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Pourquoi cela n'a pas de sens de parler d'une troisième intifada
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Malgré une montée en puissance des frictions avec le tir d'une roquette ce matin contre Israël, l'utilisation du terme "intifada" (lutte sans armes) ne permet pas de décrypter les évènements actuel. Explications

Julien Salingue

Julien Salingue

Julien Salingue est Doctorant en science politique à l'Université Paris 8 et enseignant à l'Université d'Auvergne.

Ses recherches portent sur le mouvement national palestinien et sur les dynamiques politiques, sociales et économiques en Cisjordanie et à Gaza.

Il a notamment publié A la recherche de la Palestine : Au-delà du mirage d'Oslo.

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Atlantico : La mort ce week-end d'un militant du Fatah dans les geôles israéliennes a déclenché un vent de colère en Cisjordanie alors que plusieurs centaines de jeunes palestiniens se sont heurtés depuis aux forces de l'ordre de l'Etat Hébreu. Peut-on néanmoins parler d'une "troisième intifada" comme l'a affirmé une partie de la presse ?

Julien Salingue : La mort d'Arafat Jaradat s'inscrit dans un contexte plus général de mobilisation des prisonniers, et de mobilisation de la population en soutien aux prisonniers. Il y a moins d'un an, 2.000 prisonniers étaient entrés en grève de la faim pour protester, notamment, contre la pratique de l'isolement et contre la détention administrative. Cette dernière, qui permet à Israël de maintenir des Palestiniens en détention durant une durée indéfinie, sans charge et sans procès, est régulièrement dénoncée par les ONG des Droits de l'Homme.

Depuis cette grève de la faim historique, qui s'était soldée par une demi-victoire pour les détenus, d'autres prisonniers ont à leur tour cessé de s'alimenter, avec notamment le cas emblématique de Samer Issawi, à l'heure actuelle en grève de la faim depuis plus de 7 mois.

La mort de Jaradat n'est donc pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, et rappelle à qui l'aurait oublié que la question des prisonniers politiques demeure structurante dans la société palestinienne. Il y a aujourd'hui près de 5.000 prisonniers en Israël, et leur sort est une préoccupation constante pour leurs familles, leurs proches, ainsi que pour les organisations politiques et la société civile palestiniennes.

Plutôt que d'une « 3ème intifada », c'est donc davantage à une nouvelle explosion de colère que nous assistons, dans des territoires qui sont toujours sous occupation et au sein desquels une société toute entière refuse de laisser les siens être arrêtés arbitrairement, détenus dans des conditions parfois inhumaines, et mourir d'un prétendu « arrêt cardiaque » lors d'un interrogatoire conduit par le Shin Beth, connu pour ses méthodes brutales.

Par ailleurs le mot "Intifada" n'est-il pas dépassé pour décrire les mécanismes actuels des rapports Israélo-palestiniens ?

Le terme « Intifada » fait référence au soulèvement palestinien de la fin de l'année 1987, contre l'occupation israélienne, qui demeure une référence dans l'histoire de la lutte nationale en Cisjordanie et à Gaza. Or ce à quoi nous assistons ces derniers jours est très loin de la forme qu'avait prise la lutte à cette époque.

La 1ère Intifada était caractérisée par sa structuration à tous les échelons de la société palestinienne et par l'investissement massif de la population dans le soulèvement : jeunes, vieux, hommes, femmes, réfugiés, citadins... Tous les Palestiniens participaient à l'Intifada, dans une société particulièrement bien organisée, par les partis politiques, les organisations d'agriculteurs, d'étudiants, de femmes, les syndicats, etc...

La donne a changé. La structuration politique de la société palestinienne est beaucoup plus faible, et rien ne laisse penser qu'un soulèvement généralisé, durable et organisé pourrait survenir dans les jours et les semaines qui viennent. Les Palestiniens luttent sur divers fronts, contre la construction du mur et les expropriations, contre la colonisation, en solidarité avec les prisonniers, mais aussi contre la dégradation des conditions économiques pour la majorité des habitants de Cisjordanie et de Gaza. Mais il n'y a pas de direction claire, unifiée, qui pourrait proposer un programme politique claire et des échéances de mobilisation, comme ce fut le cas à la fin des années 1980.

Comment donc définir et expliquer les émeutes actuelles ?

Le mécontentement palestinien n'avait pas disparu. Il était seulement moins visible. Quiconque se rend dans les territoires palestiniens s'aperçoit que, derrière l'apparente accalmie, il y a en réalité un renforcement de l'emprise israélienne sur les territoires occupés et une dégradation des conditions de vie de la population. Malgré les Accords d'Oslo, malgré le récent vote de l'ONU, la population palestinienne n'a aucune perspective de réelle libération, de réelle indépendance, et il n'y a dès lors aucune raison que la colère s'estompe.

Que peut-on attendre de cet évènement ? Y a t-il un risque de généralisation des émeutes ?

Les récents événements s'inscrivent dans un contexte de remobilisation de la société palestinienne, qui s'est peu à peu remise du choc de la violente répression de la « deuxième Intifada ». Contrairement à ce que d'aucuns espéraient, il ne suffit pas d'injecter des centaines de millions de dollars dans les territoires palestiniens et de demander à Mahmoud Abbas de réprimer son peuple pour faire disparaître la contestation. La question palestinienne est une question politique, et tant qu'aucune solution politique ne sera trouvée, il y aura peut-être des périodes de relative accalmie mais les problèmes fondamentaux demeureront et des explosions continueront de se produire.

Il est difficile de prévoir ce qui va se passer dans les prochains jours. Les affrontements peuvent se multiplier, et la répression israélienne pourrait se solder par de nouveaux drames et alimenter la colère populaire. Paradoxalement, c'est l'Autorité Palestinienne de Ramallah qui pourrait faire les frais d'un développement de la contestation : elle est en effet de plus en plus décriée, en raison notamment de sa coopération ouverte avec Israël dans le domaine sécuritaire alors qu'elle n'obtient rien pour le peuple palestinien.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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