Pourquoi boire dans une bouteille d’eau peut être encore pire que de lécher une cuvette de toilettes<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans une bouteille de sport à usage multiple, toutes les conditions sont réunies pour permettre une telle pullulation. Il s’agit d’une matière plastique de qualité ordinaire qui a une surface poreuse.
Dans une bouteille de sport à usage multiple, toutes les conditions sont réunies pour permettre une telle pullulation. Il s’agit d’une matière plastique de qualité ordinaire qui a une surface poreuse.
©Pixabay

Tord-boyaux

Le site Treadmill Reviews a testé une douzaine de bouteilles de sport réutilisables, non nettoyées depuis une semaine, et est arrivé à un résultat désastreux : environ 300 000 unités de bactéries par centimètre carré peuvent être trouvées à l'intérieur.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le site Treadmill Reviews a testé une douzaine de bouteilles de sport réutilisables, non nettoyées depuis une semaine, et est arrivé à un résultat désastreux : environ 300 000 unités de bactéries par centimètre carré peuvent être trouvées à l'intérieur. A partir de combien de bactéries par centimètres carrés le taux devient-il risqué ?

Stéphane Gayet : Les techniques de bactériologie courante comme spécialisée se sont énormément développées au cours de ces 20 dernières années. Elles sont même devenues, s’agissant de la bactériologie courante, relativement faciles à mettre en œuvre et leur coût a parallèlement beaucoup baissé. D’où la multiplication des travaux consistant à mesurer le niveau de contamination bactérienne sur telle ou telle surface, tel ou tel objet, dans tel ou tel liquide. Et le fait de mettre ainsi en évidence de très fortes concentrations de bactéries est de nature à impressionner bien des esprits qui ne possèdent pas les connaissances permettant de considérer ces données quantitatives avec discernement. Car c’est bien cela.

Si la génération actuelle n’a pas connu - et c’est heureux - les épidémies bactériennes historiques, telles que celles de choléra, de peste, de diphtérie, de scarlatine, d’impétigo, de furonculose, de fièvre puerpérale, de typhus exanthématique, de fièvre typhoïde, de tuberculose, de pneumonie à pneumocoque, de coqueluche…, ces maladies ont durablement marqué leurs parents et grands-parents. Dans ces années morbides, où l’on savait, mais depuis peu, mettre un nom sur l’agent causal de telle ou telle maladie bactérienne grave, on associait schématiquement le mot "bactérie" ou plutôt celui de "microbe" à la notion de grave danger. C’est ainsi qu’une grande entreprise française de fabrication de produits désinfectants rédigeait ainsi ses affiches publicitaires : "Le microbe, voilà l’ennemi". Et sur cette même affiche, on voyait un agent asperger de désinfectant un environnement supposé contaminé par des bactéries redoutables. C’était bien sûr une vision très schématique des choses et l’on sait aujourd’hui qu’elle est franchement erronée.

Cette conception manichéenne des bactéries est complètement obsolète. Les bactéries (le terme microbe, commode parce que largement utilisé, n’est pas souhaitable, car trop ambigu) sont les êtres vivants les plus simples et les plus répandus sur le globe terrestre. C’est la forme de vie de très loin la plus abondante. Une bactérie est un être ultra rudimentaire, car constitué d’une seule cellule et qui plus est une cellule incomplète (mais bien sûr viable tout de même). Notons que, lorsque nous les appelons bactéries, elles font déjà moins peur que lorsque nous les appelons microbes. Si l'on considère le monde bactérien dans son ensemble, ce sont des êtres vivants extrêmement plus bénéfiques que néfastes. Les espèces bactériennes pathogènes pour l’homme représentent infiniment moins que le centième des espèces bactériennes connues. Précisons qu’un genre bactérien (par exemple, le genre Streptococcus ou streptocoque) comporte plusieurs espèces (par exemple, les espèces pneumoniae ou pneumocoque et pyogenes ou streptocoque A). Les exemples de maladies bactériennes que nous avons vus ne sévissent plus en France sous la forme d’épidémies, mais de cas dispersés. Nous connaissons aujourd’hui beaucoup mieux ces bactéries pathogènes et, grâce à l’hygiène, aux vaccins, aux antibiotiques et à l’amélioration de notre niveau de vie, nous avons réussi à contrôler la situation.

Mais à côté de ces bactéries, assurément pathogènes tout en étant extrêmement minoritaires, que de bactéries utiles ! Elles sont nos innombrables ouvrières microscopiques qui transforment dans l’industrie agroalimentaire les matières premières et les boissons, ainsi que dans la nature les sols et les déchets. Elles sont également nos ouvrières microscopiques qui transforment les aliments dans notre intestin et contribuent qui plus est à protéger nos muqueuses de certaines agressions. Vraiment, cette conception de la bactérie dangereuse à éliminer est non seulement simpliste, mais complètement dépassée. Avec les virus, il en est tout autrement, mais ils ne sont pas vivants et de ce fait ne se multiplient pas. C’est une tout autre histoire.

Alors, que signifie la découverte d’une forte population de bactéries dans une gourde ?

Une concentration de 300 000 unités formant colonies (UFC), c’est-à-dire bactéries, par centimètre carré est en effet une très forte concentration, peu courante il est vrai. On n’a pas l’habitude de mettre en évidence de telles populations bactériennes. Mais cela peut s’expliquer assez facilement. En effet, dans une bouteille de sport à usage multiple, toutes les conditions sont réunies pour permettre une telle pullulation. Il s’agit d’une matière plastique de qualité ordinaire qui a une surface poreuse. La bouteille est ensemencée par les bactéries de la bouche, des lèvres et des mains lors de chaque utilisation. Le milieu liquide est très favorable à la multiplication des bactéries. Lors de chaque utilisation, les particules nutritives de la cavité buccale passent dans la bouteille. La température de conservation est une température ambiante à tendance chaude, autre facteur qui favorise la pullulation bactérienne. De surcroît, la bouteille n’est pas nettoyée. On se trouve ainsi pratiquement dans les conditions expérimentales de culture bactérienne qui sont utilisées en laboratoire.

Il est en pratique impossible de donner une concentration dangereuse maximale, déjà en raison du caractère purement quantitatif (nombre de bactéries) et non pas qualitatif (espèces bactériennes en cause) de cette étude. Que dit la réglementation ? Voici ce que stipule l’Arrêté du 11 janvier 2007 relatif à l’eau destinée à la consommation humaine : "Le nombre total de bactéries doit se situer dans un rapport de 10 par rapport à la valeur habituelle". En d’autres termes, le résultat d’une analyse isolée n’a pas de sens ; ce qui a du sens, c’est la répétition des analyses et l’évolution des résultats d’une fois sur l’autre. Chaque personne concernée doit donc commencer par établir ses propres valeurs repères par une série d’analyses. Ainsi, la seule chose que l’on puisse affirmer est que 300 000 bactéries par centimètre carré dans une bouteille à usage multiple constituent une concentration très élevée, mais qui s’explique très bien. On ne peut pas savoir si cette population bactérienne constitue un réel danger, sans avoir d’information sur les espèces bactériennes en question.

Quels types de bactéries peut-on trouver dans une bouteille à usage multiple ?

Les bactéries qui se développent facilement en milieu liquide à température ambiante et riche en nutriments sont avant tout celles qui appartiennent à la famille Pseudomonas. Parmi elles, le fameux Pseudomonas aeruginosa ou bacille pyocyanique. C’est une bactérie hydrique et même aquatique. Elle possède un flagelle et se déplace facilement dans un liquide favorable comme celui qui nous occupe. Cette bactérie est très peu pathogène : c’est un germe de type pathogène opportuniste qui n’infecte que les personnes très affaiblies et avec des portes d’entrée telles qu’une sonde urinaire, une sonde d’intubation trachéale, un cathéter vasculaire, etc. Un sportif peut en avaler en grande quantité sans craindre pour sa santé. Nous ingérons toutes et tous chaque jour de grandes quantités de telles bactéries hydriques qui ne nous rendent pas malades parce que l’ingestion n’est pas un mode de contamination habituel pour ces bactéries. Les autres espèces du genre Pseudomonas sont encore moins pathogènes. Dans la bouteille à usage multiple, on peut s’attendre à trouver d’autres bactéries hydriques comme celles du genre Aeromonas, également très peu pathogènes.

Pour résumer, les bactéries que l’on s’attend à trouver en très grand nombre dans une bouteille à usage multiple et non nettoyée sont des bactéries hydriques, c’est-à-dire des bactéries habituelles de l’eau douce. Il est normal qu’elles pullulent dans la mesure où toutes les conditions sont réunies pour cela. Ce sont des bactéries qui ne sont pas pathogènes par ingestion chez une personne en bonne santé, comme un sportif.

Boire de l'eau dans une bouteille réutilisable non nettoyée est-il aussi risqué, voire pire, que de lécher une cuvette de toilettes si ce taux est effectivement aussi élevé ?

Cette fois, les bactéries sont très différentes. Il s’agit de bactéries fécales, c’est-à-dire appartenant à la flore du gros intestin ou colon. Cette flore est appelée microbiote intestinal depuis plus d’une décennie. On a affaire à un danger plus concret. En effet, le microbiote intestinal, constitué en immense majorité de bactéries commensales (utiles) et donc non pathogènes, comporte toujours quelques bactéries pathogènes ou plutôt potentiellement pathogènes parmi toutes ces bactéries inoffensives. Ainsi, lécher une cuvette de toilettes utilisée récemment par une autre personne peut représenter un risque de contamination, mais impossible à chiffrer étant donné le nombre de paramètres qui interviennent. Mais une chose est certaine : c’est plus dangereux que de boire l’eau d’une bouteille à usage multiple, surtout si une seule personne l’utilise. Dans le cas où une bouteille à usage multiple est utilisée par plusieurs personnes successivement, le risque augmente d’une façon importante. Ce n’est pas la concentration de 300 000 bactéries par centimètre carré qui est en elle-même un danger, c’est ce qu’elle signifie : cette bouteille a été beaucoup utilisée et on peut s’attendre à y trouver des micro-organismes pathogènes d’autres personnes, tels que des virus, des staphylocoques, des colibacilles ou des salmonelles.

A quelles maladies s’expose-t-on en léchant une cuvette de toilettes récemment utilisée par une autre personne ? Il s’agit avant tout d’infections digestives (gastroentérite, colite), mais ce risque concerne en théorie également d’autres types d’infection, cependant nettement moins probables.

Que conseillez-vous pour éviter une telle accumulation de bactéries dans une bouteille d'eau réutilisable ?

Dans l’article cité, une comparaison est effectuée entre différents types de bouteilles à usage multiple. Honnêtement, ce n’est pas très scientifique. Ce qui entre en ligne de compte, c’est le matériau de la bouteille et la façon de l’utiliser. Plus le matériau est dur et lisse, moins les bactéries peuvent s’y accrocher et proliférer. Les gourdes en métal sont sur ce plan préférables aux bouteilles en matière plastique souple. Lorsque l’on boit, il faut s’évertuer à éviter que le contenu buccal ne reflue dans la bouteille, c’est très important. Dans l’étude en question, ce point a été soulevé : les dispositifs de succion qui ne favorisent pas le reflux de la bouche vers la bouteille sont associés à une moindre contamination de la bouteille. Il est utile de rincer la bouteille plusieurs fois en fin de journée, et de bien la faire sécher par égouttage puis séchage complet à l’air. On peut également la désinfecter au four à microonde, à condition qu’elle le supporte (pas d’élément métallique) : pour cela, il faut la remplir d’eau du réseau aux deux tiers de sa capacité, puis la faire chauffer jusqu’à l’ébullition ; la laisser ensuite refroidir pendant quinze minutes, puis jeter l’eau et la sécher complètement. On peut également la désinfecter au vinaigre blanc dilué une fois (à 50 %) pendant trente minutes, mais la bouteille risque de conserver l’odeur vinaigrée. Pour la randonnée, il existe des comprimés permettant de désinfecter l’eau de boisson, mais cela n’a d’intérêt que dans un contexte très particulier, quand on ne dispose d’aucune autre solution. Après un grand nombre d’utilisations, la bouteille peut être encrassée et entartrée. On peut bien sûr la détartrer au vinaigre blanc, mais il est peut-être temps de la remplacer.

Faut-il arrêter selon vous d'utiliser les bouteilles d'eau réutilisables ? Par quoi peut-on les remplacer ?

Ces bouteilles sont légères et bon marché. Elles sont commodes et en vente dans de nombreux magasins. Il est parfaitement envisageable de les utiliser, compte tenu de ce que nous avons vu et en prenant les précautions décrites plus haut. Les risques sont quand même bien modérés. Bien sûr, si l’on souffre de bronchite chronique, d’asthme, de déficit immunitaire…, la question est à envisager différemment. Aujourd’hui, la plupart des grandes enseignes qui commercialisent des eaux minérales et des eaux de source proposent des conditionnements de 25 et de 33 centilitres. Cette formule est certes assez onéreuse, mais tellement commode et sécurisante. On trouve également des petites bouteilles de jus de fruit dans ces volumes. Connaissons mieux les bactéries pour gérer de façon avisée et pertinente le risque - souvent très exagéré - qu’elles sont censées représenter.

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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