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Plan pauvreté : croissance, création d’emplois et aides sociales… voilà le dosage avec lequel le cocktail peut réellement être efficace
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Mesures phares

Le président de la République s'apprête à dévoiler son plan de lutte contre la pauvreté ce jeudi. L'équation, pour les dirigeants politiques, s'avère souvent délicate pour lutter efficacement contre ce fléau.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Que cela soit dans la France d'Emmanuel Macron, qui dévoilera son plan anti-pauvreté ce jeudi 13 septembre, ou aux États-Unis, aucun de ces 2 modèles ne semble véritablement efficace dans la lutte contre la pauvreté. Quelles sont les leçons à tirer de ces exemples ? 

Nicolas Goetzmann : La première difficulté pour une comparaison entre les deux pays est que la méthode de calcul du taux de pauvreté n'est pas la même. C'est un calcul relatif au niveau de vie médian en France, alors qu'il s'agit d'un seuil absolu aux Etats-Unis. On peut cependant observer les variations de certaines données qui peuvent donner une indication. En France, le taux de pauvreté à 60% du revenu médian est de 14% pour l'année 2016 (INSEE) contre 13.4% en 2007, il était de 12.7% aux Etats-Unis (Census bureau) contre 12.5% en 2007. On peut donc constater la similitude d'une légère augmentation du taux dans les deux pays, pendant la période de crise.
Ce qui est intéressant, c'est de voir l'amélioration de la situation aux Etats-Unis sous l'effet du boom économique que connait le pays depuis plusieurs années. Le taux de pauvreté a baissé de 2.1 points entre 2014 et 2016, soit la sortie de 2.5 millions de personnes d'une situation de pauvreté. En France, on constate une légère augmentation du nombre de pauvres sur cette même période.
Concernant l'approche du traitement de la pauvreté, France et Etats-Unis semblent parfaitement opposés. Avec un niveau de chômage moyen proche de 9% au cours des 35 dernières années, la France semble avoir abandonné toute politique de plein emploi. Le traitement de la pauvreté est alors assuré par la redistribution. Il s'agit donc plus d'un filet de sécurité, qui peut être critiqué, mais qui est efficace dans sa finalité, comme l'indique le rapport de la DREES sur les aides sociales publié le 7 septembre dernier : "L’ensemble du système redistributif (prestations sociales non contributives et fiscalité directe) réduit nettement la pauvreté monétaire, en abaissant de 7,9 points le taux de pauvreté." Un chiffre qui donne quand même une idée de ce que serait le taux de pauvreté en France si les aides sociales n'existaient pas, soit environ 22% de la population.
Aux Etats-Unis, les aides sociales sont limitées, le salaire minimum fédéral est très faible, soit 7.25$ de l'heure, (l'équivalent de 6.20 euros à comparer avec les 9.88 euros en France, soit un écart inférieur de 37% par rapport à la France). Sans compter le coût de la couverture maladie, de l'éducation etc…L'intensité de la situation de pauvreté est forte, c'est ce qu'a pu iillustrer le Prix Nobel d'économie, Angus Deaton, expert de cette question, en déclarant dans une interview donnée à The Atlantic "Mais si vous deviez choisir entre vivre dans un village pauvre en Inde et vivre dans le delta du Mississippi ou dans une banlieue de Milwaukee dans un parc à caravanes, je ne suis pas sûr de savoir qui aurait la meilleure vie."
Mais le point fort des Etats-Unis est une économie qui est tirée vers le haut par une politique macroéconomique très dynamique. Un taux de chômage de 3.9%, des salaires qui progressent de 2.9% sur la dernière année, et un revenu des ménages médian qui a progressé de 3.2% entre 2015 et 2016.
La leçon à tirer de ces deux exemples est que les deux systèmes peuvent être efficaces, mais en étant combinés. La France ne fait rien pour parvenir au plein emploi, et les Etats-Unis sont indifférents à la mise en place d'aides sociales efficaces. 
On peut finalement noter que les Etats Unis sont critiqués pour leur système de mesure du chômage ce qui a conduit le Census Bureau à produire un indicateur beaucoup plus précis, le "supplemental poverty measure", dont le taux pour 2017 est de 13.9%, soit un seuil comparable à la France. Et avec cet outil on constate la même tendance avec une chute de ce taux passé de 15.3 à 13.9% sur les deux dernières années.

Dans une tribune publiée par le New York Times, le lauréat du Prix Pulitzer 2017, Matthew Desmond, montre que les créations d'emplois ne sont pas une solution pour les Etats-Unis, puisque ces emplois ne sont pas toujours suffisamment rémunérés pour dépasser le seuil de pauvreté. N'est-il pas utopique de penser pouvoir résoudre le problème de la pauvreté par la seule croissance ? 

Matthew Desmond est effectivement le lauréat du Pulitzer pour son livre "Evicted" qui est une chronique de vie de foyers américains en situation de pauvreté, confrontés à des problèmes de logements, et qui doivent surmonter toutes les réglementations en vigueur pour conserver le droit à de maigres aides sociales. Son article publié par le New York times évoque le cas des travailleurs pauvres, qui sont dans l'incapacité de vivre décemment tout en ayant un emploi, et ce, en raison de revenus insuffisants, notamment pour se loger. Cette description montre qu'un système purement basé sur une forte économie n'est pas suffisant, le législateur doit également mettre en place des systèmes permettant une redistribution efficace. Il est à noter que les Etats-Unis débattent de plus en plus de la question du salaire minimum, pour en relever le seuil de façon conséquente. On a pu voir que sa mise en place en Allemagne n'avait pas produit d'effets négatifs sur l'emploi, et avait permis un relèvement du niveau de vie d'une partie de la population. Mais il ne faut pas non plus nier la capacité de l'économie américaine dans son régime actuel "à haute pression" d'être un moteur puissant de la lutte contre la pauvreté.

Quelle serait alors le modèle le plus efficace pour parvenir à un résultat efficace de la lutte contre la pauvreté ? 

La France dispose d'un des meilleurs systèmes de redistribution au niveau mondial, mais celui-ci est totalement gâché par une macroéconomie totalement déficiente. Cela fait 10 ans que le pays est en situation de croissance inférieure à son potentiel, et on pourrait étendre ce constat aux 30 dernières années. Cette sous croissance conduit à gonfler le coût des aides sociales (en raison d'un taux de chômage élevé), et donc à faire progresser la fiscalité, et finalement à faire baisser le "soutien" de la population à la nécessité de maintenir ces aides. Une croissance plus forte rendrait les besoins moins importants, ce qui en réduirait le coût budgétaire, et deviendrait plus acceptable par la population, notamment en raison de l'efficacité du système (les aides sociales baissent le taux de pauvreté de 8 points, comme cela est évoqué plus haut). 
Emmanuel Macron pointe le problème en indiquant que son objectif est de permettre une sortie de la pauvreté. Mais si on veut des résultats, la France doit d'abord s'attaquer à son problème de croissance, ce qui n'est absolument pas le cas. (Est-ce qu'Emmanuel Macron a indiqué vouloir prendre la FED pour modèle pour conduire la zone euro au plein emploi ? ). A l'inverse, pour que les Etats-Unis aient des résultats , ils doivent continuer leur régime "d'économie à haute" pression, ET mettre en place un système efficace de redistribution. 
Le paradoxe français est qu'une forte croissance permettrait d'abaisser le coût relatif des aides sociales dans le budget, tout en faisant baisser le niveau de pauvreté. Si Emmanuel Macron faisait le choix de renoncer ou de faire baisser ces aides, tout en refusant d'essayer de faire bouger la ligne macroéconomique européenne, nous aurons alors le pire des deux mondes. 

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