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Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, Donald Trump et ses lieutenants ont fondamentalement réussi à bouleverser les règles du fair-play en politique.
Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, Donald Trump et ses lieutenants ont fondamentalement réussi à bouleverser les règles du fair-play en politique.
©Reuters

THE DAILY BEAST

Après une semaine de campagne désastreuse, il ne peut plus gagner. Mais il a déjà fait de nous tous des perdants, et nous avons été complices de ses crimes.

Goldie Taylor

Goldie Taylor

Goldie Taylor est journaliste pour The Daily Beast.

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The Daily Beast - Goldie Taylor (traduction Julie Mangematin)

C’est fini.

Lors du premier débat présidentiel de la semaine dernière, il a livré une performance désastreuse, surréaliste.Une enquête du New York Times a enfoncé le clou, faisant l’effet d’une bombe : elle révèle les pertes financières astronomiques accusées par Donald Trump au milieu des années 1990, pertes qu’il a probablement utilisées pour éviter de payer son impôt sur le revenu depuis près de deux décennies. Ces derniers développements ont définitivement enterré toute chance pour le candidat républicain de remporter l’élection présidentielle du 8 novembre prochain.

Ce fiasco suicidaire n’aura presque aucun effet sur les inconditionnels de Donald Trump. Mais à 36 jours de l’élection, l’heure de vérité a sonné pour le magnat de l’immobilier. Doté d’un service de communication chaotique, et en l’absence d’organisation significative sur le terrain, il n’a plus aucune chance de réunir la grande coalition nécessaire pour renverser la tendance en sa faveur. Hillary Clinton fait la course en tête des sondages. D’ici au jour de l’élection, l’écart est trop important, il reste trop de kilomètres à parcourir pour rattraper sa rivale. Le promoteur immobilier a creusé sa tombe.

Sans aucun doute, Donald Trump aurait fait le président américain le plus désastreux de l’ère moderne. Mais de sérieux dégâts ont déjà été faits. Sur son passage, Trump a levé tous les tabous qui limitaient le répertoire de ce qui est jugé acceptable dans notre discours politique. Sa campagne a changé la façon dont on détermine la viabilité à long terme des candidats. Enfin, elle est un affront à l’esprit de fair-play le plus fondamental.Et il n’y a pas de retour en arrière possible.

Les coupables se comptent à la pelle : un grand nombre d’électeurs des primaires républicaines, les journalistes qui ont accordé une légitimité à ses raccourcis fallacieux au nom du clic et de l’audience, et même les responsables de la convention nationale républicaine qui ont refusé d’utiliser les moyens légaux à leur disposition pour arrêter Donald Trump. Bien sûr, il y a aussi la société dans son ensemble, qui a gobé la fable autour de son sens des affaires, qui a regardé son émission de télé-réalité sur NBC, et qui a alimenté sa célébrité. Ensemble, et chacun de notre côté, nous avons créé Trump.

Le matraquage d’agressions verbales qui a caractérisé la campagne de Donald Trump aura inévitablement des conséquences sociales et politiques. Nonobstant quelques actes héroïques de journalisme, la couverture médiatique de l’élection, prétendument égalitaire et équilibrée, a été dominée par des affairistes corrompus. Au-delà de l’émergence d’une nouvelle espèce enhardie d’ethno-nationalistes sectaires, qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, Donald Trump et ses lieutenants ont fondamentalement réussi à bouleverser les règles du fair-play en politique.

Donald Trump a distendu les lignes du terrain de jeu (dont certaines pour toujours) et les poteaux de but semblent se déplacer selon ses désirs. Tout est permis.

Pour Trump, il n’y a pas de hors-jeu et pas de cartons rouges quand un joueur touche la balle de la main. Au contraire, il a pu, en toute impunité, éluder les questions sur les comptes de sa fondation, mentir pour éviter de rendre publiques ses déclarations d’impôts, et proférer des remarques dénigrantes à l’encontre de catégories toujours plus variées de citoyens américains.

Il a battu une douzaine d’opposants à la primaire en tenant des propos discriminatoires sur les musulmans, les Hispaniques, et les femmes ; et le "tournant" promis dans sa stratégie n’est jamais arrivé. Le fait que Donald Trump n’ait pas été forcé de suspendre sa campagne après avoir tenu des propos racistes à l’encontre d’un juge fédéral en dit aussi long sur nous que sur le candidat républicain lui-même. Avec notre accord tacite, il a utilisé les stéréotypes les plus vicieux sur les Afro-Américains et a refusé de s’excuser d’avoir tenté de délégitimer le premier président noir de la nation. En réalité, il a même estimé que l’on devrait le remercier pour avoir dit la vérité et pour avoir forcé le président Barack Obama à rendre public son certificat de naissance in extenso. Au lieu de faire son mea culpa, Donald Trump a accusé à tort l’équipe de campagne de 2008 d’Hillary Clinton d’avoir lancé la polémique, et il s’est félicité d’avoir mis un point final au débat.

Sauf que Trump n’a jamais arrêté le birtherism (la théorie selon laquelle Barack Obama n'est pas né sur le sol américain et est donc inéligible à la présidence, ndlr.). Il a continué à prétendre que le document était falsifié et a même avancé que l'agent de santé qui l’a signé aurait été assassiné. A deux reprises, il est monté à la tribune et a suggéré les circonstances dans lesquelles son opposante pourrait se faire tirer dessus.

Une seule de ces actions aurait suffi à disqualifier n’importe quel autre candidat, n’importe quelle année. Mais Donald Trump sait que cette règle ne s’applique pas à lui. "Elle est méchante, mais je peux être plus méchant qu’elle ne pourra jamais l’être", s’est-il vanté dans un entretien au Times.

Il sait que lui et ses plus proches lieutenants (Chris Christie, Rudy Giuliani et Newt Gingrich) peuvent continuer à distribuer les coups de sifflet et changer les règles du jeu en cours de route. Il ont presque tout fait, sauf peut-être reprocher aux Américains de payer leur juste part d’impôts et d’honorer leurs obligations contractuelles. Selon l’expression du maire de New York Rudolph Giuliani, Donald Trump a eu un éclair de "génie" en utilisant la déduction fiscale des "reports de pertes d’exploitation nettes" – une obscure niche fiscale inaccessible à la plupart des Américains – pour éviter d’avoir à payer ses impôts pendant près de deux décennies.

Il a déclaré plusieurs faillites, il a refusé de payer ses prestataires externes, et il a coûté leur emploi à des dizaines de milliers de personnes : et alors ? Tout cela a été fait dans les règles de la légalité, selon Donald Trump. C’est un mari adultère notoire et récidiviste qui n’hésite pas une seconde avant de cracher des remarques misogynes, hypersexuelles à propos des femmes : et alors ? Tout le monde trompe, du moins selon Rudolph Giuliani, et les femmes l’ont bien cherché, n’est-ce pas ? Et s’il s’avérait que Donald Trump n’a effectivement pas payé un centime d’impôts pendant 18 ans (laissant les policiers, les enseignants, les vétérans et tous les autres débourser pour lui) : et alors ? Cela fait de lui quelqu’un de "malin", non ?

L’année 2016 a été une expérience grandeur nature sur la déviance décadente.

Il fut un temps (révolu) où les accusations de fraude, les manœuvres pour échapper au service militaire, le flagrant délit d’adultère, le délit d’initié, sans parler des agressions verbales publiques contre une myriade de gens, auraient été rédhibitoires. Un milliardaire auto-proclamé qui n’aurait pas payé ses impôts pendant ne serait-ce qu’un an aurait été rayé de la carte. Plusieurs candidats ont déjà dû par le passé jeter l’éponge pour moins que ça. Le torrent d’enquêtes à charge dans la presse aurait suffi à n’importe quel candidat qui se respecte pour se retirer. En l’espace de quelques heures, le candidat et sa femme seraient montés sur une tribune aux couleurs du drapeau américain pour proclamer, la larme à l’œil, leur allégeance à leur pays, et promettre de poursuivre leur combat pour l’intérêt public dans l’ombre, en tant que simple citoyen.

Et pourtant, gaffe après gaffe, polémique après polémique, et mensonge après mensonge éhonté, non seulement il est toujours dans la course, mais il est debout à 3 heures du matin, tweetant des tacles vulgaires et puérils à une ancienne Miss Univers.

Jamais, dans l’histoire politique américaine, un candidat d’un parti majeur n’avait à ce point ridiculisé le processus démocratique. Mais la roue a tourné le jour où les électeurs républicains ont jeté leur dévolu sur une star de télé-réalité dénuée d’expérience politique, dépourvue d'un socle de valeurs morales, et de curiosité intellectuelle. La roue a tourné le jour où les membres républicains du Congrès ont refusé de dénoncer ses remarques les plus outrancières. Si vous ne croyez en rien, vous pouvez dépasser les bornes, tout est permis. Et, pour Donald Trump, les excuses sont un aveu de défaite.

Au point que Donald Trump (avec l’aide d’une classe médiatique quasiment passive) a commencé à banaliser différents types de racisme, de discrimination et de misogynie. Cela nous concerne tous. Il avait besoin de participants consentants, et malheureusement, il les a trouvés. Mais pas seulement parmi l’Alt right et les suprémacistes de la race blanche. Mais aussi dans les couloirs des chaines d’information, avec des équipes incapables de contredire ses diatribes absurdes et d’arrêter d’inviter ses collaborateurs qui mentent effrontément. Incapables… ou réticentes ?

Donald Trump a trouvé des complices parmi les démocrates et indépendants soi-disant réformistes qui préfèreraient voir le "système" partir en fumée plutôt qu’élire un nouveau membre de la famille Clinton. Ils voient moins en Donald Trump un homme dangereux qu’un simple outil au service de leurs fantasmes nihilistes.

A nos risques et périls politiques,  nous avons permis à Donald Trump de déchirer le mode d’emploi et de piétiner les règles du jeu. Mais cela ne va pas s’arrêter avec lui. Donald Trump pourrait finalement perdre dans un raz-de marée démocrate, récoltant seulement les plus rouges des Etats rouges. Mais cela ne réparera pas le terrain de jeu. Au cours de ce cycle électoral, le jeu a été perverti, défiguré et mutilé au point qu’il est presque méconnaissable.

Malheureusement, après cette campagne, nous allons voir davantage de candidats grossiers comme Donald Trump défier le filtrage républicain et parvenir à se frayer un chemin jusqu’aux urnes – au niveau local, au niveau de l’état et au niveau fédéral. Nous devons prendre conscience du fait que Donald Trump leur a préparé le terrain, en créant une base de supporters clé-en-main qui blâment déjà un "système truqué", et seront vite désillusionnés.

Bien sûr, nous pouvons blâmer les électeurs de la primaire républicaine. Et la convention nationale républicaine ne pourra pas faire l’impasse sur un examen de conscience : elle devra prendre sa part de responsabilité dans la pagaille dans laquelle nous nous trouvons. Mais ce serait une erreur de ne pas reconnaitre le rôle que beaucoup d’entre nous avons joué involontairement dans l’ascension politique de Trump. Les signes précoces de sa propension aux divagations narcissiques et sa piètre compréhension des politiques publiques sautaient aux yeux dès le départ.

Nous l’avons bien cherché.

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