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Droite et gauche, petit dictionnaire des trahisons politiques
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Judas

De droite, de gauche... pour certains hommes politiques, il s'agit plus de pouvoir et d’opportunité que de conviction et de moralité.

Isabelle Fringuet-Paturle

Isabelle Fringuet-Paturle

Journaliste et française de l'étranger. Elle a cofondé le groupe Planet SA.

Ses derniers livres : Petit guide de survie dans la crise au quotidien (Roularta L'Express) et Tintin est-il de gauche ? Astérix est-il de droite ? avec Jérémy Patinier (Editions de l'Opportun)

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"Je me lève aussi facilement du pied gauche que du pied droit : je ne fais pas de politique."
Francis Blanche, Pensées, répliques et anecdotes

Tourne-veste, girouette, transfuge, Judas… Les termes ne manquent pas pour désigner ces politiques qui n’hésitent pas à passer d’un bord à l’autre. Ne poussons pas l'ignominie jusqu'à remonter à l'aube de l'humanité, en fait de la chrétienté, pour recenser le premier virement de bord… Bon, allez, si mais vite fait. Le premier à avoir tourné sa veste serait donc un certain Judas. Fidèle compagnon de Jésus, il n'a pas résisté aux sirènes des Romains et aurait facilité l’arrestation du fils de Dieu par les grands prêtres qui le livrèrent illico presto à Ponce Pilate. Damned, on connaît la suite…

C'est d'ailleurs depuis cette histoire qu'il est bien difficile de passer d'un camp à l'autre sans être montré du doigt. Mais bon, il faut parfois se faire une raison, surtout quand on a faim, ou plutôt soif… de pouvoir.

Il semblerait que le "retournement de veste" ou le fait de "tourner casaque" remonte à loin. D’aucuns trouvent son origine dans les guerres de la Réforme quand catholiques er religionnaires portaient les casaques de l’autre camp pour se préserver ou pénétrer chez l’ennemi… L’historien Gilles Henry en relate une autre origine dans son Petit Dictionnaire des expressions nées de l’Histoire : à la fin du XVIe siècle, Charles-Emmanuel de Savoie, Prince de Piémont, (réputé ambitieux sans scrupules…) voulait absolument être roi et s’alliait donc avec la France ou l'Espagne au gré des opportunités en retournant sa casaque blanche d'un côté (couleur de la France) et rouge de l'autre (couleur de l’Espagne)… Nota, triste nota, il ne fut jamais roi…

Quoi qu’il en soit, cela signifie changer d'opinion, et donc de camp, prestement et de manière intéressée. Cela désigne donc familièrement une personne changeante, inconstante, versatile dans ses opinions ou ses avis : bref, en un mot comme en cent, cela désigne une girouette politique. Mais attention, honni soit qui mal y pense, d’ailleurs Edgar Faure n’affirmait-il pas : Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent !
Et l’histoire politique de France est farcie de "girouettes".

Panoram'alphabetdes tourne-casaques !

Eric Besson, secrétaire d’Etat chargé de la Prospective et de l'Évaluation des politiques publiques est probablement le plus spectaculaire retournement de veste de l’ère Sarkozyste. Cet ex (très) poche de François Hollande –Daniel Vaillant considère d’ailleurs qu’il s’en est allé avec Sarkozy car "il savait qu’il n’aurait pas eu de ministère avec Ségolène Royal", (Le Fou du roi, France Inter, le 6 mai 2011)– a mis plus d’une rate au court bouillon. L’ex secrétaire national à l'Economie du PS a été hué par ses ex pairs, montré du doigt dans tous les médias et chahuté par les humoristes de tous poils. Mémorablement par Stéphane Guillon qui l’a qualifié "d’antipathique" avec "des yeux de fouine, un menton fuyant. Un vrai profil à la Iago", . Il a par ailleurs étérécompensé du "Gérard de la personnalité politique géographiquement contrariée" lors de la 1ère édition des Gérard de la politique en mai 2011.

Jean-Marie Bockel, ex-PS, Secrétaire d'État chargé de la Coopération et de la Francophonie dans le gouvernement Fillon II, de mars 2008 à juin 2009.

Georges Clémenceau socialiste et révolutionnaire et "premier flic de France"  fini par envoyer la troupe sur les grévistes le 20 mars 1906…

Marcel Déat, journaliste et député socialiste devint fervent pétainiste et ministre du maréchal une fois la guerre venue.

Un certain Jacques Doriot, communiste et anti fasciste des années 30 devint un collaborateur nazi et mourut sous l’uniforme de la Wehrmacht en 45.

Faure, Edgard de son prénom, radical plusieurs fois ministre, dont de Charles de Gaulle en 1965 qu’il avait rallié auparavant à Alger, a aussi été "missionné" par un François Mitterrand socialiste pour la célébration du bicentenaire de la Révolution…

Bernard Kouchner, ex-PS, secrétaire d'État et ministre  de l'Action humanitaire et de la Santé au sein des gouvernements socialistes de Michel Rocard, Édith Cresson, Pierre Bérégovoy et Lionel Jospin, et ministre des Affaires étrangères et européennes des gouvernements François Fillon I et Fillon II au titre de "l'ouverture" de 2007 à 2010.

Brice Lalonde, d’abord PSU, il sera fondateur de Génération écologie sous la houlette de François Mitterrand pour freiner les Verts et nous en fera voir de toutes les couleurs (couleuvres ?) : deux fois secrétaire d’Etat de Michel Rocard, ministre sous Cresson, il associera son parti à Démocratie libérale et sera élu sur une liste d'union UDF-RPR-GE aux législatives de 1998  en Ille-et-Vilaine. Il soutiendra enfin Chirac en 1995 et de guerre lasse, quittera la politique (et Génération écologique) en 2002…

Pierre Laval, membre de la SFIO et semble-t-il inscrit au "Carnet B", liste des militants de l’extrême-gauche pacifiste et outil de surveillance des "suspects", français ou étrangers, sous la Troisième République en France créé en 1886 par Boulanger, deviendra un farouche anti socialo-communistes au fur et à mesure qu’il… s’enrichira. Il sera nommé chef du gouvernement du régime de Vichy par le Maréchal en 1942 et orchestrera la politique de collaboration de la France avec l’Allemagne : "Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que sans elle le bolchevisme, demain, s’installerait partout". Ilparticipera à la persécution antisémite et sera fusillé en octobre 1945…

Le jeune François Mitterrand, brillant orateur (déjà !) a eu une jeunesse quelque peu obscure, n’en déplaise à ses fans, car marquée par des accointances et des actes franchement teintés à droite : Volontaires nationaux, mouvement de jeunesse de la droite nationaliste des Croix-de-feu du Colonel de La Rocque (mouvement anti socialistes et autres communistes). On note encore qu'il a manifesté contre "l'invasion métèque" en 35, contre le professeur de droit Gaston Jèze, qu'il a été conseiller juridique du Négus d'Éthiopie en 36. Il aurait aussi eu des relations avec des membres de La Cagoule… Mais on sait surtout qu'il a été contractuel  de l’administration de Vichy et décoré de la francisque par Pétain, et qu'en 1946, il s'est présenté aux Législatives sous les couleurs du  Rassemblement des gauches républicaines, un parti classé à droite.
Il faudra attendre la guerre d’Algérie et surtout sa farouche opposition au Général de Gaulle pour qu’il s’affirme résolument à gauche et incarne désormais le destin qu’on sait.

Jean-Luc Roméro. Connu pour avoir été  le premier homme politique français à révéler sa séropositivité au VIH/SIDA en 2002, il a été secrétaire national de l'UMP durant deux ans, puis secrétaire national du Parti radical valoisien et ancien président-fondateur du parti Aujourd'hui, autrement de 2004 à 2008. Conseiller régional d’Ile-de-France depuis 1998, il siège aujourd’hui au groupe PS de la Région Ile-de-France en qualité d'apparenté. Après avoir annoncé son ralliement à une liste du Parti Socialiste le 7 décembre 2009, il a été réélu sur la liste parisienne conduite par Anne Hidalgo dans le cadre de la campagne de Jean-Paul Huchon… Revirement souligné par La république des lettres (08/12/2009) : "à droite depuis plus de 25 ans, [Jean-Luc Roméro] a décidé de changer de couleur politique… ". C'est joli dit comme ça.

Jean-Pierre Soisson, un artiste exceptionnel du politique paso doble : un pas à droite, un pas à gauche et encore un pas à droite. Celui-là, qui a par ailleurs démarré sa carrière aux côtés d’Edgar Faure…, sera ministre à droite, ministre à gauche puis député à droite.
Son successeur à la présidence du Conseil régional de Bourgogne, François Patriat (PS), louera  son "sens de l’adaptation" lors de la passation de pouvoir en janvier 2011 après qu’il ait décidé d’abandonner la politique.
Co-fondateur du PR et ministre de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs de Raymond Barre, il sera un symbole de "l’ouverture" version 1.0 avec Jean-Marie Rausch au Commerce extérieur et Hélène Dorlhac secrétaire d’Etat à la Santé. Il sera ministre du Travail du gouvernement Rocard, de la Fonction publique d’Edith Cresson et enfin de l’Agriculture de Pierre Bérégovoy.a toujours revendiqué être partisan d’une "démocratie apaisée", refusant d’être "l’homme de l’affrontement". Pour preuve, il sera réélu à la présidence du Conseil régional de Bourgogne en 1998 grâce aux voix du FN puis deviendra député de l’Yonne en 2007 sous les couleurs de l’UMP…


Olivier Stirn, arrière-petit neveu d'Alfred Dreyfus, ancien ministre, a d'abord été UDR, puis RPR. En 1977, il créée le Mouvement des sociaux-libéraux qui ralliera plus tard l’UDF. En 1984, il créée l’Union centriste et radicale (UCR) qui ralliera le MRG puis s’alliera au PS. C'est une destinée : le Canard Enchaîné le surnommera d'abord "l'Andouille de Vire"  puis l'Andouille de Vire à gauche". Tête de liste socialiste de la Manche en 1986, il sera ministre "d’ouverture" de Rocard pour rejoindre ensuite le MDR de Jean-Pierre Soisson en 1994 et enfin annoncer son soutien à Jacques Chirac en 1995.
En 2004, il publie Mes Présidents. Normal, il a été de tous les partis présidentiels des six présidents de la Ve République. C’est dans cet ouvrage que ce "gaulliste de gauche" comme il aime s’auto qualifier exprime son soutien à Nicolas Sarkozy. Bien vu, il deviendra secrétaire national de l'UMP en charge de la diversité en 2007 et conseiller de la présidence de la République pour l’Union pour la Méditerranée en 2009…

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Tintin est-il de gauche ? Astérix est-il de droite ?Editions de l'Opportun (2 février 2012)

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