Plan Dupond-Moretti pour la Justice : un grand pas dans le bon sens… sur une longue route<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, à l'issue d'un Conseil des ministres.
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, à l'issue d'un Conseil des ministres.
©Ludovic MARIN / AFP

Réformes

Le garde des Sceaux a présenté, ce jeudi, son plan d'actions pour répondre au « délabrement avancé » de l'institution, dénoncé à l'occasion des États généraux de la Justice.

Béatrice Brugère

Béatrice Brugère

Béatrice Brugère est Vice-Procureure de la République au TGI de Paris et secrétaire générale du syndicat FO magistrats. 

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Atlantico : Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a présenté ses propositions pour la Justice ce jeudi. Que vous inspirent-elles ?

Béatrice Brugère : Sur les grandes lignes annoncées, il y a des mesures intéressantes. Concernant le budget, l’augmentation prévue est plus qu’historique. Cela place le ministère de la Justice sur la voie d’un rattrapage réel suite à une maltraitance budgétaire depuis plusieurs années. Jusqu’à présent, nous avions des réformes sans budget ou des budgets mal adaptés aux besoins de la Justice. Ce budget s’il est voté permettra d’avoir une ambition réelle pour le ministère de la Justice, et ce n’est pas rien. Ce budget cumulé avec une volonté de recrutement massif, témoigne d’une dynamique positive de la part d’un ministère pour faire face au délabrement tel que le rapport des Etats généraux de la Justice l’a décrit. Je ne sais pas si c’est assez, mais c’est en tout cas conséquent et très positif.

Qu’en est-il des réformes elles-mêmes ?

Les réformes annoncées hier sont multiples. Nous sommes extrêmement satisfaits de celles concernant le volet civil. Notre syndicat était le seul à porter une vraie réforme des modes amiables et du rôle de la médiation qui semble être une voie intéressante pour réduire les délais et remettre le justiciable au cœur du process. C’est un véritable changement de logiciel et de culture. Nous sommes donc contents des annonces faites en ce sens.

Il nous semble que si la médiation est faite de manière cohérente et organisée par le ministère avec de vraies orientations, nous pourrons avoir une mini révolution qui se mettra en place pour rejoindre d’autres modèles comme ceux des Pays-Bas, du Canada ou de l’Allemagne, où la médiation fonctionne et a fait ses preuves laissant au juge un rôle actif afin d’identifier les problèmes de droit et obliger les parties à trouver des accords.

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Ces expériences étrangères démontrent que cela permet de raccourcir les délais de Justice, ce qui est un des premiers reproches que l’on peut adresser à la justice civile en France. Cette réforme devrait être saluée par le justiciable. Cela ne va pas régler tous les problèmes de la justice civile, mais ça peut améliorer sans doute et redonner un souffle au contentieux civil. C’est clairement le projet le plus novateur.

Concernant les ressources humaines, le ministre a annoncé également des réformes et une loi organique. Pour notre syndicat, c’est une priorité de réformer en profondeur la gestion et l’organisation du ministère de la Justice. Il est urgent d’établir une politique de RH adaptée d’autant plus que de nombreux magistrats et greffiers vont être recrutés. La qualité de la Justice, c’est également la qualité des hommes et des femmes qui la rendent.

Concernant les mesures au pénal, notre première impression est plus réservée dans la mesure où plusieurs mesures ont déjà été déclinées mais beaucoup restent encore floues. S’il y a un projet de refonte des cadres d’enquête, celui-ci n’est pas encore connu et reste au niveau des annonces. Réformer les cadres d’enquête peut modifier en profondeur nos équilibres et se décliner de manière très différente.

Concernant l’exécution des peines qui est un sujet également majeur pour nos citoyens, il est question d’une réévaluation mais nous n’avons pas eu encore vraiment de vision claire sur ce domaine.

Globalement, le projet du ministre semble pragmatique en voulant réduire les délais, fluidifier le travail des acteurs et augmenter les budgets et améliorer la qualité des conditions de travail.

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A ce stade des annonces, il est difficile d’aller plus loin dans l’analyse pour en apprécier leur réelle pertinence.

Que manque-t-il selon vous dans ce projet ?

Il n’y a pas grand-chose sur les réformes institutionnelles ou la réforme du parquet qui sont des sujets importants. Il me semble également que des thématiques comme l’environnement ne sont pas traitées. Le ministre a insisté pour rattraper le retard sur le numérique qui reste un grand échec jusqu’à présent. Mais il va sans doute falloir aller beaucoup plus loin dans les semaines à venir pour réparer la Justice que de grandes annonces volontaristes.

Qu’en est-il de la question de la surpopulation carcérale ?

Sur la surpopulation carcérale, il n’y a que deux réponses possibles. Nous avons aujourd’hui un nombre de places limité et insuffisantd’où une surpopulation carcérale qu’aucune mesure n’a réussi réellement à faire baisser. Donc, soit vous arrêtez d’envoyer en prison, soit vous construisez de nouvelles places. On est arrivé au bout de la politique pénale visant par tous les moyens à incarcérer le moins possible et en ultime recours. Toutes les dernières lois ont eu pour objectif de nous faire incarcérer le moins possible et d’aménager au maximum les peines de prison. Le ministre s’est engagé à ce que la promesse d’Emmanuel Macron de construire 15 000 places d’ici 2027 soit tenue. Je pense que c’est le choix du bon sens.

Présidente du Syndicat de la magistrature, Kim Reuflet a reconnu le déblocage de « moyens considérables » mais déplore une « réforme plutôt gestionnaire ». Partagez-vous ce constat ?

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Je pense que ce ministère au contraire a besoin d’être géré. Le ministre l’a reconnu, la Justice est un ministère mal géré depuis des années. Donc remettre de la gestion est une bonne chose. Mais les annonces faites ne sont pas des mesures gestionnaires, d’ailleurs nous ne sommes pas sur une logique de réduction des coûts mais au contraire d’augmentation du budget. La vraie question est plutôt de savoir utiliser de manière utile ce budget et pour cela il faut faire au préalable des réformes structurelles sur l’organisation du travail et sur la gestion de ce ministère. Si nous sommes arrivés à un tel état de délabrement, c’est justement parce que nous avons subi depuis des années une vision gestionnaire. C’est le contraire que j’ai ressenti dans ce projet, c’est de redonner du souffle et des moyens au ministère de la Justice. Notre interrogation est plutôt de pouvoir identifier quelle est la vision globale du projet, sa philosophie d’ensemble et c’est là que nous avons encore quelques attentes.

Il y a encore des mesures générales qu’il faudra regarder dans le détail pourcomprendre dans quel sens ces annonces vont être réellement orientées. Mais à ce stade, ce plan d’action me semble être guidé par un grand pragmatisme. On peut regretter que ce plan manque un peu de hauteur mais aujourd’hui, la Justice est dans un tel état de faillite qu’il est nécessaire déjà de lui redonner des moyens élémentaires pour fonctionner. Elle est comme une voiture à l’arrêt. Il faut commencer par remettre de l’essence avant de savoir quelles sont ses performances. La lenteur de la Justice est l’un des premiers reproches qu’on peut lui faire. Il faut entendre le justiciable et ce plan semble en partie vouloir y répondre. Et il ne réussira que par un travail collectif de tous les acteurs. Notre syndicat qui est réformiste a fait de très nombreuses propositions pour améliorer le fonctionnement de la Justice dont quelques-unes ont été reprises, notamment sur le civil, ce qui nous semble déjà un bon départ. Néanmoins, il faudra des années pour remettre la Justice sur des rails. Et de nombreux enjeux institutionnels restent à régler.

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