Pompiers pyromanes : juste au moment où la zone euro semblait aller mieux, la gestion de la crise chypriote va-t-elle faire couler l'Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La crise chypriote peut-elle faire couler l'Europe ?
La crise chypriote peut-elle faire couler l'Europe ?
©Reuters

A n'y plus rien comprendre

Chypre a jusqu'à lundi pour trouver 6 milliards d'euros. Sinon...

Nicolas Goetzman Andréa Tuéni  et Kostas Vergopoulos

Nicolas Goetzman Andréa Tuéni et Kostas Vergopoulos


Nicolas Goetzmann est Stratégiste Macroéconomique et auteur d'un rapport sur la politique monétaire européenne pour le compte de la Fondapol.

Andrea Tuéni est Sales Trader chez Saxo Banque.

Kostas Vergopoulos est un économiste grec. Il est professeur à l'université Paris-VIII et expert auprès des Nations Unies et de l’Union Européenne. Il est l'auteur de "Mondialisation la fin d'un cycle" (Seguier, 2002).

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Atlantico : La BCE a lancé un ultimatum à Chypre en menaçant d'arrêter de fournir des liquidités à ses banques dès lundi si le pays ne parvient pas à trouver un accord sur le plan d'aide. Alors que la zone euro semblait aller mieux, la crise la menace-t-elle de nouveau ? La crise chypriote peut-elle faire couler l'Europe ?

Nicolas Goetzman : D’un point de vue strictement comptable, Chypre est une toute petite économie qui ne peut impacter la zone euro. Mais d’un point de vue politique et juridique c’est totalement différent. Il s’agit d’une jurisprudence, d’un exemple du sort réservé aux pays qui ne se conforment pas au règlement intérieur.

Si la solution de taxer les dépôts est retenue, vous entraînerez nécessairement des conséquences pour les États les plus fragiles aujourd’hui. Nous ne pouvons pas prévoir l’avenir, mais une telle décision ouvre toutes les possibilités. Elle peut entraîner une panique bancaire, même si la probabilité est faible, elle existe. Et c’est bien ce qui est insupportable, comment dix-sept ministres des Finances ont pu se mettre d’accord sur une telle solution, et ce à l’unanimité ? Cela signifie que le risque d’une panique bancaire a été accepté par tous pour permettre de ne pas se réformer.

Car l’origine du problème européen aujourd’hui, ce ne sont pas les dépôts russes mais notre politique monétaire. Comme nous ne voulons pas réformer, il faut que quelqu’un paye. Il se trouve que politiquement, l’oligarque russe est un bon client. Pas besoin de savoir si son argent est sale, la rumeur est suffisante, il est donc justifié de lui taxer ses comptes….

Andréa Tuéni : Il apparaît peu probable que la situation de Chypre même si elle venait à s’envenimer puisse bouleverser toute l’économie européenne. Cependant, les investisseurs se montrent nerveux pour deux raisons principales :

  • tout d’abord, il s’agit d’un changement de ton de la part de Berlin qui se montre beaucoup plus stricte en imposant un tel plan ;

  • de plus, le risque de voir ce plan adapté à d’autres pays tels que l’Espagne ou encore l’Italie implique un risque de défiance du système bancaire en Europe. Un "bank run" à Chypre pourrait se propager à d’autres pays où la situation des banques peut paraître préoccupante.

La crise en zone euro reste bien présente. Malgré l’euphorie des marchés depuis le début de l’année : hausse des indices, baisse des taux à 10 ans, succès des adjudications, les risques persistent et la situation de fond n’est pas réglée. Les élections italiennes ont été un premier avertissement. La situation de l’Espagne où les chiffres ne rassurent toujours pas doit être rappelée. Le cas de Chypre intervient à un moment où les marchés avaient besoin de souffler.

Kostas Vergopoulos : C’est élémentaire : toutes les grandes crises dans l’histoire ont résulté de causes dont on avait sous-estimé les conséquences. Pourquoi cette fois-ci en serait-il autrement ? Rien que la fermeture des banques à Chypre suffit pour attiser l’inquiétude des épargnants et des entreprises. A l’ouverture, il est à prévoir des bousculades, panique et fuites massives des liquidités. Si cela se confirme dans un pays de la zone euro, pourquoi la même chose ne risquerait elle de se passer dans les autres pays de la même zone ?

La panique est contagieuse et incontrôlable. La légèreté et l’imprévoyance de la gestion européenne d’un problème minuscule et à priori parfaitement gérable permettent de craindre le pire. Si chaque pays est "unique", comme l’admet le ministre allemand Schäuble, il faudra de l’autre côté une gestion européenne claire, prévisible et efficace. C’est cela qui n’apparaît pas pour l’instant et son absence constitue le principal facteur d’incertitude pour l’avenir de la zone euro.   

Quels sont les pays les plus exposés à la crise chypriote ? Comment expliquer que ce qui représente 0,2% du PIB de la zone euro puisse devenir autant systémique ?

Nicolas Goetzman : Uniquement par le fait que Chypre crée un précédent, une jurisprudence. Nous ne sommes pas dans un rapport comptable, mais une situation de droit. Chypre devient le laboratoire du traitement des mauvais élèves de l’euro. Les autres mauvais élèves regardent avec attention ce qui se passe avec le sentiment d’être les prochains sur la liste. 

Les pays concernés sont ceux qui sont les plus faibles aujourd’hui, la Grèce, l’Espagne, l’Italie etc. Mais le problème est bien là. La situation est imprévisible dans ses conséquencesL’Eurogroupe joue à tirer les yeux fermés, juste pour voir. Il s’agit du même raisonnement pour les investisseurs étrangers. Au regard de la situation chypriote, je ne suis pas convaincu que des avoirs extérieurs se précipiteront massivement dans la zone euro.

Andréa Tuéni : Les pays les plus en risque sont ceux qui présentent une situation budgétaire délicate et surtout ceux dont le secteur bancaire est fragile. En effet, le plan inédit proposé par l’Europe à Chypre pourrait provoquer un vent de panique à travers une crise de confiance qui pousserait les investisseurs à retirer leurs capitaux des banques ne les jugeant pas assez sûres. Il est important de rappeler que la confiance dans le système bancaire est un préalable nécessaire à la bonne tenue d’une économie.

Ce n’est pas la taille de Chypre mais davantage la décision prise par les créanciers européens qui représente un risque. Même si ces derniers affirment que c’est la situation particulière de l’île qui explique la mise en place de ce plan, le doute est permis pour les pays en difficulté et en attente d’un plan.

Kostas Vergopoulos : La crise chypriote n’est pas une crise de l’État chypriote, mais de ses banques. Avant tout, c’est une crise bancaire, tout comme en a connu l’Irlande, et sur le chemin de laquelle se trouve aussi le modèle de l’économie britannique. Il n’aurait pas pu être autrement, car Chypre copie son modèle non sur la Grèce, mais plutôt sur le monde anglo-saxon et le Royaume-Uni, sa métropole jusqu’à son indépendance en 1960. Cela se traduit par l’importance démesurée du secteur des services financiers.

Cependant, si ce secteur à Chypre est sept fois son PIB, il est douze fois le PIB des îles britanniques. Pourtant, la dette bancaire chypriote n’est que 85% du PIB, tandis qu’en Irlande elle est 110% du PIB. Le mécanisme de transmission de la crise grecque sur Chypre vient de l’exposition en Grèce des banques chypriotes et fut surtout l’effet de la suppression partielle de la dette grecque en février 2012, décidée et exécutée sous la supervision des autorités européennes.

L'Europe s'est-elle tirée une balle dans le pied en gérant le sauvetage chypriote de cette façon ? Comment comprendre qu'elle ait choisi de procéder ainsi ? Quelles ont été ses motivations ?

Nicolas Goetzman : La Zone Euro vient de montrer au monde entier ce dont elle est capable. Pierre Moscovici rappelait en sortant de la réunion "L’Eurogroupe a fait ce qu’il avait à faire." C’est-à-dire de vouloir résoudre un problème et d’arriver à la transformer en crise.

L’Europe s’interdit de faire le bon diagnostic pour des raisons idéologiques. Les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni ont tous fait leur mea culpa en proposant de modifier leur politique monétaire. En Europe, nous sommes persuadés que notre méthode est la bonne. Le résultat est que la zone euro affiche le niveau de chômage le plus élevé et la croissance la plus faible.

Tant que le diagnostic monétaire ne sera pas admis, nous pouvons attendre encore des expérimentations telles que nous le voyons à Chypre. Le tout est de savoir ce qui va mettre fin à cette absurdité, parce qu’il ne s’agit même plus de raisonnement économique mais bien d’une position de principe.

Andréa Tuéni : Nous sommes dans une année d’élection en Allemagne. De ce fait, la chancelière allemande, Angela Merkel, se doit de prendre des positions plus sévères face à la crise des pays périphériques et se montrer ferme pour séduire son électorat.

L’un des enseignements que l’on peut en tirer est que la ligne de conduite de l’Allemagne s’est endurcie. Angela Merkel doit faire preuve de fermeté en ces temps où les électeurs lui reprochent de s’être montrée trop complaisante avec les pays européens non rigoureux.

Kostas Vergopoulos : Aujourd’hui, l’Eurogroupe, après avoir poussé les banques chypriotes au bord du précipice avec le "haircut" de la dette grecque, s’imagine "sauver" ces banques en mobilisant leurs propres dépôts.

Or cette idée n’est pas sage : on ne sauve pas quelqu’un en train de se noyer sous le poids de ses dettes en se basant sur ses avoirs qui sont par définition insuffisants. Cela, n’améliore pas la confiance envers les établissements bancaires, mais au contraire aggrave encore plus leur situation d’insolvabilité.  

Si la décision de taxer l’épargne cherche à faire payer les Russes, elle s’est avérée extrêmement malheureuse, car ces derniers ne possèdent pas plus de 30% de l’épargne chypriote, les 70% appartenant aux citoyens de l’île et membres de l’Union européenne. Si le modèle économique chypriote est considéré comme "malsain", à cause de l’hypertrophie des services financiers et de la forte participation russe, on ne le corrigera pas par voie de démolition et d’écrasement, mais graduellement, par la négociation et la coopération.

La décision de l’Eurogroupe de taxer l’épargne, même avec les meilleures intentions, a été perçue par les Chypriotes comme une offense à leur dignité de citoyen. Punir les Chypriotes dans le but de punir ainsi indirectement les Russes : cela a été perçu comme méprisant et malsain.

Le pays est-il victime d'un lynchage de ses partenaires européens là où ces derniers n'avaient pas hésité, sous l'imposition de conditions, à sauver la Grèce ? Chypre paye-t-elle le prix fort des inconséquences grecques ?

Nicolas Goetzman : Chypre paye le fait d’être si petit que l’on considère que ce pays puisse devenir une sorte de cobaye. Ce qui est indigne, c’est la présentation de Chypre. Pour justifier l’injustifiable, il est dit que c’est une économie mafieuse, un paradis fiscal, une sorte de honte collective. Jusqu’à preuve du contraire, Chypre a été intégré à la zone euro, la réglementation européenne n’a en rien empêché la financiarisation totale de son économie, alors je ne vois pas au nom de quoi nous pourrions avancer des arguments moralisateurs. 

L’idée de L’Europe c’est d’être ensemble. Les déclarations des membres de l’Eurogroupe sont spectaculaires pour qualifier l’économie chypriote, ce n’est pas très "vivre ensemble" comme ambiance. Nous parlons d’une Europe fédérale, mais la réalité est un peu différente.

Andréa Tuéni : La petite taille de Chypre permet peut-être aux décideurs politiques de s’en servir comme exemple. D’une manière plus globale, il ne s’agirait pas de la première erreur des décideurs européens. La faillite maquillée de la Grèce provoquant des étés chauds sur les marchés en 2010 et 2011 n’aura pas non plus été d’un grand enseignement.

Depuis le début de la crise, les décideurs politiques cherchent à gagner du temps en inondant les marchés en liquidité sans pour autant s’attaquer aux problèmes de fond. La dégradation de la situation de la Grèce explique les difficultés que connaît aujourd’hui Chypre. Les liens économiques entre ces deux économies expliquent en partie la décision de la troïka.

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