des groupes armées autrement que par des mots.

L’ « irakisation » évidente d’une partie des groupes armés, qui sert de prétexte pour différer de mois en mois ce soutien essentiel de l’Europe et des Etats-Unis, ne devrait pourtant pas faire oublier une réalité primordiale : si, depuis l’Irak, les groupes radicaux adeptes d’Al-Qaida ont tourné leurs armes et leurs ambitions vers la Syrie voisine, c’est avant tout parce, dès lors que le processus de construction institutionnelle a pris à Bagdad le relais et la place de la lutte armée, ces groupes extrémistes ont été parfaitement incapables d’y occuper une place significative. Ils sont partis chercher en Syrie la fortune politique que l’Irak leur refusait, tout comme, de toute évidence, la population syrienne leur refusera demain.

En Libye, comités, commissions et autres conseils n’en finissent pas de redonner irrésistiblement le pouvoir aux civils. Et, comme pendant tant d’années Kadhafi en avait rêvé sans bien sûr jamais accepter d’en payer le coût, le peuple est bel et bien… au pouvoir, pour le pire ici et là mais, de façon bien plus évidente aussi… pour le meilleur.

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