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Plus mauvais chiffres trimestriels de l’emploi salarié depuis 3 ans : pourquoi le gouvernement devrait se concentrer sur les effets réels du ralentissement de la croissance en France
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Aïe !

Avec 31 000 emplois créés au cours de ce deuxième trimestre 2018, l’économie française avance son plus mauvais chiffre depuis le troisième trimestre 2015, soit depuis plus de 3 ans. Ainsi, le rythme de création d’emplois a chuté de plus de 70% comparativement au dernier trimestre 2017.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Si les derniers chiffres de la croissance ont pu inquiéter sur la question budgétaire, ne devrait-on pas plutôt s’alarmer de leur impact sur l'emploi ? Un tel niveau de création d’emplois peut-il suffire à intégrer la croissance de la population active ?

Michel Ruimy : Nous observons un dynamisme qui contraste avec la situation morose du chômage dont le taux est toujours élevé : sur 1 an, environ 240 000 emplois ont été créés dans le secteur privé (+1,3%). Hors intérim, ce chiffre s’établit à un peu plus de 185 000 alors que le taux de chômage reste à un peu moins de 9% de la population active.

En fait, les liens entre croissance économique, créations d’emplois et baisse du chômage ne sont pas évidents même si, on constate que, dans un environnement où la croissance économique se ralentit, la capacité d’une économie à absorber la population active est moindre.

Par ailleurs, pour savoir s’il y a une amélioration sur le front du chômage, il faut tenir compte, plus spécifiquement, du chiffre de l’emploi salarié marchand - et non du nombre d’emplois total créés qui inclut les créations d’emplois dans le secteur public - car il traduit le nombre d’emplois créés spontanément par les entreprises. C’est pourquoi, il est une donnée importante de la situation macroéconomique d’un pays. Il est, en quelque sorte, le vrai thermomètre de l’activité économique.

Ceci étant dit, le retour de la croissance (+0,7% en 2017 T4, puis +0,2% en 2018 T1 et en 2018 T2) a encouragé un grand nombre de personnes à reprendre des démarches de recherche de travail. Mais, pour que le taux de chômage baisse, il faut que les créations d’emplois dépassent l’augmentation de la population active. Or, en moyenne, il y a, chaque année, environ 800 000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail lorsque 650 000 seniors en sortent. L’économie française doit donc créer annuellement 150 000 postes pour que le chômage n’augmente pas, plus si on veut qu’il baisse. 

Ce seuil n’a été franchi progressivement qu’à la fin 2015. Avant cela, la France créait certes des emplois mais insuffisamment. La nette accélération des créations d’emplois salariés observée en 2017 incitait donc à l’optimisme puisque près de 300 000 emplois ont été créés, situation qu’on n’avait plus observée depuis 15 ans.

Cette année, la création nette d’emplois marchands a encore diminué au second trimestre : +31 000 après +46 000 en 2018 T1 contre plus de 112 000 en 2017 T4. Cette baisse du nombre d’emplois créés au premier semestre 2018 (+77 000 contre +190 000 pour les 6 premiers mois de l’année 2017) était attendue compte tenu de la fin de la prime à l’embauche dans les PME et de la diminution du nombre de contrats aidés. Ce sentiment est d’autant plus renforcé qu’aujourd’hui, les créations d’emploi sont toujours tirées par les contrats précaires, à commencer par l’intérim, ce qui explique la faible et lente décrue du chômage. 

Pendant longtemps, l’intérim a été un indicateur avancé de la situation du marché du travail : dès que la conjoncture s’améliorait, les emplois intérimaires étaient transformés en emplois durables. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le marché du travail est devenu beaucoup plus flexible. Il n’y a jamais eu autant de CDD courts et de contrats d’intérim. Cette situation est devenue la norme. Dès lors, les intérimaires dont le contrat n’est pas renouvelé sont parfois contraints de repasser par une période de chômage avant de retrouver un emploi. Une situation qui durera tant que les contrats longs et sécurisés n’auront pas retrouvé leur place d’avant la crise.

On peut également constater qu’après une reprise des emplois industriels lors du dernier trimestre 2017, la tendance négative a pu reprendre son cours. Quelles sont encore les efforts à réaliser pour permettre une reprise durable des emplois du secteur industriel français ?

Depuis près de 20 ans, on avait presque fini par s’habituer aux annonces de plans sociaux dans l’industrie. 

Or, les chiffres du marché de l’emploi de 2017 nous ont laissé imaginer la fin de la désindustrialisation, un phénomène qui a détruit des centaines de milliers de postes. A la fin de l’année dernière, on pensait que ce processus arrivait en fin de course, qu’une ré-industrialisation se profilait même si ce n’est, au final, qu’environ un millier d’emplois qui ont fait la différence. 

Ainsi, nous étions, pensions nous, peut-être, en présence d’un secteur industriel en convalescence à la condition que l’optimisme des dirigeants d’entreprise, qui ont reconstitué leurs marges, se confirme et qu’il débouche sur des embauches effectives, ce qui suppose que les chefs d’entreprise trouvent du personnel disposant des compétences répondant à leurs besoins. Cette situation restait donc fragile et devait se confirmer.

Cette année, après un premier trimestre équilibré, l’emploi salarié privé s’est replié, au second trimestre, de -0,1% soit une perte d’environ 4 000 emplois. Le problème est que la compétitivité de nos PME - PMI reste faible en raison, notamment, d’une automatisation insuffisante : la France compte 4 fois moins de robots que l’Allemagne. Pour remédier à cette situation, l’investissement des entreprises doit être plus vigoureux d’autant que nous sommes encore dans un contexte de faible niveau de taux d’intérêt. Pour combien de temps ? 

Mais, si les industriels investissent de nouveau, ils risquent vraisemblablement de s’orienter davantage vers l’achat de robots que vers la création d’emplois. Dans ces conditions, il y a peu de chances que l’on retrouve un haut niveau d’emploi dans l’industrie dans les années qui viennent. 

Face à l’essor de la robotique, les pouvoirs publics doivent, en particulier, privilégier des politiques incitatives visant à encourager les entreprises à investir dans la formation et / ou accroître leur financement pour l’éducation technique.

Ce mercredi 8 août, la Banque de France annonçait une prévision de croissance de l’ordre de 0,4% pour le troisième 2018. Dans le cas où cette anticipation venait à se réaliser, que pourrait-on en attendre en termes de créations d’emplois ? 

Une hausse du Produit intérieur brut peut-elle faire baisser le chômage ? Ou autrement dit : a-t-on atteint un taux de chômage « structurel » en dessous duquel il est plus difficile de descendre hors de la conjoncture ? 

Il ne faut pas, pour l’instant, uniquement compter sur la croissance pour plusieurs raisons : tout d’abord, du fait des difficultés croissantes des entreprises en matière de recrutement et ensuite, parce que la croissance française de ces derniers mois a été soutenue par un contexte mondial favorable, ce qui est moins le cas depuis le début de l’année.

Fin 2017, 50% des entreprises déclaraient rencontrer des barrières pour embaucher davantage et un peu plus de 30% évoquaient le manque de main-d’œuvre compétente disponible. Même si le manque de personnes qualifiées n’est pas la seule cause, Pôle emploi estime la quantité de postes non pourvus entre 200 000 et 330 000. En fait, ces difficultés de recrutement ne sont pas forcément liées à un chômage structurel, mais davantage à une multiplication des recrutements.

Pour résoudre ce problème et amplifier une croissance plus riche en emplois, il faudrait poursuivre les efforts structurels de réforme du marché du travail c’est-à-dire d’une part, repenser la formation professionnelle, qui doit permettre d’adapter les compétences aux besoins des entreprises et d’autre part, répondre aux difficultés de recrutement en améliorant la qualité des contrats proposés c’est-à-dire en limitant le recours aux CDD et en revoyant l’assurance-chômage. 

Dans ces conditions, une baisse sensible du chômage ne pourra être attendue au mieux qu’en 2019. 

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