Pourquoi ceux qui rêvent d’un duel contre le FN feraient bien de se rappeler 1848 et l’écrasante victoire de Louis-Napoléon Bonaparte<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Pourquoi ceux qui rêvent d’un duel contre le FN feraient bien de se rappeler 1848 et l’écrasante victoire de Louis-Napoléon Bonaparte
©

Bonnes feuilles

C'est désormais par la droite que viennent l'innovation idéologique et la pression politique. Le débat politique majeur se situe donc au sein du camp classé à droite entre ceux qui défendent une philosophie de l'ordre naturel des choses et ceux qui adhèrent à l'idée du contractualisme social. La guerre à droite aura bien lieu, entre la droite classique qui retrouve ses valeurs et la droite moderne qui est en passe de redevenir la gauche. Cet ouvrage propose d'analyser l'état des forces politiques françaises, à la fois sous l'angle organisationnel et idéologique. Extrait de "La guerre à droite aura bien lieu", de Guillaume Bernard, aux éditions Desclée de Brouwer 2/2

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard, docteur et habilité à diriger des recherches en histoire des institutions et des idées politiques, est maître de conférences à l'ICES (Institut Catholique d'Études Supérieures).

Il enseigne ou a enseigné dans divers autres établissements comme Sciences-Po Paris. Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d'ouvrages scientifiques parmi lesquels Dictionnaire de la politique et de l'administration (PUF, 2011) et Introduction à l'histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2éd., 2011), ou destinés au grand public, dont L'instruction civique pour les nuls (First, 2e éd., 2015). Il est également l'auteur de La guerre à droite aura bien lieu, (Desclée de Brouwer, 2016).

Voir la bio »

Les politiques qui espèrent un duel contre le FN ont-ils oublié le précédent de 1848, l’écrasante victoire de Louis-Napoléon Bonaparte ? Par la conjonction d’électorats des deux bords, il balaya tous ses adversaires en recueillant près de 75% des suffrages exprimés représentant plus de 50% des inscrits. Certes, les circonstances sont différentes et l’histoire ne se renouvelle jamais à l’identique. Il est donc peu probable que le FN obtienne de tels scores et le frontisme du XXIe siècle n’est pas identifiable au bonapartisme du XIXe. Cependant, la coalition des électorats en faveur du FN ressemble fortement à celle qui donna la victoire à Bonaparte. Le vote en sa faveur fut populaire et en réaction aux élites. Il rassembla des électorats disparates voire antagonistes (monarchistes et républicains). Une partie de la droite vota pour Bonaparte par peur du désordre social. Une partie de la gauche le fit parce qu’il avait été l’un des premiers politiques à s’être vraiment intéressé au paupérisme ; elle le fit d’autant plus qu’elle voulut se venger des journées de juin où les républicains modérés avaient fauché la contestation sociale. Le vote bonapartiste se cristallisa sur un nom connu de tous autant qu’en faveur d’un programme. Ce fut un vote plutôt rural (aujourd’hui la "France périphérique") contre le monde urbain (de nos jours les centres mondialisés). Sa répartition géographique fut inégale, mais son aspect massif dans certaines régions compensa son retrait dans d’autres, l’Ouest en particulier. Enfin, le vote bonapartiste s’exprima plutôt dans les territoires les plus déchristianisés où l’émiettement social était susceptible de se ressentir plus qu’ailleurs, où le déracinement et le sentiment de dépossession de soi sont actuellement palpables.

Comparaison n’est pas raison, mais le parallélisme est tout de même significatif. Il concerne les caractéristiques sociales (vote populaire) et géographiques (plutôt l’Est que l’Ouest, encore que la Provence qui vote très fortement FN n’avait pas soutenu Bonaparte). Cela regarde aussi les motivations du vote : contre l’insécurité sociale et pour un enracinement culturel. Le FN n’a sans doute pas sciemment bâti sa stratégie sur le modèle bonapartiste. Mais la coïncidence-convergence est troublante. Elle peut, en tout cas, expliquer pourquoi Marine Le Pen fait la sourde oreille aux sirènes (aussi bien internes qu’externes à son parti) lui demandant d’infléchir son discours pour prendre en compte les proximités doctrinales et les porosités partisanes, en un mot pour se focaliser sur la conquête de l’espace politique à droite faisant le pont entre le FN et LR. À l’image du bonapartisme qui était originairement de gauche et glissa sur la droite du spectre politique, le FN mariniste se présente comme n’étant idéologiquement ni de droite ni de gauche.

Or, dans la conjoncture actuelle, ce parti prend un risque réel car il laisse inoccupé un créneau électoral, orphelin depuis l’abandon par la droite de la "ligne Buisson", mais qui ne restera pas éternellement désincarné : une partie des électeurs de droite qui se prononcent en sa faveur faute de mieux sera alors susceptible de s’égailler. Il est vrai que, de manière globale, la droite légitimiste se refusa à Bonaparte tandis que la droite libérale le soutint, orléanisme et bonapartisme communiant dans le même héritage révolutionnaire. Mais aujourd’hui, il n’est pas certain que l’électorat de droite modérée se contente du libéralisme sociétal du néo-FN en oubliant sa tendance à une forme d’étatisme économique et social néo-colbertiste. Le FN n’aurait-il pas plus de cohérence à chercher la captation de l’électorat catholique par une défense de la sociabilité naturelle où les thèmes de la famille, de l’entreprise et de la nation convergent ?

En tout cas, la direction du parti semble persuadée d’être capable de compenser d’éventuelles pertes à droite par des gains à gauche (en particulier dans le Nord et l’Est de la France). Il est vrai qu’aux européennes de 2014, l’électorat du FN de la présidentielle de 2012 ne s’est mobilisé que pour moitié ; pour atteindre son score, près de 25%, ce parti a donc capté des voix de droite (14% des électeurs de Nicolas Sarkozy du premier tour de 2012) mais aussi de gauche (7% venant de Mélenchon et 6% de Hollande).

L’inflexion du ton du FN vers une forme de dirigisme (sans pour autant aller jusqu’au collectivisme) au détriment de la subsidiarité semble d’une utilité et d’une efficacité relatives. L’électorat de gauche qui le rallie ne le fait pas fondamentalement pour son discours économique. D’ailleurs, celui qui se porta sur Louis-Napoléon n’avait pas été rebuté par un programme en faveur de la famille, de la liberté de l’enseignement, de la propriété privée ou de la diminution des impôts et du nombre des agents publics. Quant au reste de l’électorat de gauche, il demeure hostile au FN parce qu’attaché à une vision internationaliste (mondialisation culturelle, approfondissement de la construction européenne) que ce parti combat. Au final, ce qui semble être le pari "bonapartiste" de Marine Le Pen n’apparaît pas irréaliste (il n’est pas inenvisageable qu’elle gagne la présidentielle) mais il est, dans l’état actuel des choses, encore loin d’être gagné (en particulier dans sa capacité à obtenir une majorité parlementaire pour gouverner).

Extrait de "La guerre à droite aura bien lieu", de Guillaume Bernard, publié aux éditions Desclée de Brouwer, octobre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Mais sur quoi pourrait déboucher la grande réunion des droites "hors les murs" invitées par Robert Ménard à Béziers en mai ?Comment Jean-Marie Le Pen prépare sa revanche sur le Front national et sa fille pour les législatives de 2017Macron, Le Pen, Mélenchon et cie : mais quel est vraiment ce "système" qu'ils dénoncent tous ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !