Pour un traitement équitable et lucide du sujet environnemental<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Des manifestants lors d'un rassemblement pour la protection de l'environnement et du climat.
Des manifestants lors d'un rassemblement pour la protection de l'environnement et du climat.
©Patricia De Melo MOREIRA AFP

Crise énergétique

La vulgarisation scientifique ou environnementale a pour mission de présenter de manière simple des sujets complexes, mais ne peut pas se permettre de les travestir par facilité ou, pire, de renvoyer par militantisme ou préjugé sur des pistes stériles ou contre-productives.

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

Voir la bio »
Florie Marie

Florie Marie

Florie Marie est une militante politique membre du Conseil des Relations Publiques. Porte-parole du Parti Pirate français et vice-présidente du Parti Pirate Européen, elle milite pour les libertés individuelles et pour une transformation globale du système électoral français vers une organisation démocratique équitable.

Voir la bio »
Comme vous peut-être, nous sommes tombés ces derniers jours sur une petite vidéo didactique sur la transition énergétique en France.
Réalisée par France Télévisions en avril 2022 et titrée « Peut-on se passer du nucléaire ? », cette jolie animation de vulgarisation de 3 minutes, initialement destinée à un public adolescent, a été rediffusée ces derniers jours sur France Info.
La transition énergétique y est présentée comme un choix entre sortir, ou non, du nucléaire. La vidéo cite en référence des études de l'ADEME (Agence de la transition écologique), de l'association Negawatt, puis de RTE (Réseau de Transport d'Électricité).
« La dernière étude en date » (étude RTE) « montre que l'Hexagone pourrait s'affranchir du nucléaire à partir de 2050. Elle envisage 3 scénarios. » permettant une sortie d'ici 2050 à 2060.
Selon la vidéo, nous pouvons sortir du nucléaire : c'est une simple question de « volonté politique et sociale forte » et de quelques écueils à résoudre. Par exemple le stockage de l’énergie « pour les jours ou les mois sans soleil », pour pallier l’intermittence de l’éolien et du solaire. « Les solutions existent », nous dit-on, mais certaines « n’ont encore jamais été testées à grande échelle ». En effet.
Cette sortie du nucléaire est présentée comme facile. Or les écueils considérables sur le stockage à long terme de l’électricité ne sont ni résolus, ni en passe de l’être.

À Lire Aussi

Réduire vos usages numériques pour l’environnement ? Quand l’ADEME cède à la superstition

Le rapport RTE : sortir en priorité du fossile, pas du nucléaire

Son objectif est de proposer des scénarios répondant au réchauffement climatique : son propos principal est donc d’étudier comment sortir des énergies fossiles, pas du nucléaire. Ainsi, il comprend deux scénarios supplémentaires sans sortie du nucléaire.
Le rapport va donc en partie à l’encontre de ce que lui fait dire la vidéo. S’il affirme qu’ « atteindre la neutralité carbone en 2050 est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables », il explique en revanche que « se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques ».
Donc selon RTE, il faut développer le renouvelable, mais sortir conjointement du nucléaire compliquerait considérablement la donne, nous forçant à battre des records européens. En sommes-nous vraiment capables ? RTE propose plusieurs scénarios avec une proportion variable de nucléaire, montrant que plus nous sortons du nucléaire, plus les scénarios réclament des efforts.
Notre propos n’est pas de défendre le nucléaire comme énergie parfaite, mais de rappeler la position des experts, confirmée par le GIEC : le nucléaire reste un moyen très efficace dans la décarbonation de nos sociétés.
Et nous nous étonnons que le rapport RTE soit présenté, ici et là, comme un rapport validant une sortie du nucléaire.

Sobriété énergétique et numérique

Ce n’est pas tout. Selon la vidéo, il faudra bien sûr réduire notre consommation d'électricité avec une meilleure isolation thermique, développer le télétravail et les transports en commun, des mesures que nous ne pouvons qu’approuver. Elles permettront d’économiser de l’énergie, particulièrement fossile, et de réduire la pollution.
Mais, de manière surprenante, la vidéo ajoute qu’il faudra « favoriser de meilleures habitudes numériques en réduisant notamment l’utilisation du streaming ou des mails ». Elle laisse donc entendre que les efforts sur le numérique ont un impact du même ordre que sur le transport ou le chauffage – injonction paradoxale, puisque le télétravail s’appuie sur le numérique –.
Or nous savons que si les transports représentent environ 40 % de l’empreinte carbone de notre pays, le numérique n’en produit que 4 %. Si 1 km en voiture thermique dégage environ 130 à 180 g d'équivalent CO2 (CO2eq), il faut utiliser un ordinateur portable pendant au moins 70 heures pour en émettre la même quantité. Ceci grâce, d’ailleurs, au faible taux de CO2eq lié à la production électrique française, largement permis par l'énergie nucléaire.

La nouvelle charte environnementale Radio France

Quelques jours plus tard, Radio France présentait son manifeste « le Tournant », explicitant sa volonté éditoriale de traiter de manière scientifique le problème de la crise climatique et de la transition écologique. La charte propose plusieurs volets, que l’on ne peut que saluer, sur l’aspect éditorial comme sur la formation scientifique des journalistes ou le fonctionnement en tant qu’entreprise.
Mais on voit apparaître là aussi un biais anti-numérique : incongru au milieu du texte, un point spécifique sur les engagements en matière de sobriété numérique, présentée comme « une priorité ». Aucun autre secteur d’activité n’est mis en exergue dans le texte, comme si le numérique était responsable d’une part majoritaire de l’impact de Radio France. Or comme on l’a vu précédemment, on peut émettre des doutes sur cette importance relative à Radio France.

Remettre le numérique à sa juste place

Le discours anti-numérique, rabâché depuis environ 10 ans en France, exagère l’impact de celui-ci sur la foi d’études – par exemple celle de l’Ademe sur le poids du courriel – à la méthodologie erronée, parfois discrètement rétractées, mais le mal est fait : le mauvais chiffre circule des années durant, surfant sur notre goût pour le sensationnel et le scandaleux, rendant inaudibles les corrections beaucoup moins paniquantes. Nos biais de confirmation font le reste : nous relayons ces évaluations édifiantes sans hésitation. Il existe désormais une perception fermement établie dans l’opinion française et les médias, répétée comme une évidence, que le numérique représente un poids majeur.
Il ne s’agit nullement de prétendre que le numérique n’a aucun impact, ni qu’il ne doit pas réduire le sien : des améliorations sont toujours possibles, et la nécessité de conserver aussi longtemps que possible notre matériel fait consensus. Mais les injonctions sur les boites de courriel ou la vidéo en ligne nous envoient sur des pistes stériles.

Décarbonons avec pertinence : ciblons nos combats

Bien sûr, notre propos n'est pas ici de pointer particulièrement ces deux exemples récents de traitement du sujet environnemental.
La volonté de décarbonation n’est pas seulement louable : elle est indispensable. Elle est largement partagée. Elle nécessite des actions pertinentes et impactantes dès maintenant et dans les décennies qui viennent. Le numérique, loin d'être un obstacle, peut au contraire y aider, bien au delà du simple télétravail.
La vulgarisation scientifique ou environnementale, quant à elle, a pour mission de présenter de manière simple des sujets complexes, mais ne peut pas se permettre de les travestir par facilité ou, pire, de nous envoyer par militantisme ou préjugé sur des pistes stériles ou contre-productives.
Nous nous attristons donc que les lignes éditoriales concernant l’urgence environnementale effectuent de tels contresens. Il ne s’agit pas d’erreurs ponctuelles et isolées, mais bien de confusion persistante sur les buts à atteindre et les moyens d’y parvenir.
Pour agir utilement, il nous semble important de fournir une information fiable, éclairant lucidement les enjeux et évitant d'entretenir des confusions. Nos futures actions personnelles mais aussi les politiques publiques en dépendent directement.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !