Plaies et bosses : solidarité européenne, influence de la France, capitaux… ces “morts” d’ores et déjà laissés sur le carreau par la crise grecque<!-- --> | Atlantico.fr
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La crise grecque qui secoue l'ensemble de la zone euro illustre l'absence réelle de solidarité entre les Etats membres.
La crise grecque qui secoue l'ensemble de la zone euro illustre l'absence réelle de solidarité entre les Etats membres.
©Reuters

Permis de déconstruire

La crise grecque qui secoue l'ensemble de la zone euro illustre l'absence réelle de solidarité entre les Etats membres. Les égoïsmes nationaux ont la vie dure et empêchent de trouver une solution rapide et pérenne.

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak est économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), spécialiste de questions de politique budgétaire, sociales et des systèmes de retraite.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : La crise grecque n’est-elle pas un cimetière d’illusions perdues, à commencer par les milliards d’euros qui ont été prêtés et qui ne seront jamais remboursés ? La solidarité des Etats de la zone euro appartient-elle définitivement au passé ?

Henri Sterdyniak : De 1999 à 2009, les marchés financiers ont vécu dans l’illusion que toutes les dettes publiques des pays de la zone Euro étaient équivalentes. Ils prêtaient pratiquement au même taux à l’Allemagne et à la Grèce. Les pays de la zone euro vivaient dans l’illusion que la monnaie unique pouvait fonctionner sans stratégie macroéconomique cohérente ; sans solidarité entre pays, avec des règles molles, sans fondement économique, peu respectées. Au moment de la crise, des mécanismes de solidarité ont été mis en place en catastrophe, mais ils furent accompagnés d’une forte conditionnalité : les pays aidés ont dû s’engager dans des politiques d’austérité, qui ont brisé leur dynamisme économique, et qui n’ont pas permis la baisse de leur ratio dette/PIB. Il faudra changer de méthode, mais la solidarité entre pays semble impossible à organiser et les dettes sont insoutenables.

Christophe Bouillaud : Il faut d’abord souligner que cette solidarité n’a jamais été non plus si importante que cela. Le budget européen plafonne depuis un moment aux alentours de 1% du PIB européen. Les transferts financiers entre Etats européens, via les fonds structurels par exemple, sont très loin d’égaler ceux qu’on peut observer dans une fédération comme les Etats-Unis via la mécanique fiscale de l’Etat fédéral. Les questions d’argent entre Européens ont toujours provoqué des débats assez tendus. Dès le début des années 1980, M. Thatcher négocie un gros « rabais britannique » à la contribution au budget européen qui est toujours là  mutadis mutandis protégé par tous les gouvernements britanniques successifs.  De même, tout le processus d’aide aux pays en difficulté de financement sur les marchés financiers depuis 2010 est formulé juridiquement sous forme de prêts et de garanties, et jamais de dons ou de transferts sans contrepartie. N. Sarkozy l’avait bien expliqué en son temps, disant même que la France ferait un petit bénéfice au passage, et A. Merkel n’a cessé de le dire au peuple allemand et au Bundestag : ce ne sont que des prêts. Peut-être dans les prochains jours, verrons-nous ces prêts et garanties devenir des vrais transferts définitifs dans le cadre d’une restructuration de la dette publique grecque, mais cela ne parait vraiment pas évident à ce stade. En effet, tous les pays créditeurs en font un tabou en rejetant toute la faute de leur endettement sur les seuls Grecs – comme si par exemple cela ne correspondait pas par exemple aussi à quelques achats inconsidérés d’armements aux vendeurs de l’ouest du continent… Surtout, ce qu’il faut souligner, c’est que cette « solidarité » entre Etats européens, dont les dirigeants ne cessent de rappeler l’ampleur, n’a eu aucun effet sur la condition sociale et économique des pauvres dans les Etats concernés par ces aides, que ce soit en Grèce, en Irlande, en Espagne ou au Portugal. Ainsi, malgré tous les transferts financiers que l’Etat grec a reçus depuis 2010, la condition sociale et économique des habitants pauvres de la Grèce s’est écroulée. L’argent européen ne leur était visiblement pas destiné. Les indicateurs sont légion sur ce point, et le journal médical britannique The Lancet a été l’un des premiers à documenter ce fait tragique.  Que veut dire une « solidarité envers la Grèce », si en réalité les Grecs ordinaires sont vraiment dans les plus grandes difficultés ? Bien sûr, on pourra toujours dire pour se justifier que cela aurait été pire sans. C’est l’argument qui explique à l’accidenté mal soigné par un médecin alcoolique que, tout de même, il vous reste quand même un bras et un œil. Les partenaires européens sont largement responsables de cet effet dans la mesure où ils ont été tout le temps en depuis 2010 train de surveiller ce que faisaient les gouvernants grecs. Il n’était donc pas très difficile à la Troïka de s’apercevoir des conséquences sociales des choix faits par l’Etat grec. On pourrait même dire que la partie européenne de la Troïka (Commission européenne et Banque centrale européenne) a trahi les objectifs mêmes de l’Union européenne tels qu’ils sont inscrits dans les premiers articles du Traité de Lisbonne. Une « solidarité » qui aboutit à une hausse radicale du taux de suicide dans une population n’est pas digne du mot dont elle se pare, ou alors nous sommes dans le monde d’Orwell. Pour l’avenir, rien n’interdit d’être vraiment solidaire, en mettant la politique suivie en accord avec les grands principes humanitaires dont l’Union européenne se réclame. Par contre, à force de monter les peuples les uns contre les autres, les dirigeants européens n’ont pas posé les fondements politiques d’une telle solidarité, c’est le moins que l’on puisse dire. Entre les « PIIGS » (acronyme voulant dire cochons) de 2009-2011 pour désigner les pays du sud de l’Europe et l’Irlande et le « Greek-bashing » d’aujourd’hui, les dernières années n’ont pas été très favorables à la fraternité des peuples européens.

Pourquoi la zone euro n’est-elle une zone monétaire optimale ? Peut-elle le devenir et assurer ainsi une plus grande solidarité entre pays ?

Henri Sterdyniak :La Zone euro n’est pas une zone monétaire optimale. Les pays membres sont très différents,  tant structurellement que conjoncturellement. Ils ont besoin de taux de croissance, de taux d’inflation, de taux d’intérêt, de taux de change, de politiques économiques différentes, ceci pour converger à long terme. Une plus grande solidarité ne pourrait être assurée qu’à long terme, quand les pays auront convergé, mais l’Europe est actuellement dans une phase de divergence.

Dans l’idéal, on pourrait imaginer des institutions européennes qui, de Bruxelles, imposeraient aux pays membres des stratégies de convergence. Qui imposeraient à l’Allemagne d’augmenter ses salaires et ses dépenses publiques, qui imposeraient aux pays du Sud de diminuer les leurs, qui imposeraient une harmonisation sociale et fiscale, qui imposeraient une forte solidarité dans la phase transitoire.  Mais, cela n’est pas compatible avec l’exigence de démocratie qui existe dans chacun des pays européen, avec le respect des spécificités nationales. Or, sans règles communes, il est difficile d’avoir une forte solidarité.

Christophe Bouillaud : Les raisons sont multiples et identifiées depuis longtemps : faible mobilité de la main d’œuvre entre pays, structures institutionnelles diverses selon les pays qui réagissent différemment à des chocs économiques,  niveau d’éducation de la main d’œuvre très différents, préférences politiques des populations pas nécessairement semblables. En plus, ces écarts se sont accrus avec l’Euro, en raison de la désindustrialisation du sud de la zone provoqué justement par ce dernier. De fait, sauf à croire à des miracles économiques et sociaux, qui verraient ces paramètres changer en quelques années, la seule solution demeure à ce stade strictement politique : soit on crée officiellement un mécanisme de transferts de richesses entre le centre productif et la périphérie moins productive, soit on le crée officieusement. Les autorités allemandes ont d’ailleurs bien compris la situation, et ils voient bien que l’aide à la Grèce ouvre la voie à cette « Union de transferts » dont ils ne veulent absolument pas. Malheureusement pour eux, la zone Euro ne peut pas tenir sur la durée sans en arriver à terme à cette « Union de transferts ». Les économistes différent sur les montants à mobiliser, mais ils sont d’accord sur ce point.

Après une longue phase où la construction européenne a semblé irrésistible, assiste-t-on à un retour en arrière peut-être précurseur d’une déconstruction ?

Henri Sterdyniak :L’Europe a toujours été une maison en construction, dont les architectes ne sont pas d’accord sur les plans. Le principe des promoteurs de l’Europe a toujours été d’imposer de nouvelles structures en disant que celles en place n’étaient pas cohérentes. Le marché unique a rendu nécessaire la monnaie unique, qui a rendu nécessaire le Traité Budgétaire, la MES, l’Union bancaire. La crise grecque montre que les peuples sont ainsi progressivement insérés dans un carcan fédéraliste, technocrate et libérale. Elle peut être l’occasion d’un certain sursaut. Le plus probable est quand même que la Grèce soit expulsée de la zone euro et que cet épisode serve de prétexte aux pays du Nord et à la Commission pour réduire encore l’autonomie des Etats membres en matière budgétaire, sociale et salariale.

Christophe Bouillaud : C’est possible. Les prochains jours vous être éclairants avec le sort, plus ou moins plaisant, qui sera réservé à la Grèce. Mais on voyait venir les problèmes depuis au moins dix ans, si ce n’est quinze. On a parlé ainsi de « fatigue de l’élargissement », et force est de constater une grande stagnation en la matière : l’Union européenne n’a plus de grandes ambitions dans les Balkans, parce que les pays du centre ne voient pas bien l’intérêt d’intégrer ce groupe de petits pays pauvres, et parce qu’elle semble s’être complètement trompé sur la Turquie d’Erdogan. Le néo-ottomanisme des dernières années est incompatible avec toute intégration de la Turquie à l’Union européenne. Par ailleurs, le moins que l’on puisse dire, c’est que la zone Euro connait depuis 2010 une mauvaise passe économique, surtout en comparaison des Etats-Unis, ce qui ne plaide pas en sa faveur. Les pays européens qui ne sont pas intégrés dans l’UE et surtout dans la zone Euro se portent en plus fort bien : qui ne rêve désormais d’être suisse, suédois, danois ou norvégien ? On a surtout constaté des référendums populaires négatifs, avec toujours le même constat sociologique : les petites gens refusent l’Europe, et les élites et les classes moyennes supérieures la soutiennent. Le référendum grec de dimanche dernier, par sa sociologie telles que la décrivent les sondages sorties des urnes, ressemble ainsi à une version extrémisée de ce qu’on a pu voir en France ou aux Pays-Bas en 2005 : les « prolos » boudent l’Europe, seuls les « bourges » qu’ils soient de droite ou de gauche d’ailleurs y croient encore. C’est d’ailleurs tout à fait cohérent avec l’identification actuelle de l’Union européenne à l’Euro, qui se veut une monnaie forte, une réserve de valeur qui préserve la richesse, qui combat donc  l’inflation, mais qui se soucie peu de chômage. En tout cas, les signes ne manquent pas pour indiquer que cette Union européenne-là, surtout son aspect zone Euro,  aura du mal à aller de l’avant, ne serait-ce parce qu’actuellement l’avenir semble plus ouvert en Suède, en Pologne, voire en Roumanie, que dans certaines parties méridionales de la zone Euro. Je suis aussi frappé par la libération d’une parole très critique sur l’Europe au sein même de la discipline universitaire des études européennes qui, il y a encore quinze ans, étaient une discipline presque à 100% alignée sur l’Europe comme dernière utopie de l’Humanité. Plus généralement, l’Europe connait une crise de légitimité auprès des intellectuels, qui ne voient que trop le hiatus entre les promesses et les réalisations. Par contre, pour ne pas tout voir en noir, cela ne veut pas dire que les jeunes générations, si critiques à l’égard des politiques de l’Union comme on l’a vu en Grèce, veuillent vivre comme leurs arrière-grands-parents, seulement dans une vie nationale. Même les gens les plus à droite, les plus « identitaires », ne seraient pas capables de ce genre de vie. Ce qui est en difficulté actuellement, c’est surtout une Europe des élites, pour les élites et par les élites. Elle n’a pas vocation à être éternelle, parce qu’elle manque de plus en plus de légitimité démocratique, mais surtout d’un récit moral à défendre. Jusqu’au tournant du siècle,  l’Union européenne, c’était « l’Empire du Bien », aujourd’hui, l’Union européenne est devenue une institution ordinaire qui peut elle aussi commettre des erreurs, voire des méfaits. Elle est en train de perdre sa neutralité politique, d’être identifiée par beaucoup d’électeurs comme un choix politique bien précis. Il n’est que de voir la réaction de certains des lecteurs d’Atlantico.

Mathieu Mucherie : Il est très curieux de lier la monnaie à la construction politique de l'Europe. Ce n'était pas obligatoire. On aurait très bien pu faire une Europe via la défense. Et l'idée de dire que si l'euro échoue cela remettrait en cause toute l'Union européenne n'est pas juste à mon avis. Quoiqu'il en soit si l'euro échoue, on garde les acquis de l'Union européenne à savoir le désarmement douanier ou un certain nombre de collaborations sur des politiques choisies. Le problème de l'Europe c'est qu'elle a voulu se faire avant tout par la monnaie. C'est la façon la plus ambitieuse mais la plus difficile. En général cette étape ne se fait pas avant une cinquantaine d'années de fédéralisme budgétaire et de renforcement de la mobilité du facteur travail à l'intérieur de l'Union. Elle a voulu accélérer le temps et elle n'a pas réussi. Les Etats-Unis ont eu besoin de plus de 150 ans pour se rapprocher d'un modèle de zone monétaire optimale. Or, comme le disait le prix Nobel d'économie Douglass North : "On n'accélère pas l'histoire sans coûts". Il aurait peut-être fallu aller auparavant ailleurs. On aurait pu avoir un renforcement des programmes communautaires ou le développement d'autres outils de solidarité. Il y a l'Europe de l'éducation à faire mais aussi l'Europe des nouvelles technologies ou de la défense. Et nous on a préféré la faire par la monnaie. Aujourd'hui, tous les efforts de l'Europe sont vampirisés par cette zone monétaire.

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Quel est l’état du couple franco-allemand ? La perte d’influence française explique-t-elle en partie la situation dramatique dans laquelle se trouve l’UE ?  

Henri Sterdyniak : L’Allemagne est devenue le pays dominant en Europe. S’appuyant sur ces excédents extérieurs, sur ses alliés du Nord et de l’Est de l’Europe, sur une opinion publique chauffée à blanc par la presse, sur sa Constitution, elle prétend imposer le strict respect de règles rigides, même si elles mènent à la catastrophe économique. Il est, par exemple, impossible que tous les pays pratiquent simultanément des politiques d’austérité pour retrouver les ratios d’endettement d’avant la crise. La France n’ose pas s’opposer à l’Allemagne ; elle se refuse à organiser un front des pays du Sud ; les classes dirigeantes et la technocratie française considèrent que l’Allemagne est un modèle que la France doit suivre. La France se retrouve donc incapable de proposer une stratégie alternative plus soucieuse de croissance et de cohésion de la zone Euro. 

Christophe Bouillaud : Extérieurement tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Hollande et Merkel se prêtent au jeu, comme avant Sarkozy et Merkel. Ils le font d’ailleurs au risque d’énerver les autres dirigeants nationaux. Le plus souvent, la position française semble totalement alignée sur la position allemande, sans doute parce que les dirigeants français prennent l’Allemagne pour modèle de réussite économique et parce qu’ils n’ont plus du tout le courage de défendre les particularités françaises – comme par exemple ce qui cause notre forte démographie. Cet alignement de la France sur l’Allemagne m’apparait surtout gênant parce qu’il interdit d’avoir plusieurs options politiques à l’étude au sein du petit cénacle des dirigeants européens qui comptent. J’aurais tendance à dire que cette situation résulte aussi de la moindre intervention des Britanniques dans les affaires communautaires, et de l’incapacité de l’Italie, de l’Espagne ou de la Pologne d’intervenir à hauteur de leur poids économique et géographique. A mon sens, ce couple franco-allemand sous domination allemande constitue désormais une faiblesse de l’Union européenne. Je ne sais pas comment finira l’affaire grecque, mais il est dommage que la France ne défende pas plus clairement encore l’impossibilité de laisser la Grèce en dehors de la zone Euro. En effet, la France voulait un « gouvernement économique » de la zone Euro, elle risque de se retrouver avec un super-carcan de la zone Euro, puisque, si la Grèce sort, il faudra compenser cette sortie par une réaffirmation de l’absence d’ « union de transferts » pour les autres et par de nouvelles contraintes sur les politiques budgétaires nationales. En plus, dans cette hypothèse tragique, tout le monde aura compris que le « chacun pour soi » des pays riches de l’Europe du nord l’aura définitivement emporté, et que le vrai fédéralisme n’arrivera plus pour les générations actuelles.

Comment dépasser la crise actuelle, rétablir l’économie de la zone euro et la confiance vis-à-vis de l’Union et de ses membres ? Combien de temps sera nécessaire ? Que pourra-t-on reconstruire ?

Henri Sterdyniak :Deux stratégies sont possibles. Exclure la Grèce et en profiter pour renforcer le caractère fédéral des institutions européennes. Mais, il n’y a sans doute pas d’accord des peuples pour cette évolution et la zone euro restera difficile à gérer avec des pays du Sud (Espagne, Italie, Portugal, Slovénie) en grande difficulté économique.

Choisir le chemin de la croissance et de la solidarité en convoquant une conférence européenne sur les dettes publiques (ce qui pourrait permettre de les restructurer et de les faire garantir par la BCE), en mettant fin aux politiques d’austérité, en demandant aux pays du Nord de réduire leurs excédents par une politique salariale ou budgétaire plus expansionniste, en impulsant la croissance par un Plan Juncker surmultiplié, axé sur l’aide à la transition écologique et l’investissement dans les pays du Sud.  Mais, les pays du Nord refusent actuellement cette stratégie.

Christophe Bouillaud : Les politistes dont je suis n’aiment pas faire des prédictions. Cependant, il faut distinguer ce qu’on entend par « confiance ». La confiance des marchés financiers peut sans doute être garantie par l’action énergique de la BCE, au moins à court terme. Pour ce qui est de la confiance des citoyens, elle dépend largement de la situation économique. Si elle s’améliore, la vision de l’UE sera meilleure. Par contre, sur le plus profond de l’opinion publique, sur sa part qui réfléchit, il sera sans doute impossible de faire revivre les illusions européistes telles qu’elles ont pu exister dans les années 1990. Comme pour la crise des années 1930, les générations qui auront connu cet épisode des années 2010 dans leur jeunesse n’oublieront pas ce qu’elles ont vécu. On verra ce que cela donnera quand elles arriveront à l’âge d’exercer le pouvoir. Je constate déjà chez mes propres étudiants un cynisme presque total vis-à-vis de l’Union européenne ou au mieux une grande indifférence. Je mesure à chaque fois l’écart entre ma perception et la leur.

Qui sont les grands perdants de la crise et qu’ont-ils perdu définitivement ? 

Henri Sterdyniak :La Grèce risque d’être la grande perdante de la crise, obligée de choisir entre quitter l’Euro et devoir pratiquer à jamais des politiques d’austérité insoutenable. Le même dilemme va se poser à l’Espagne. L’Allemagne a montré son incapacité à exercer un leadership satisfaisant en Europe, c’est-à-dire tenant compte des intérêts de ses partenaires. La France a monté sa faiblesse, son incapacité à proposer une alternative. Enfin, on ne peut exclure que la Grèce se résolve à faire défaut sur sa dette, ce qui signifierait, en cas de défaut total, une perte de 350 milliards d’euros pour les peuples européens, Ce qui signifierait aussi que les titres des dettes publiques portugaises, espagnoles ou italiennes, considérés comme des actifs risqués, supporteraient des primes de risque.

Christophe Bouillaud : L’image de l’Union européenne aura beaucoup de mal à s’améliorer vraiment si elle ne se donne pas des projets plus positifs que de mettre au pilori certains de ses peuples pour mauvaise aptitude au travail, à l’épargne et à la joie dans l’effort. Par ailleurs, les dirigeants européens actuels apparaissent tous comme des boutiquiers nationaux plus contraints de continuer à faire l’Europe,  que vraiment convaincus de ce qu’ils font en la faisant. C’est du coup toute une génération de dirigeants européens qui semblent frappés de « nanisme » comme diraient les Italiens, il faut aussi souligner toute l’absurdité de leur comportement incohérent, comme celle du social-démocrate allemand Martin Schulz qui faisait campagne en 2014 contre l’austérité pour devenir Président de la Commission européenne et qui veut l’imposer aux Grecs comme un forcené en ce mois de juillet 2015. Il y a aussi les médias : comme on vient de le constater en Grèce, les tentatives grossières de manipuler l’opinion sont vouées à l’échec avec le rôle de contrepoids d’Internet et des réseaux sociaux. Il me semble aussi que la diplomatie du secret entre Etats européens est une catastrophe qu’il faudrait arrêter de sous-estimer : les réunions ministérielles et les Conseils européens doivent être publics, puisqu’ils constituent en pratique les forums dans lesquels se décide le sort des Européens. Je ne crois pas que les jeunes se contentent longtemps encore de cette façon de faire l’Europe à la manière du Congrès de Vienne en 1815. Cela interdirait de dire des choses différentes au niveau national et au niveau européen, et les démagogues en seraient désarmés.

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