Plans de relance européens : mais qu'y aura-t-il vraiment dans les éco-systèmes que veut construire Bruxelles ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Commission européenne Thierry Breton
Commission européenne Thierry Breton
©KENZO TRIBOUILLARD / POOL / AFP

Projet européen

Dans sa proposition d'un plan de relance européen, Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, a présenté sa stratégie pour l'Europe : rassembler tous les acteurs d’un même secteur dans un "éco-système". Comment s'articule exactement les quatorze éco-systèmes industriels en voie de construction à Bruxelles ?

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Vous avez été le premier à recommander, dans le cadre de deux rapports l’un général pour le gouvernement français, « le nouvel impératif industriel » il y a huit ans et l’autre sectoriel pour la commission européenne «Towards European Media sovereignty, a industrial strategy to leverage data, algorithms and artificial intelligence » il y a peu, la création d'écosystèmes industriels, notamment en ce qui concerne les industries culturelles et créatives. Cette idée est aujourd’hui reprise dans le cadre d’une initiative des Commissaires européens Breton et Gabriel, pouvez-vous nous dire pourquoi cette initiative est nécessaire et quels sont les grands enjeux qui se posent ?

Guillaume Klossa : La notion d’écosystème industriel est ancienne et je n’en suis pas l’inventeur.  Je n’ai fait que remettre dans le débat politique européen la nécessité de penser de manière stratégique, avec une vision de moyen long terme combinant r&d, innovation, mutualisation de ressources et aménagement du territoire européen, le développement de nos industries notamment celles qui sont stratégiques pour notre avenir. Les enjeux sont simples: si nous voulons être souverains économiquement, c’est-à-dire ne pas nous faire imposer nos règles du jeu économiques, sociales et environnementales par des puissances extérieures qu’il s’agisse d’Etats ou d’entreprises globales, souvent des plateformes numériques mondiales, nous devons être en mesure de sauvegarder nos industries essentielles et nous donner les moyens d’inventer les industries du futur, qui généreront d’importantes activités de service à valeur ajoutée sur nos territoires, de développer ces industries en Europe et de rester les actionnaires référents des entreprises les plus stratégiques et les plus pourvoyeuses d’emplois à valeur ajoutée.  Cette urgence est accrue à l’heure du Big data et de l’intelligence artificielle qui renforcent les avantages compétitifs des entreprises numériques multinationales, qui ont tendance à agir de facto comme les entreprises coloniales au XVème siècle. La tentation est ainsi grande pour les plateformes numériques globales de se comporter en entreprises prédatrices de ressources humaines et économiques. Aujourd’hui, ces entreprises structurent pour des pans industriels entiers les règles du jeu notamment économiques et sociales et récupèrent la valeur économique en minimisant leur contribution à la fiscalité des pays dans lesquelles elles sont implantées. C’est donc un sujet éminemment politique et je suis heureux que la présidente Von der Leyen et les commissaires Breton et Gabriel s’emparent des propositions les plus importantes qu’avec mes collègues, nous avons proposées à la Commission, comme la notion d’écosystème industriel, la nécessité de mener des études économiques sur l’impact des GAFA et la captation de valeur qu’ils opèrent ainsi que sur la possibilité de créer un organe de régulation des plateformes systémiques, qui puisse accéder aux algorithmes.

Les ministres français de l’Economie et de l’Industrie Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg avaient déjà repris des propositions de votre rapport « Le Nouvel impératif industriel » que vous aviez piloté et notamment l’idée d’un crédit d’impôt innovation offensif ?

La France est un pays qui a une grande tradition industrielle mais qui a progressivement perdu des parts de marché et a vu ses industries se fragiliser à partir des années 1980 de manière plus importante que ces partenaires européens clés que sont l’Italie et l’Allemagne. C’est à la fin de la présidence de Nicolas Sarkozy en 2011, alors que j’étais vice-président du groupe McDonalds en France, un des seuls groupes étrangers ayant développé un écosystème de production, d’innovation et de r&d ultrapuissant à l’échelle de la France que le gouvernement français m’a demandé de faire des propositions pour permettre à la France et à l’Europe de reprendre le leadership industriel. J’ai, à cette occasion, analysé les stratégies américaine et chinoise et fait une série de propositions pour reprendre la main. Certaines ont en effet été reprises durant la présidence de François Hollande mais malheureusement pas la vision stratégique d’ensemble. J’avais à l’époque été frappé de voir comment les Américains comme les Chinois s’emparaient des priorités de r&d que les Européens s’étaient assignés et en tiraient des stratégies industrielles et d’innovation notamment en matière de technologies génériques clés tandis que nous nous avérions incapables d’agir. Les excellents rapports de Jean Therme, alors directeur du CEA de Grenoble, pour la Commission européenne, ont ainsi inspiré le plan chinois et les « Advanced manufacturing plans » mis en oeuvre sous le président Obama aux Etats-Unis. C’est d’ailleurs le modèle du CEA de Grenoble qui a inspiré les écosystèmes d’innovation régionaux chinois, notamment celui de Wuhan, qui est un des premiers en Chine à avoir misé sur le développement durable. Je me réjouis qu’aujourd’hui la Commission reprenne avec détermination ces sujets et que la crise du Covid 19 agisse comme un accélérateur de prise de conscience et de décision.

Pratiquement en matière d’écosystème industriel, y-a-t-il déjà des actions concrètes qui sont déjà proposées dans des secteurs comme les médias où vous avez été précurseur quand vous dirigiez l’Union européenne de Radiotélévision ou la santé qui touche les citoyens?

Concernant les médias, les industries créatives et la culture, il est important que les acteurs de ces secteurs se réunissent pour bâtir ensemble une stratégie de filière continentale. Il y a urgence à définir collectivement une vision d’avenir partagée pour le secteur et à se doter des moyens d’investissement en matière de recherche, d’innovation et de transformation numérique. Les médias et la culture constituent par essence un secteur stratégique, puisqu’ils contribuent à notre identité collective et garantissent la qualité et la diversité de notre information, essentielles pour le fonctionnement de nos démocraties et de nos économies sociales de marché.

Dans ce contexte, il est clé que l’Europe se dote de plateformes continentales de distribution de contenus alternatives aux GAFA. Nous avons fait quinze propositions stratégiques dans le rapport de la Commission européenne « Towards European media sovereignty » qui résultent d’un consensus au sein des industries créatives et culturelles, le moment est venu de discuter des conditions de leur mise en œuvre rapide. Ces propositions s’appuient sur des projets pilotes menés avec succès comme le MediaRoad, un partenariat public-privé continental visant à préfigurer un écosystème de r&d et d’innovation pour les médias européens que j’ai initié avec le soutien de la Commission alors que j’étais directeur de l’Union europeenne de Radiotélévision. 

Pour la santé, la crise nous a fait prendre conscience que certaines productions de médicaments et d’équipements sont vitales pour nos sociétés et que dans certains cas une relocalisation au moins partielle de ces dernières en Europe doit s’opérer. Mais il faut aller au-delà, nous devons disposer d’une capacité de commande à l’échelle continentale pour accélérer les innovations notamment en matière de traitement. Il me semble aussi essentiel que nous nous dotions d’équipements d’analyse de nouvelle génération qui soient connectés et permettent de développer des plateformes d’information sanitaire à l’échelle de l’Europe s’appuyant sur des bases de données très qualitatives et tirant parti des potentiels de l’intelligence artificielle. L’enjeu est double, mieux anticiper et suivre les épidémies et pandémies mais aussi développer une vraie médecine personnalisée. Pour cela, nous devons renforcer très rapidement nos capacités d’investissement dans ces domaines notamment en matière de r&d via Horizon Europe et les programmes ICT et en matière d’innovation via l’Institut européen de technologie (EIT Health). Ma recommandation serait que l’Union européenne prenne l’initiative de développer et de financer un plan pour équiper tous les hôpitaux et laboratoires publics et privés de l’UE réalisant des analyses notamment en matière d’hématologie et de parasitologie en équipements « européens » d’analyse de nouvelle génération avec l’objectif que 20 % des centres soient équipés en 2025 et 100% en 2030.

Avec l'adoption globale du plan de relance par les 27 ce vendredi 19 juin, un pas important a été franchi. Comment ces écosystèmes s'intègrent-ils dans la stratégie générale du plan de relance ? De quoi leur efficacité dépend-elle ?

Pour l’instant, rien n’a été décidé, il y a la conscience partagée qu’il faut un premier plan de relance de plusieurs centaines de milliards d’euros. La Commission a proposé 750 milliards d’euros de financement et que cet argent serve non seulement à relancer l’économie européenne mais aussi à la transformer avec des objectifs de verdissement (« Green deal »), de numérisation (« digital transformation ») et d’autonomie stratégique. Les 14 écosystèmes industriels prioritaires proposés devront mettre au cœur de leur mise en œuvre ces trois objectifs. Chaque écosystème devra également être pensé dans le cadre d’une stratégie de réaménagement du territoire européen, visant à réduire les divergences économiques et sociales et renforcer le marché intérieur. De manière plus générale, il faudra mettre en œuvre rapidement un programme de formation initiale et tout au long de la vie à l’échelle du continent permettant de développer les compétences clés en matière de développement durable et de transformation numérique. Ce progrès de formation devra être transversal aux différents écosystèmes. Il faudra bien organiser les synergies entre les différents écosystèmes, tout ceci n’a rien d’évident mais certains pays comme les Pays-Bas et l’Allemagne ont un vrai savoir-faire en la matière qu’ils devront mettre au service de tous les Européens.

Pour approfondir :

« Media for Good », Débats Publics, 2019

« Europe, la dernière chance ? », Guillaume Klossa et Jean-François Jamet, Armand Colin, 2011(Prix du livre européen citoyen )

 « Le Nouvel impératif industriel », Ministère de l’Economie et des Finances, 2012 : https://www.economie.gouv.fr/files/le_nouvel_imp%C3%A9ratif_industriel.pdf

« Towards European Media Sovereignty, an industrial strategy levering data, algorithms and artificial intelligence”, Commission européenne, 2019 : https://ec.europa.eu/commission/publications/towards-european-media-sovereignty_en

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