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Pologne : l’Union européenne totalement démunie face à la dérive autoritaire du gouvernement
©Reuters

Libertés

Le parti conservateur et eurosceptique au pouvoir en Pologne, le PiS, tente de s'accaparer les leviers du pouvoir. Si l'Union européenne est impuissante face à cette dérive autoritaire, la baisse du popularité du PiS montre ses limites et renforce l'opposition.

Frédéric Zalewski

Frédéric Zalewski

Frédéric Zalewski est maitre de conférences de Science politique à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Il est membre de l’ISP (Institut des Sciences Sociales du Politique, CNRS).

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Atlantico : Depuis sa victoire aux élections d'octobre dernier, le PiS de Jaroslaw Kaczynski tente de s'accaparer tous les leviers du pouvoir. Notamment en adoptant une législation pour museler la presse, et en tentant de saper l'action de la Cour constitutionnelle. Peut-on craindre une dérive autoritaire? Jusqu'oû peut-elle aller?

Frédéric Zalewski : On peut en effet la craindre, puisqu’elle a déjà commencé. La presse polonaise d’opposition résume ce qui s’est produit depuis l’arrivée au pouvoir du PiS par l’idée d’une atteinte à la séparation des pouvoirs. Le président Duda a usé de son droit de grâce pour clore une procédure judiciaire contre un ministre du gouvernement PiS, Mariusz Kaminski, poursuivi pour des faits remontants aux années 2006-2009, alors qu’il dirigeait une agence publique de lutte contre la corruption. Les manœuvres autour du Tribunal constitutionnel sont complexes d’un point de vue juridique, mais limpides politiquement : il s’agit d’en limiter à la fois l’indépendance et le champ d’action, dans une logique de présidentialisation du régime. Le PiS prétend que les décisions de la précédente majorité dans ce domaine visaient à l’empêcher d’agir en « politisant » le Tribunal, mais c’est un aveu : pour mettre en œuvre certains de ses projets, le PiS doit l’affaiblir.

La reconfiguration des institutions n’est cependant pas le seul but du PiS : ce parti cherche à créer les conditions d’une action plus large de « restauration conservatrice », passant par des lois sur l’école, les médias (censés être « nationaux ») ou par la mise au pas de la création artistique. Le nouveau ministre de la Culture, Piotr Glinski, s’est déjà illustré par des critiques contre la programmation du théâtre de Wroclaw, qui accueillait un spectacle dont il jugeait le contenu « pornographique ». Tout ceci ne donne cependant qu’un faible aperçu du style rhétorique du nouveau gouvernement, dont une illustration est fournie par un discours de Beata Szydlo, la chef du gouvernement, ce mardi à la Diète, lequel n’était qu’une succession de mises en accusation et de tentatives d’intimidations de l’ancienne majorité, entrecoupées d’applaudissements nourris dans les rangs de la majorité. Jusqu’où ira le PiS ? Pour l’instant, ce parti est déterminé. La référence est explicitement la Hongrie de Viktor Orban. Mais le PiS ne dispose pas à lui seul de la majorité qui lui permettrait de changer la Constitution. Et l’opposition, quoique divisée et affaiblie, en proie à une absence de leadership clair, reste puissante et l’a montré le 12 décembre lors des marches pour la démocratie. Et par ailleurs, les médias libéraux restent influents, ce qui d’ailleurs est à l’origine des attaques dont ils sont l’objet de la part du PiS.

Martin Schultz, président du Parlement européen, évoquait lundi un "coup d'Etat" en Pologne. Que peut faire l'UE pour défendre les droits fondamentaux? Doit-elle accepter cette nouvelle donne politique ?

L’Europe est démunie pour contrer ces évolutions politiques, du moins dans leurs grandes orientations. Et ce d’autant plus qu’elle en pleine crise de gouvernance et de projet politique, avec les effets d’opportunité que cela crée pour des leaders politiques eurosceptiques. En Pologne, certains organes de presse n’ont pas hésité à écrire, au plus fort de la crise des réfugiés, que Viktor Orban avait « sauvé l’Europe ». Rappelons aussi le précédent autrichien, qui s’était retourné contre la France, lorsque le FPÖ était arrivé au gouvernement en coalition avec les conservateurs en 1999. Mais l’Europe n’est pas monolithique, la question est de savoir quelles forces politiques sont disposées à se mobiliser. Martin Schultz monte en effet en première ligne, en ayant réuni la conférence des présidents du Parlement européen, laquelle a inscrit la situation polonaise à l’ordre du jour des débats pour janvier prochain. Le PiS a logiquement réagi par la victimisation et la dénonciation du caractère partisan de cette décision. Une résolution rappelant la Pologne au respect de l'équilibre des pouvoirs est possible, mais elle serait risquée, car le précédent hongrois a montré que les dirigeants eurosceptiques parvenaient à reconvertir en ressources politiques ces mises en garde adressées à leurs gouvernements. 

Sur le plus long terme, on peut noter que les arènes européennes ont été un terrain de légitimation paradoxal de certains aspects de ces tournants néo-conservateurs, notamment s’agissant des lois mémorielles condamnant le communisme. Celles-ci ont été un puissant levier pour fédérer les droites nationales-conservatrices et mobiliser les opinions à l’Est de l’Europe, mais elles ont également trouvé des traductions politiques dans les arènes européennes, où les dispositifs de gestion du passé ont été valorisés parce qu’ils ont été perçus comme une urgence face à des passés traumatiques gelés pendant la période communiste. Ces politiques destinées à doter l’Europe de récits historiques partagés et apaisés sont louables, mais elles ont aussi servi à la configuration de ce que les Anglo-saxons appellent identity politics. On constate du reste que c’est l’ensemble du projet européen qui est fragilisé par ces politiques de l’identité, partout en Europe.

La politique du PiS se rapproche de celle du Fidesz de Viktor Orban, en Hongrie. Leur ligne idéologique est-elle vraiment la même ? Plus largement, les partis conservateurs eurosceptiques séduisent l'est de l"Europe. Comment l'expliquer ? 

Le PiS et la Fidesz ont ceci en commun de s’alimenter, historiquement, dans un refus des règles du jeu établies au début de la période post-communiste. Dans ces deux pays, les communistes ont  joué un rôle actif dans le basculement vers la démocratie,. Conséquencen :  leurs héritiers politiques se sont maintenus dans le jeu démocratique sous forme de partis socio-démocrates à l’européenne. Or, pour la droite radicale polonaise, ces processus étaient en soi un déni de démocratie et de justice historique. Si les Kaczynski ont poussé à l’accord avec les communistes quand ils conseillaient Lech Walesa en 1989, c’est aussi Jaroslaw qui lui a inspiré son mot d’ordre d’accélération des changements  (décommunisation)  pour sa campagne présidentielle de 1990. Et ce consensus minimal sur les règles du jeu en 1989-90 ne s’est jamais véritablement transformé en accord substantiel par la suite. Lors de son précédent passage au pouvoir en 2005-2007, le PiS voulait instaurer une IVe République, par exemple.

Tout  le discours de la droite radicale se fonde sur l’idée émise au début des années 1990 que la Komuna s’est maintenue après 1989 - ce terme difficile à traduire de Komuna suggère que des pans entiers des réseaux de pouvoir politique et économique du régime communiste ont perduré après 1989. Ce discours a évolué, s’est adapté. Mais son principe organisateur est resté le même, centré sur cette idée d’atteinte aux droits historiques de la nation polonaise après une chute du régime communiste pilotée par les communistes et leurs amis de l’opposition, ce qui serait à l’origine de toutes les corruptions (politiques comme morales). Mais pour en revenir à l’Europe, les discours eurosceptiques, ou même europhobes, se portent bien un peu partout, pas spécialement en Europe centrale et orientale. Ce qui est spécifique à ces pays, c’est la faible socialisation aux projets originels d’intégration politique, notamment de leurs élites. De plus, pour la Pologne, l’entrée dans l’UE est de l’ordre de la réparation de la partition de l’Europe après 1945. Certaines forces politiques, par le passé, ne se sont pas cachées de leur rapport très utilitaire à l’entrée dans l’UE, pour avoir accès aux fonds structurels.

A la différence de la Hongrie, la société civile polonaise est très organisée et pro-européenne. Peut-elle être un rempart contre la dérive autoritaire ? 

La société polonaise a en effet appris à se mobiliser, parfois massivement, depuis les années 1980, mais souvent sous forme disruptive, avec des manifestations, des grèves, des barrages routiers. Les marches pour la démocratie du 12 décembre l’illustrent une fois encore. Mais le problème réside dans le leadership politique et le débouché institutionnel de ce potentiel de mobilisation. Les marches du 12 décembre résultent en grande partie de la création d’un Comité pour la Défense de la Démocratie (Komitet Obrony Demokracji, KOD), lancé sur Facebook en novembre dernier, qui avait réuni près de 25000 followers en trois jours. Cette mobilisation est le fruit d’une hybridation entre les réseaux sociaux et les répertoires d’action protestataires issus du communisme. Le KOD appelle à manifester à nouveau dès le 19 novembre. Dans le champ politique, cette conjoncture semble plutôt bénéficier au parti « Moderne », dirigé par Ryszard Petru, mais il s’agit là d’un parti très récent, créé pour les élections de 2015 et dont le positionnement initial, très libéral, n’était pas tout à fait la mobilisation de masse de la société polonaise dans des manifestations. Dans l’immédiat, ces évolutions autoritaires me paraissent pouvoir être tempérées par une combinaison entre l’affaiblissement de la popularité du PiS (déjà nette dans les sondages, aussi bien dans les intentions de votes que dans la cote de confiance de Duda, en chute de vingt points ), les limites de son unité face à des dérives trop évidentes et l’attractivité renouvelée de l’opposition.

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