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Pourquoi Amazon est loin d’être le seul responsable des difficultés des libraires
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Faux ennemi

Le Syndicat de la librairie française (SLF) estime que le site Amazon se livre à un dumping visant à "étrangler" les libraires français, pour relever les prix une fois que toute concurrence aura été écartée.

Guillaume Monteux

Guillaume Monteux

Guillaume Monteux est le fondateur et président de miLibris, qui depuis 2008 développe une plateforme de distribution et de monétisation de l'information à destination du monde de l'édition et de la presse. miLibris est aujourd'hui la plateforme de référence Française pour les groupes de Presse, opérant la majeur partie des groupes de la PQN et des Magazines.

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Atlantico : Le Syndicat de la librairie française (SLF) estime "qu’en cumulant la gratuité des frais de port, sans minimum d'achat, pour l'achat des livres sur son site, et un rabais systématique de 5%, Amazon finance une politique de dumping visant à étrangler ses concurrents, à contourner le prix unique du livre et à bâtir un monopole qui lui permettra dans quelques années d'imposer ses conditions aux éditeurs et de relever ses prix." Le site Amazon est-il effectivement en train de pratiquer une politique de dumping ?

Guillaume Monteux : Le prix unique du livre est défini par les éditeurs. Lorsque l’on parle de dumping ou de variations de prix, la variation s’opère autour d’un référent fixé par l’éditeur. Offrir des frais de port et une remise de 5% sur un livre d’environ 20 euros reste marginal. Ce que fait Amazon est plutôt en faveur des lecteurs. Les marchandises, que ce soit la musique, la vidéo ou le livre, rentrent dans un schéma de légalité. Moins cher est le livre et plus les gens l’achète. Baisser le prix n’est pas forcément contourner la loi du livre mais il y a un vrai problème de concurrence déloyale entre la librairie et Amazon. Ce problème se situe au niveau de l’évasion fiscale dont est accusé Amazon. Sur un même bien, l’un paye des impôts et des charges mais pas l’autre. Toutes ces grandes sociétés qui ne payent pas leurs impôts créent un phénomène de distorsion et c’est là le vrai problème. Comment la librairie peut résister aux astuces d’Amazon est une vraie question : Amazon n’offre pas les frais de port uniquement pour le livre. Pour ce qui est de la réduction de 5%, tous les sites et les libraires la font.

Le chiffre d’affaires des librairies indépendantes a reculé de 5,4 % entre 2003 et 2010. Ces difficultés sont-elles à mettre uniquement sur le compte d’Amazon ? Les modes de consommation des livres ont-ils changé ?

La part de marché de la librairie indépendante dans le livre global avoisine les 20%. Le marché du livre papier s’est plutôt bien comporté surtout si on compare l’industrie de la musique ou de la vidéo dans la même période. La librairie indépendante n’a pas subi de contre coup particulier d’autant que les attaques de la librairie indépendante viennent d’Amazon mais aussi des supermarchés dont les ventes en libre n’ont fait qu’augmenter. Les libraires affiliés aux maisons d’édition ainsi que les grands groupes n’ont cessé de développer leur librairie.

Ce chiffre est tout à fait honorable si on le compare aux autres produits culturels et face aux efforts marketing impressionnants déployés par les grandes surfaces et les maisons d’édition.

Le SLF avait lancé le site "1001libraires.com" pour faire face au web, cependant après 18 mois d’existence il a fermé en 2012. Quelles sont les raisons de cet échec ?

« 1001libraires.com » est un site dont la vocation était de rapprocher la librairie et les internautes. Le projet n’a pas marché car il a commencé trop tard alors que des sites en ligne puissants comme ceux de la Fnac, Virgin ou Amazon étaient déjà présents. Il n’apportait aucune innovation ni dans l’ergonomie ni dans les fonctionnalités du site. Quand on cherchait un livre c’était très compliqué, on n’avait pas la possibilité de flâner ni d’être conseillé par un libraire. La mauvaise expérience utilisateur, les fonctionnalités réduites, une incapacité à prendre en main l’internaute ont fait de ce site un site lambda dans lequel la dimension des libraires n’était pas mise en avant. Faire un vrai site de vente en ligne de livres coûte cher et parler avec des ingénieurs est compliqué pour le monde du livre. De plus, « 1001libraires » a raté le livre numérique. Il y avait sur le site des aberrations, par exemple deux fiches produit pour un même livre.

L’initiative de créer « 1001libraires » était pourtant bonne mais il fallait laisser des ingénieurs aider au projet. Le livre est une marchandise avant d’être un bien culturel, ce qu’Amazon a très bien compris.

Les librairies physiques se sont-elles suffisamment adaptées aux évolutions du secteur ? Devraient-elles développer de nouveaux services autour de la vente en ligne, ou autres,  pour continuer d’exister ?

C’est toujours compliqué car développer la vente en ligne est une activité en tant que telle avec des compétences et des investissements lourds. Les marges ne sont pas les mêmes puisque la marge pour un libraire qui vend des livres physiques est entre 35 et 40% et pour le numérique, la marge du distributeur a été plafonnée à 30%.

Il est difficile mais indispensable pour une librairie indépendante de se lancer dans le numérique. Il y a une vraie audience sur le net. Celui-ci fait venir aux biens culturels des gens qui s’en sont éloignés. Les lecteurs du numérique ne sont pas ceux du papier. On voit beaucoup de nouveaux lecteurs qui lisent en numérique alors qu’au début du livre électronique, c’était essentiellement les gros lecteurs. Amazon et les grandes enseignes de distribution ont très bien compris cela. La librairie a des choses à dire la toile mais, pour un libraire indépendant, il est difficile d’intéresser un lectorat internet car ce n’est pas son métier.

 Internet n’est ni loyal ni fidèle et dès qu’un site ne plaît plus à l’internaute, ce dernier se tourne vers un autre site. Le SLF doit réfléchir à forger une alternative aux gros libraires pour la librairie indépendante, mais rassemblée.

Aux Etats-Unis, certains observateurs démentent la crise des libraires. L’American Booksellers Association, qui rassemble des professionnels indépendants, enregistre par exemple une hausse du nombre de ses membres. La ville de Nashville, elle, après avoir perdu sa dernière librairie il y a deux ans, en a une toute nouvelle. Les Français devraient-ils s’inspirer de ce qui se fait aux Etats-Unis ?

Il faut se méfier de tirer des généralités à partir d’un exemple concret. Aux Etats-Unis, la librairie indépendante a été ravagée par des gros libraires comme « Borders » et aujourd’hui ces libraires s’insurgent auprès des pouvoirs publics parce qu’Amazon essaye de les tuer. Amazon se comporte de la même manière qu’eux se sont comportés auprès des libraires indépendants. On ne sait pas si la librairie indépendante va remonter aux Etats-Unis ou pas. Il n’ont pas la culture de la librairie indépendante comme nous l’avons en Europe.

Il faut faire une distinction entre la librairie et le libraire. La librairie fait énormément d’erreurs notamment sur les lois de l’internet (faux débat du cumul des frais de port et de la remise de 5%, « 1001libraires », le rapport à Amazon, etc) alors que les libraires sont des personnes exemplaires qui tentent chaque jour de faire partager leur savoir.

 Aux États-Unis, le libraire a un peu disparu et même si la librairie indépendante retrouve quelques couleurs comme à Nashville, je crains que les libraires ne soient écrasés par la vague du numérique qui va commencer par une vague de la vente en ligne du papier. Les libraires doivent trouver des ressources, des moyens et des idées pour revendiquer leur expertise.

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