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Plus de travail et moins de sommeil qu’il y a 50 ans ? Une étude détonante démontre que nos vies modernes ne sont pas aussi pressées qu’on le croit
©MARTIN BUREAU / AFP

Ultra moderne paressitude

Dans un ouvrage publié jeudi et intitulé Ce que nous faisons vraiment tous les jours, les professeurs Jonathan Gershuny et Oriel Sullivan de l'UCL constatent qu'au cours des cinq dernières décennies, le temps consacré par les Britanniques au travail rémunéré ou non a diminué.

Laurent Lesnard

Laurent Lesnard

Laurent Lesnard est directeur de recherche CNRS à l’Observatoire sociologique du changement (CNRS-Sciences Po). Ses recherches portent sur le temps des sociétés contemporaines, et plus particulièrement sur les questions d'horaires de travail individuels et conjugaux.

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Atlantico : Dans un ouvrage publié jeudi et intitulé Ce que nous faisons vraiment tous les jours, les professeurs Jonathan Gershuny et Oriel Sullivan de l'UCL constatent qu'au cours des cinq dernières décennies, le temps consacré par les Britanniques au travail rémunéré ou non a diminué. Les conclusions que les deux auteurs tirent de cette étude, à savoir que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'on travaille en réalité moins qu'il y a cinquante ans, sont-elles surprenantes et novatrices ?

Laurent Lesnard : Il y a plusieurs effets qui se combinent. Si le nombre d'heures de travail rémunéré effectué a diminué, c'est avant tout parce qu'il y a plus de chômage. De même, le travail à temps partiel a également fortement augmenté, notamment chez les femmes, un temps partiel imposé généralement. C'est souvent lié à des formes de services : c'est là où l'on trouve le plus de temps partiels en contrats. Cela concerne la tendance générale : la diminution moyenne du temps de travail.

Il y a une autre tendance qu'on ne voit pas et qui est liée à l'allongement de la durée des études. Il y a moins d'heures de travaillées à l'échelle de la société mais elles sont davantage concentrées à certaines périodes de la vie et de manière assez inégale. On sait en effet que les professions supérieures et les cadres travaillent plus que d'autres types de salariés. Gershuny avait d'ailleurs montré dans son précédent ouvrage que, il y a quarante ans, les ouvriers travaillaient plus d'heures que les cadres, tendance qui s'est progressivement inversée. Quand on regarde l'évolution moyenne, on ne le voit cependant pas.

Comment expliquer que la diminution du temps consacré au travail rémunéré ait entraîné une diminution proportionnelle du travail non rémunéré (tâches ménagères) ? Ces critères permettent-ils encore de comprendre l'allocation du temps dans la société moderne ?

La diminution du temps de travail non rémunéré tient surtout à la diminution du travail non rémunéré des femmes. Il y a plusieurs pistes pour expliquer l'évolution. Sans doute y a-t-il une attention aux niveaux de rangement, de propreté moins élevée. Dans les couples de vie active, quand les deux personnes travaillent, cela change la donne lorsque quelqu'un est à son domicile toute la journée et que, d'un jour à l'autre, il travaille à l'extérieur. De plus, il y a de plus en plus de produits d'équipements nouveaux qui font gagner du temps, en tout cas d'en passer moins dans les tâches ménagères. C'est un mélange de tous ces facteurs qui fait que le travail non-rémunéré a diminué, en particulier pour les femmes. Et comme les hommes en font un peu davantage, il y a une convergence dans la répartition du temps de travail entre les membres du couple.

Cette étude ne montre-t-elle pas que le travail rémunéré est devenu dans nos sociétés un marqueur social moins important qu'il a été par le passé ?

Dans un de ses articles, Gershuny parlait du travail comme d'une marque d'honneur. Il montrait qu'au début du capitalisme, il était prestigieux de ne pas travailler et de faire travailler les autres. Le travail est progressivement devenu une marque de prestige : sortir tard du travail, avoir de longues heures est de plus en plus valorisé socialement. De ce point de vue-là, le travail non-rémunéré est de fait moins valorisé : il vaut mieux, pour une question de prestige, payer les autres pour le travail domestique.

Pourquoi y a-t-il dans ce cas l'impression que l'on travaille plus aujourd'hui qu'avant, dans une "société accélérée", alors même que cette étude montre le contraire ?

 J'ai un peu de problème avec ces théories de l'"accélération". L'"accélération" concerne certaines personnes qui, de fait, travaillent beaucoup et sont très sollicitées. Objectivement, il y a bien pour ces personnes une intensification : cela concerne les plus diplômées et intellectuelles. Il y a typiquement une concentration du travail sur certaines catégories qui ont tendance à voir dans les théories de l'"accélération" d'Hartmut Rosa une vérité qui concerne tout le monde. Avec internet, les emails, les smartphones, on est potentiellement sollicité à tout moment : il n'y a plus de distinction entre travail et loisir. Il y a donc un effet psychologique commun qui fait qu'on a une charge mentale différente. Tout le monde ne travaille pas intensément, cela concerne seulement certaines catégories de population. C'est encore une fois très corrélé à la classe sociale, qui dépend elle-même du niveau d'étude etc.

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